Dans le domaine social et sociétal, aucun mariage de mineur ne ressemble à un autre et il serait judicieux de rentrer plus dans le détail.
Que dit la loi ?
L’article 19 du Code de la famille en vigueur fixe l’âge légal du mariage à 18 ans. L’article 20 précise que le juge de la famille, chargé du mariage, peut autoriser le mariage du garçon ou de la fille avant l’âge de 18 ans, par décision motivée, précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, à cette fin, les parents du mineur ou son représentant légal. Il pourra également procéder à une expertise médicale ou une enquête sociale pour établir son aptitude physique et mentale au mariage. Sa décision d’autoriser le mariage du mineur est définitive et n’est pas susceptible de recours. L’article 23 ajoute que l’acte de mariage d’un mineur doit mentionner l’autorisation du juge ainsi que les pièces justificatives.
Enfin, l’article 27 stipule que toute personne qui célèbre un mariage sans l’autorisation du juge lorsque l’un des conjoints est mineur est punie conformément à la loi. Il en ressort que :
Enfin, l’article 27 stipule que toute personne qui célèbre un mariage sans l’autorisation du juge lorsque l’un des conjoints est mineur est punie conformément à la loi. Il en ressort que :
- La loi ne précise pas un âge auquel il est formellement interdit d’autoriser un mineur à se marier. La pratique montre que la majorité des autorisations concernent des mineurs de 16 à 17 ans. Plusieurs pays européens, à l’instar de la Belgique, des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark, de l’Autriche et de la Grèce, interdisent formellement le mariage avant 18 ans. D’autres pays, comme la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Portugal, autorisent sous conditions draconiennes le mariage dès 16 ans. Aucun pays européen n’autorise le mariage avant 16 ans.
- À aucun moment, la loi ne prévoit que le juge entende le mineur. Il entend les parents du mineur ou son représentant légal. La loi ne l’oblige pas non plus à entendre le futur conjoint du mineur. Le juge va donc autoriser le mariage de deux personnes dont l’une au moins est mineure sans les avoir jamais vues !
- Le juge doit diligenter une expertise médicale ou une enquête sociale. Cela veut dire que ces mesures ne sont pas obligatoires ensemble. Le juge peut se contenter d’une seule. Dans le jargon juridique, elles sont alternatives et non cumulatives. L’enquête sociale n’est pas explicitée ni encadrée. Rappelons qu’il n’y a pas de corps d’assistantes sociales au Maroc.
- La décision du juge d’autoriser le mariage du mineur ne peut faire l’objet de recours. Cela veut dire que même le mineur concerné ne peut pas la contester, encore moins les associations, la société civile, voire un tiers qui constate un mariage forcé (un voisin par exemple).
Que disent les statistiques ?
Environ 300.000 mariages sont célébrés chaque année au Maroc. Près de 13.000 concernent des mineurs, soit environ 4,5% du total. La majorité des autorisations (92%) concernent des filles mineures alors que les garçons concernés représentent 8%, soit un millier par an. Le mariage des mineurs n’est donc pas exclusif aux filles. D’après des enquêtes du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) et de l’Association démocratique des femmes du Maroc, 50 à 60% des mariages de mineurs se soldent par un divorce au bout de 2 à 5 ans. La cause principale de ces divorces est les violences conjugales physiques, économiques ou psychologiques, vient ensuite l’abandon du domicile souvent lié à la pression de la famille du conjoint et enfin le rejet de l’époux.
Au-delà de l’échec conjugal, ces ruptures précoces ont des retombées lourdes sur la vie des jeunes filles concernées :
Au-delà de l’échec conjugal, ces ruptures précoces ont des retombées lourdes sur la vie des jeunes filles concernées :
- Isolement social : nombre d’entre elles sont rejetées par leurs familles une fois divorcées.
- Vulnérabilité économique : 80% ne disposent d’aucune source de revenus autonome, les rendant dépendantes d’aides ou livrées à elles-mêmes.
Arguments de ceux qui militent pour l’interdiction du mariage des mineurs
Les partisans de l’interdiction totale du mariage avant 18 ans avancent plusieurs arguments, à la fois juridiques, sociaux, sanitaires et économiques. Selon eux, la suppression des dérogations judiciaires est indispensable pour protéger les mineurs, en particulier les filles, des effets délétères de ces unions précoces.
- Violation des droits de l’enfant : autoriser le mariage d’un mineur est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant que le Maroc a ratifiée, plus particulièrement le droit à l’éducation (décrochage scolaire), le droit à la santé (risques accrus pour les filles mineures) et le droit à la protection contre l’exploitation (mariages forcés ou économiquement motivés). 70% des mineurs mariés sont sans éducation secondaire, 60% des cas sont liés à des familles pauvres et 85% sont des mineurs ruraux.
- Conséquences sanitaires graves : mortalité maternelle, les grossesses précoces augmentent les risques de complications. Violences obstétricales : corps immature, césariennes en urgence, santé mentale, dépression, suicides.
- Perpétuation de la pauvreté : cycle de précarité. Les filles mariées jeunes sont moins éduquées, donc moins employables. Leurs enfants ont toutes les chances de perpétuer le cercle vicieux de la pauvreté.
- Inégalités de genre : les filles constituent près de 90% des mineurs concernés par ces mariages. Cette disproportion traduit une vulnérabilité structurelle et contribue à renforcer leur marginalisation sociale. Dans de nombreux cas, ces unions sont arrangées, voire imposées, sans que les jeunes filles puissent exprimer librement leur consentement ou faire valoir leur volonté.
- Échec des dérogations judiciaires, comme pour les arnaques aux certificats médicaux. Certaines expertises seraient truquées pour «prouver» la maturité.
- Pression sociale sur les juges : en zones rurales, les autorisations sont souvent accordées sous la pression des familles et de notables qui intercèdent pour elles (réservoir de voix électorales).
En plus de l’interdiction totale, la société civile revendique des sanctions pour les juges, les officiers d’état civil et les familles complices qui contourneraient cette interdiction. Elles recommandent des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les campagnes, ainsi que des alternatives économiques pour les familles pauvres, afin d’éviter les mariages par nécessité.
Arguments de ceux qui militent pour le maintien de l’autorisation exceptionnelle du mariage des mineurs
Arguments de ceux qui militent pour le maintien de l’autorisation exceptionnelle du mariage des mineurs
Face aux appels à une interdiction totale, certains acteurs plaident pour le maintien du régime dérogatoire prévu par le Code de la famille. Leurs arguments, d’ordres religieux, sociaux, économiques ou juridiques, s’appuient sur des réalités locales et des considérations identitaires.
- Arguments religieux et coutumiers, notamment l’interprétation de la Charia. Certains acteurs religieux estiment que l’Islam n’interdit pas le mariage des mineurs si la «puberté» est atteinte. Le respect des traditions veut qu’en milieu rural, le mariage précoce soit souvent perçu comme une norme sociale (mariages arrangés entre familles).
- Arguments socio-économiques, la pauvreté et la pression familiale. Dans certaines régions, les familles pauvres voient le mariage comme une solution pour réduire le nombre de bouches à nourrir, éviter les grossesses hors mariage (stigmatisées) et bénéficier d’une dot, souvent perçue comme une aide économique. De même, certains considèrent que le mariage est un moyen de «protéger» les adolescentes des «dérives».
- Arguments juridiques et pragmatiques, comme le droit à l’exception. Les partisans des dérogations jugent que la flexibilité judiciaire permet de traiter des cas «exceptionnels» comme une grossesse précoce. Ils critiquent en outre ce qu’ils qualifient d’ingérence occidentale, perçue comme une imposition de valeurs étrangères, contraires à l’identité marocaine.
- Résistances politiques et institutionnelles. Des partis politiques adeptes de courants conservateurs et des élus locaux s’opposent à une réforme radicale, par crainte de perdre leur électorat.
Un dernier argument, développé récemment par les défenseurs du mariage des mineurs est le risque de déclin démographique. Nabil Adel, économiste, universitaire et chercheur, membre du conseil national du Mouvement populaire, s'exprimait dans «Tel Quel» (N°1133 du 15/05/2025 P. 10). À la question : «C’est seulement si la nouvelle Moudawana continue d’autoriser le mariage des mineurs que l’on pourra sauver le Maroc du déclin démographique ?» Sa réponse était : «Oui, bien sûr. Soyons précis (...) À 16 ans, on n’est plus un enfant : on est adolescent. On peut travailler sans autorisation parentale ni décision du juge (...) concernant le mariage à 16 ans, il est encadré : il faut une autorisation parentale et l’intervention d’un juge».
Une troisième voie
Le contexte socioéconomique marocain, les idées ancrées dans la société marocaine et les niveaux de développement inégaux entre villes et campagnes, entre régions reculées et régions désenclavées, avec des spécificités régionales marquées comme dans le Rif, le moyen Atlas ou les provinces du Sud, tout ceci amène à privilégier un cadre qui traite de la question dans le détail en tenant compte du seul intérêt du mineur et sa protection non pas à l’instant, mais pour les décennies à venir, d’où la question : qu’est-ce qui fait qu’un mineur va se marier avant l’âge légal ?
Tous les motifs invoqués ci-dessus peuvent justifier un tel mariage. Il s’agira tout simplement de vérifier si ce mariage contribuera réellement à régler un/des problème (s) ou plutôt à en créer ? Il est donc proposé de consacrer un livre dans le nouveau Code de la famille et non pas 4 articles comme c’est le cas actuellement. Il sera intitulé : «Du mariage du mineur». Il édictera des règles et des conditions strictes qui partent du principe que nous sommes en train de transférer une autorité parentale sur mineur à une autorité conjugale sur mineur.
Comme première conséquence, il y a lieu de prévoir un contrôle judiciaire pour prévenir toutes sortes d’abus. Ce contrôle s’exerce à deux niveaux. Avant la conclusion du mariage et pendant le mariage, avec un dispositif de protection post rupture des liens du mariage. C’est pour cette raison qu’il va falloir soumettre chaque demande d’autorisation de mariage de mineur à une grille à plusieurs entrées.
Tous les motifs invoqués ci-dessus peuvent justifier un tel mariage. Il s’agira tout simplement de vérifier si ce mariage contribuera réellement à régler un/des problème (s) ou plutôt à en créer ? Il est donc proposé de consacrer un livre dans le nouveau Code de la famille et non pas 4 articles comme c’est le cas actuellement. Il sera intitulé : «Du mariage du mineur». Il édictera des règles et des conditions strictes qui partent du principe que nous sommes en train de transférer une autorité parentale sur mineur à une autorité conjugale sur mineur.
Comme première conséquence, il y a lieu de prévoir un contrôle judiciaire pour prévenir toutes sortes d’abus. Ce contrôle s’exerce à deux niveaux. Avant la conclusion du mariage et pendant le mariage, avec un dispositif de protection post rupture des liens du mariage. C’est pour cette raison qu’il va falloir soumettre chaque demande d’autorisation de mariage de mineur à une grille à plusieurs entrées.
- Le mineur : sa situation, comme le niveau d’instruction, son statut familial (orphelin, famille désunie, etc.), l’état patrimonial de sa famille, son état psychique, surtout son avis. Il est donc primordial qu’il soit vu par un médecin qui diagnostique son état psychologique et sa capacité physiologique à assumer une union conjugale.
- Les parents ou ceux qui ont la tutelle du mineur : leur motivation réelle et profonde pour un tel mariage.
- Le futur conjoint : son âge, son degré d’instruction, son statut familial (veuvage ou premier mariage ? si conjoint homme : polygame ? situation patrimoniale (capacité à prendre en charge le conjoint), etc.
Une fois ces étapes accomplies et à condition que les avis soient favorables, le juge a l’obligation de recevoir seul le mineur, l’entendre et lui demander formellement d’exprimer sa volonté. Il doit également entendre le futur conjoint. Tout ceci est consigné dans le jugement d’autorisation ou de refus. La décision du juge doit être susceptible de recours, et ce recours est suspensif. Ceci veut dire qu’il empêche la conclusion du mariage jusqu’à la décision en appel.
Afin de protéger le mineur, le contrat de mariage va contenir un certain nombre de clauses obligatoires qui vont neutraliser certaines dispositions du droit commun (contrat type à annexer au Code de la famille) :
Afin de protéger le mineur, le contrat de mariage va contenir un certain nombre de clauses obligatoires qui vont neutraliser certaines dispositions du droit commun (contrat type à annexer au Code de la famille) :
- La dot est consignée dans un compte indisponible au nom du conjoint mineur dont il n’aura la disposition qu’après avoir atteint 18 ans. Ceci, pour éviter les situations de parents mariant leurs enfants moyennant compensation financière.
- Le conjoint mineur bénéficie de la prise en charge totale, alimentaire, habillement, médicale et autre de la part de son conjoint. Toute renonciation à ses droits est inopposable.
- Le conjoint mineur doit être hébergé dans un logement individuel. Il ne peut cohabiter avec un autre conjoint en cas de polygamie et ni habiter chez la famille du conjoint.
- Pendant le mariage et pour une durée à déterminer, une enquête annuelle doit être diligentée par les services sociaux de l’État, pour vérifier les conditions de vie du conjoint mineur, l’état du domicile, ainsi qu’une visite médicale, pour s’assurer qu’il n’y a pas de violences. Cette enquête est communiquée au juge de la famille et au parquet.
- Des règles spécifiques doivent être mises en place pour toute rupture du lien de mariage d’un mineur, notamment l’indemnisation du conjoint mineur divorcé, quel que soit le motif du divorce, avec une indemnisation majorée si le divorce intervient après moins de 2 ans depuis le mariage, par exemple, avec une pension sur une durée à déterminer, même s’il n’y a pas d’enfants issus du mariage, le maintien dans le logement, etc.
L’idée in fine est de faire comprendre à tout candidat à un mariage avec un mineur qu’il endosse une responsabilité dont il répondra sur de longues années. De cette manière l’on saura si c’est un mariage conclu sur des bases solides ou si c’est juste un caprice.
Nouvelles réalités dans le monde rural
Les dynamiques sociales évoluent rapidement, y compris dans les zones rurales longtemps considérées comme immuables. L’accès croissant aux smartphones et aux réseaux sociaux modifie profondément les interactions entre adolescents. Ces outils, en permettant des échanges virtuels et des rencontres en ligne, favorisent la formation de liens affectifs en dehors du cadre familial traditionnel. Dans ce contexte, certaines adolescentes aspirent à quitter un environnement jugé contraignant ou peu épanouissant pour fonder leur propre foyer. Ce rêve d’autonomie, parfois idéalisé, peut les amener à envisager le mariage comme une échappatoire ou un accomplissement, bien qu’elles ne disposent pas toujours de la maturité émotionnelle ou des repères nécessaires pour évaluer pleinement les implications d’une vie conjugale. Ces réalités nouvelles complexifient le phénomène du mariage des mineurs et invitent à repenser les réponses institutionnelles au-delà des schémas classiques de contrainte ou de tradition.