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Cinéma : «Demba», un deuil qui traverse les silences

Présenté au FICAK 2025, le long métrage du réalisateur sénégalais Mamadou Dia plonge avec justesse dans l’intimité d’un homme rongé par le deuil et le mutisme émotionnel.

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Dans une salle en recueillement au Festival international du cinéma africain de Khouribga (FICAK), c’est un drame sensible et profondément humain qui a retenu l’attention des festivaliers : «Demba», du cinéaste sénégalais Mamadou Dia. Avec cette œuvre profondément personnelle, le réalisateur du «Père de Nafi» explore les failles intimes laissées par le deuil et, plus encore, le poids du non-dit dans les sociétés où la santé mentale reste un sujet marginalisé.

Un homme au bord de la rupture

Demba, la cinquantaine, arrive au terme de sa carrière dans une mairie du nord du Sénégal. Mais l’heure n’est pas à la célébration. Deux ans après la mort de sa femme, il peine à reprendre pied. Sa vie professionnelle vacille, ses rapports familiaux se tendent, et sa santé mentale se dégrade, dans une société où exprimer la souffrance est souvent perçu comme une faiblesse. Interprété avec une bouleversante retenue par Ben Mahmoud Mbow, le personnage avance, perdu, entre souvenirs, hallucinations et réalité morcelée.

Mamadou Dia ne filme pas le deuil comme une succession d’étapes linéaires. Il capte plutôt ses à-coups, ses boucles, ses silences. La narration, non chronologique, mêle flash-backs et errances mentales, traduisant l’état de confusion intérieure du protagoniste.

Entre thérapies modernes et rituels anciens

Face à l’incompréhension de ses collègues et au mutisme qu’il entretient avec son fils Bajjo, Demba entame un parcours de guérison chaotique. Il consulte un psychiatre, sans réelle conviction, puis se tourne vers des rituels traditionnels parfois violents, illustrant ce va-et-vient entre médecine moderne et pratiques ancestrales encore bien ancrées

au Sénégal.

Un parallèle est suggéré : dans un pays où l’on peut porter un boubou et tenir un smartphone, l’approche du soin est, elle aussi, multiple et hybride.

Un film inspiré d’une histoire vécue

Le film s’ancre dans une expérience intime. Mamadou Dia a lui-même traversé une période de dépression suite à la perte de sa mère. Longtemps, il n’a pas mis de mots sur cet état – en peuhl, explique-t-il, le terme «dépression» n’existe pas. C’est aux États-Unis, à la faveur d’un accompagnement thérapeutique, qu’il a pu en prendre conscience. «Comment guérir ce qu’on ne peut pas nommer ?», interroge le réalisateur, pour qui «Demba» devient un geste cathartique autant qu’un plaidoyer.

Un cinéma sensoriel et communautaire

La caméra de Sheldon Chau, déjà chef opérateur du «Père de Nafi», capte la lumière douce du fleuve Sénégal et la texture des intérieurs, construisant une ambiance tantôt réaliste, tantôt flottante.

L’esthétique, à la fois soignée et discrète, sert un récit fragmenté, marqué par l’oralité, les contes et les figures fantomatiques comme celle de Pekane, personnage à la frontière entre folie et lucidité.

Mais au cœur du film, c’est bien la communauté qui finit par apparaître comme un possible chemin de résilience. Le regard inquiet, mais aimant du fils, la sollicitude maladroite des voisins, ou encore la fête populaire du Tajabone – moment de travestissement pour tromper la mort – participent d’un élan collectif vers la guérison.

«Demba» est un film à ressentir plus qu’à comprendre.

Il invite à poser un regard neuf sur ceux qui souffrent en silence, et questionne les tabous persistants autour de la santé mentale dans nos sociétés. Sans pathos ni simplification, le film propose un voyage intérieur où chaque spectateur est amené à s’ouvrir et à écouter autrement.

Mamadou Dia, une voix singulière du cinéma sénégalais

Né en 1984 à Matam, dans le nord-est du Sénégal, Mamadou Dia est un réalisateur, scénariste et producteur qui s’impose comme l’une des figures montantes du cinéma africain contemporain.

Fils d’imam, il grandit dans un environnement marqué par la tradition, mais son regard s’ouvre très tôt grâce à la télévision visionnée dans la cour de ses voisins. Après des études de géographie physique et une expérience de vidéo-journaliste à travers l’Afrique, il choisit de se consacrer au cinéma et part se former à la Tisch School of the Arts (New York University), où il obtient un master en écriture et réalisation.

Son court métrage «Samedi Cinéma» (2016) est sélectionné à la Mostra de Venise et au TIFF, avant que «Le Père de Nafi» (2019), son premier long métrage, ne vienne révéler tout son talent.

Le film, tourné à Matam, explore la montée de l’extrémisme à travers le destin de deux frères. Récompensé à Locarno (Meilleur premier film et Léopard d’or, section «Cinéastes du présent»), il représente le Sénégal aux Oscars 2021.

En 2024, Mamadou Dia revient avec «Demba», présenté à la Berlinale dans la section Encounters.
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