Par Dr Mondher Letaief, représentant par intérim de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au Maroc
Bien que la résistance aux antimicrobiens soit un phénomène qui survient naturellement au fil du temps par des changements génétiques chez les bactéries, virus, champignons et parasites ; son accélération et sa propagation sont fortement accélérées par les activités humaines. Il s’agit en particulier de la mauvaise utilisation et la surutilisation des antimicrobiens (antibiotiques, antiviraux, antifongiques, antiparasitaires) chez l’homme, l’animal et dans l’agriculture. Cet usage abusif favorise l’apparition de souches résistantes, rendant les infections plus difficiles à traiter et augmentent le risque de complications graves, voire de décès.
On trouve des organismes résistants aux antimicrobiens chez l’être humain, l’animal, dans les aliments, les plantes et l’environnement (eau, sol et air). Ils peuvent se transmettre d’une personne à l’autre, de l’homme à l’animal et vice versa, et via la chaine alimentaire, notamment à partir d’aliments d’origine animale. La RAM entraine de lourdes conséquences : des séjours hospitaliers prolongés, des coûts médicaux plus élevés, des handicaps permanents et même la mort. La RAM nuit déjà à notre santé, à nos systèmes alimentaires, à notre environnement et à nos économies. Ce n’est pas un défi futur : nous sommes face à un fléau qui se produit maintenant.
En 2021, ce phénomène a été associé à près de 5 millions de décès, dont 1,14 million de décès directement causés par la RAM. A cette cadence, la résistance aux antimicrobiens pourrait coûter la vie à 39 millions de personnes d’ici à 2050. Selon l’OMS, en 2023, une infection bactérienne sur 6 était résistante aux traitements antibiotiques. La situation est plus préoccupante dans la région de la Méditerranée Orientale, dont fait partie le Maroc, où une infection sur 3 est résistante aux antimicrobiens.
Les infections résistantes aux médicaments augmentent, mais la sensibilisation, les investissements et les actions restent insuffisants. La RAM fragilise nos systèmes de santé, nos économies et nos écosystèmes. Mais il est encore possible de ralentir la résistance aux antimicrobiens si nous agissons ensemble pour préserver l’efficacité des médicaments antimicrobiens et sauver des vies.
Face à cette menace croissante, une mobilisation globale s’impose, impliquant l’ensemble des parties prenantes intervenant tout au long du cycle de vie des antibiotiques, dans le but de préserver la santé des populations. Cette lutte repose sur l’approche « Une seule santé/One Health », qui reconnaît que la santé des êtres humains, des animaux et de l’environnement sont étroitement liées et appelle à une action coordonnée et multisectorielle.
La lutte contre la RAM appelle à une action mondiale et intégrée. L’OMS a développé plusieurs outils pour soutenir les pays, y compris des plans d’action, des guides et des outils d’évaluation destinés aux institutions médicales. En 2001, l’OMS a élaboré une Stratégie mondiale pour la maîtrise de la résistance aux antimicrobiens qui proposait un cadre d’interventions visant à ralentir l’émergence de la résistance aux antimicrobiens et à limiter sa propagation. En mai 2015, la Soixante-Huitième Assemblée mondiale de la Santé a adopté un plan d’action mondial pour combattre le problème grandissant de la résistance aux antibiotiques et aux autres médicaments antimicrobiens.
Au Maroc, la lutte contre la RAM a été inscrite parmi les priorités nationales à travers l’élaboration et la mise en œuvre d’un Plan stratégique national de prévention et de contrôle de la résistance aux antimicrobiens. Un comité interministériel a également été créé, composé des représentant.e.s des directions techniques des ministères en charge de la santé, de l’agriculture et de l’environnement. Mais les efforts doivent se poursuivre, de manière concertée et selon une approche intégrée.
La lutte contre la résistance aux antimicrobiens est l’affaire de tou.te.s. Les gouvernements, les professionnel.le.s de la santé, les pharmacien.ne.s, les agriculteurs, les industriels, les agriculteurs et les individus... nous avons tous un rôle à jouer pour limiter la propagation de ce fléau. La sensibilisation du grand public, la formation des professionnel.le.s de santé et des agriculteurs, et les investissements en santé sont des actions essentielles pour préserver l’efficacité des antimicrobiens et garantir un avenir plus sûr et la santé pour tous.
