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À Marrakech, les gardiens du patrimoine dansent avec le cœur

Chaque année, Marrakech s’anime au rythme du Festival national des arts populaires (FNAP), rendez-vous incontournable qui célèbre la richesse et la diversité du patrimoine culturel marocain. L’édition 2025 s'est déroulée cette année du 3 au 7 juillet, réunissant pendant cinq jours des artistes venus de toutes les régions du Royaume, prêts à partager leurs danses, chants et savoir-faire ancestraux au cœur de la ville ocre.

Au cœur des nuits vibrantes du 54e Festival national des arts populaires de Marrakech, le folklore marocain se raconte sans discours : il se vit, il se danse, il se transmet. Sur les scènes, ce ne sont pas seulement des spectacles qu’on découvre, mais des fragments d’âme, offerts avec générosité par des artistes venus de toutes les régions du Royaume.

Ils sont chanteurs, danseuses, percussionnistes, porteurs de costumes chamarrés ou de gestes ancestraux. Mais surtout, ils sont les gardiens vivants d’un patrimoine immatériel que beaucoup croyaient réservé aux livres. À travers leurs pas, leurs chants, leurs regards, ils portent haut les couleurs d’un Maroc multiple et fièrement enraciné.
Une passion chevillée au corps

Ce qui frappe, bien au-delà de la beauté des chorégraphies ou de la richesse des tenues traditionnelles, c’est l’engagement de ces femmes et de ces hommes qui, souvent en dehors de toute reconnaissance médiatique, consacrent leur temps, leur énergie et leur talent à faire vivre les traditions de leur région. Ils traversent montagnes, vallées et plaines, parcourant parfois plusieurs centaines de kilomètres, simplement pour partager leur joie, leur savoir-faire, leur mémoire vivante. Leur présence à Marrakech est une offrande — à la fois un geste de fidélité à leurs origines et une déclaration d’amour à un patrimoine qu’ils refusent de voir disparaître.

Pour eux, participer au festival n’est pas un simple engagement artistique. C’est un acte de fidélité à leurs ancêtres, une manière de dire : «Nous sommes encore là, nous dansons encore, nous chantons encore, nous croyons en notre culture.»


Une reconnaissance touchante

Beaucoup d’artistes rencontrés dans les coulisses expriment leur reconnaissance pour cette grande fête du folklore, qui leur offre une visibilité nationale, mais surtout, un espace de respect et de chaleur humaine. «On se sent bien accueillis, à notre place, presque comme chez nous», confie une chanteuse amazighe venue des montagnes du Haut Atlas, dans sa langue natale. Ses mots, sobres mais intenses, sont traduits par un autre membre de sa troupe.

L’organisation, souvent saluée pour sa logistique fluide, prend soin de créer une atmosphère conviviale. Les repas sont partagés, les rires fusent dans leur lieu de résidence et les différences s’estompent au rythme des tambours.


Les femmes au-devant de la scène

Les femmes occupent aujourd’hui une place de plus en plus centrale dans les troupes. Dans certains groupes, elles dirigent, chantent, imposent le rythme, tout en incarnant une mémoire féminine du territoire.

Dans certaines troupes du Sud, ce sont elles qui transmettent les savoir-faire des chants collectifs. À l’Ouest, elles stylisent les youyous comme des ponctuations poétiques. Et à Marrakech, elles mènent des danses entières avec une maîtrise qui force l’admiration.

La troupe des Houara, par exemple, attire chaque année l’attention. Avec une présence féminine remarquable et une gestuelle précise, elle incarne une fusion subtile entre grâce et puissance. Le pas de la gazelle n’est plus un simple clin d’œil animalier : c’est un art chorégraphique, millimétré, où chaque battement de tambour est une phrase, chaque saut une mémoire.


Une transmission intergénérationnelle

Derrière chaque danse, il y a des heures d’apprentissage, de répétitions, de récits murmurés par les anciens. Les plus jeunes membres des troupes observent avec une ferveur quasi religieuse les gestes de leurs aînés. C’est ainsi que les traditions continuent à vivre, non pas dans l’enfermement, mais dans une perpétuelle réinvention fidèle à l’esprit d’origine.


Un hommage à la modernité et à la tradition

Cette année, invitée d’honneur du FNAP, Saïda Charaf, icône de la chanson hassanie, a exprimé sa fierté de participer à cet événement organisé dans un lieu aussi symbolique que le Palais El Badii. Elle a salué le travail de toute l’équipe organisatrice et a souligné la chaleur humaine et l’écoute qui caractérisent cette grande fête populaire. Elle a également dévoilé son dernier projet artistique, le single «Lila Lila», un clip vidéo qui mêle habilement les sonorités traditionnelles hassanies à des arrangements musicaux contemporains. Ce travail, fruit d’une collaboration avec des talents marocains renommés, reflète son attachement profond à la culture du Sud marocain tout en ouvrant de nouvelles voies artistiques.

Le clip, tourné avec des techniques de pointe incluant l’intelligence artificielle, met en valeur les costumes et danses folkloriques de la région, illustrant ainsi la capacité du patrimoine à se réinventer sans perdre son âme.


Un souffle d’authenticité

Le Festival national des arts populaires n’est pas seulement un événement annuel. Il est, pour tous ces artistes, un souffle, une reconnaissance, un rappel que le patrimoine ne se conserve pas dans les vitrines mais sur les planches, dans les corps, les voix, les regards.

Et tant qu’ils seront là, passionnés, sincères, prêts à traverser les montagnes, les dunes et les plaines pour partager leur art, le folklore marocain restera vivant, vibrant, fièrement enraciné et ouvert au monde.

Rkya L’Gadir, la mémoire vivante d’Ahouach Talmasset

Parmi les moments les plus touchants du Festival (FNAP) de Marrakech, l’hommage rendu à Rkya L’Gadir, figure emblématique d’Ahouach Talmasset, a marqué les esprits. Cette dame au visage doux et à la voix solide est bien plus qu’une artiste : elle est la gardienne d’une tradition transmise, chantée et dansée depuis des décennies. Originaire du sud du Maroc, Rkya a intégré sa troupe à l’âge de 12 ans, portée par la passion des siens et la ferveur de son village pour les arts populaires. Depuis, elle n’a jamais cessé de danser, de chanter et d’enseigner. Aujourd’hui encore, bien qu’avancée en âge, elle continue à monter sur scène avec dignité et humilité.

«Tout est joie, tout est beauté», glissait-elle dans un souffle ému, au moment de recevoir l’hommage du FNAP. Entourée de ses proches et saluée par le public, elle rappelait combien les valeurs de transmission, d’hospitalité et de fierté identitaire sont au cœur de sa démarche artistique.

À travers sa troupe, plusieurs membres de sa famille perpétuent l’héritage : des neveux, des cousins, mais surtout sa fille, qui incarne aujourd’hui la relève. À leurs côtés, les chants, les tambours et les pas d’Ahouach résonnent toujours avec la même intensité qu’aux débuts de Rkya.

Quand on l’interroge sur la place des femmes dans cet art, elle sourit : «Avant, c’était plus difficile. Aujourd’hui, nous sommes là, debout, respectées. Nous avons montré que nous pouvions porter cette tradition autant que les hommes». Son regard, lumineux, dit tout : le respect conquis de haute lutte, la fierté de voir les jeunes suivre ses traces, et la conscience d’avoir, à sa manière, participé à la sauvegarde d’un pan entier du patrimoine immatériel marocain.

Lakssis Abdessamad, mémoire vive du Gnaoua marrakchi

Hommage appuyé du Festival national des arts populaires (FNAP) à Lakssis Abdessamad, figure incontournable de la scène gnaouie à Marrakech. Cet artiste incarne, depuis plus de quatre décennies, l’âme d’une tradition musicale et spirituelle unique. Pour lui, ce geste symbolique «est d’abord une responsabilité», confie-t-il avec gravité. «Le vrai hommage, c’est ce que nous faisons pour transmettre et faire grandir notre art.» Son parcours débute en 1982, à une époque où peu de jeunes embrassaient encore cette voie. En 1988, il foule pour la première fois la scène du Palais El Badiî, au sein du FNAP, aux côtés de Hamidou Ben Messaoud – une légende du genre. Une expérience fondatrice. Son ambition est de former une nouvelle génération, plus instruite et consciente de l’héritage qu’elle porte.

Car pour lui, «un bon Mâalem ne naît pas dans les coulisses. Il faut passer par l’école, apprendre, pratiquer, rester humble». Le mot éducation revient souvent dans son discours, comme une clef de voûte entre le passé et l’avenir.

Il regarde avec bienveillance les évolutions du Festival, tout en appelant à un nouvel élan, à la hauteur de son histoire. «C’est l’un des plus anciens festivals du Maroc. Il mérite une vraie réflexion de la part des autorités sur son avenir. Il peut devenir un rendez-vous de rayonnement international, tout en restant fidèle à ses racines.»

Avec ses mots mesurés, mais portés par une grande conviction, Lakssis Abdessamad rappelle que les Gnaoua ne sont pas que des musiciens : ils sont porteurs d’une mémoire mystique, thérapeutique, communautaire. Et que si Marrakech continue à vibrer au rythme du Guembri et des crotales, c’est aussi grâce à des passeurs comme lui – enracinés, généreux, et profondément investis dans la transmission.

La danse des Hassada : un art enraciné dans la terre et la solidarité

La troupe Al Hassada, venue de la région d’Assilah, s’est imposée lors du Festival national des arts populaires de Marrakech par une prestation authentique et pleine de sens. Sa danse s’inspire directement du métier ancestral de moissonneur, transformant les gestes du travail agricole en une chorégraphie vivante où se mêlent rythme, mémoire collective et lien social.

Avant l’arrivée des machines, les paysans travaillaient ensemble avec des outils simples, mais symboliques : charrues tirées par des bêtes, faucilles pour la coupe, bouquets de récoltes... La troupe restitue fidèlement ces gestes, rythmés par les percussions et habillés d’accessoires traditionnels : tabliers, turbans... Chaque mouvement est un écho du quotidien rural d’autrefois et témoigne du respect profond porté à cette culture agricole.

Au-delà de la technique, la danse célèbre cette entraide solidaire entre agriculteurs lors de la période de la moisson. Ce moment, bien plus qu’un simple labeur, est un temps de partage et de fête, où la communauté se rassemble pour avancer ensemble. Par leur art, les Hassada perpétuent cette tradition en la rendant accessible et vivante sur scène, assurant la transmission d’un patrimoine souvent menacé.

Ainsi, la troupe Al Hassada allie avec finesse la fidélité à son héritage et l’adaptation aux exigences de la scène contemporaine. Leur spectacle est un vibrant hommage au monde rural marocain, à ses valeurs d’entraide, de travail collectif, et à la beauté d’une culture millénaire qui continue de nourrir l’âme du pays.
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