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Les doléances des Marocains sont-elles toutes réelles ? Réponse avec Jamal Khalil

À chacun des rapports du Haut-Commissariat au Plan, le moral des Marocains semble décliner. Les échos provenant de la sphère publique, du milieu des affaires et de la presse semblent confirmer un mécontentement croissant. Toutefois, le professeur émérite de sociologie Jamal Khalil nuance cette impression, en affirmant que le citoyen a encore des opportunités qu’il est en droit et en devoir de saisir.

Jamal Khalil, professeur émérite de sociologie
Jamal Khalil, professeur émérite de sociologie
Selon Khalil, l’absence d’un discours positif dans la sphère publique est à prendre avec des pincettes. «Tout le monde se plaint, mais cela ne signifie pas pour autant que tout le monde est pessimiste», affirme-t-il. S’il ne nie pas que certaines doléances sont réelles, il soutient que d’autres semblent relever d’une habitude culturelle ou d’une crainte d’être envié. En outre, le sociologue souligne la tendance chez les jeunes de se montrer nostalgiques d’une époque révolue, sans forcément reconnaître que les conditions de vie n’étaient pas nécessairement meilleures. La comparaison aux autres sur les réseaux sociaux accentue ce phénomène, alors que ce qu’on voit sur internet ne représente pas tout à fait la réalité», note-t-il.



Il va plus loin en évoquant le lien entre cette négativité et le mécontentement vis-à-vis des élites. Pour Jamal Khalil, le discours pessimiste devient une forme de protestation contre la performance de la classe dirigeante, que ce soit au niveau local ou national. «Comme on n’a pas une longue expérience démocratique, on ne sait prendre la parole sans s’emporter. Les affects sont exacerbés nuisant à la communication saine et efficace. C’est un apprentissage que de discuter de façon dépassionnée et rationnelle et cela prend du temps et de l’organisation. Le moral des Marocains n’est pas plus bas qu’ailleurs, c’est juste qu’il faut canaliser la colère et agir à la place», explique-t-il.

Les politiques nous lisent-ils ?

Sans aller jusqu’à minimiser l’importance de l’état économique et financier, le sociologue insiste sur le fait que la satisfaction pleine des Marocains repose sur plusieurs autres paramètres tout aussi cruciaux. «La liberté de circuler, de s’exprimer en toute sécurité, l’égalité homme-femme... On est, certes, mieux qu’il y a vingt ans, mais nous sommes toujours sur le chemin du changement. Je préfère qu’on se compare à hier, plutôt que de dire “Regardez le Danemark !”», déclare-t-il.



Connaît-on en profondeur la société marocaine ? Des études et des analyses de la société existent bel et bien selon le sociologue. «Les universités et les centres d’analyse produisent un certain nombre d’études et de rapports, mais est-ce que les politiques lisent ces rapports ?» Il rappelle que si aujourd’hui un élu doit avoir au minimum un certificat d’études primaires, pendant longtemps les élus pouvaient être totalement analphabètes. En admettant que la classe dirigeante soit capable de s’emparer des analyses sociétales pour les traduire en actions concrètes, Jamal Khalil estime que le résultat dépendra du choix politique de chaque gouvernement, selon sa vision et son projet sociétal. «Le dilemme actuel entre augmenter les salaires ou instaurer l’austérité se pose partout dans le monde et le Maroc n’y échappe pas», cite-t-il à titre d’exemple.

L’état peut-il être social ?

À la question sur la gouvernance marocaine actuelle, qui semble calquer les méthodes de gestion sur celles d’une entreprise, où la rentabilité prime sur l’aspect humain et où le citoyen non performant ou fragile est considéré comme un poids, Jamal Khalil répond que le concept même d’État social est assez contradictoire, car l’État repose sur l’exercice de la force légitime, tandis que le social relève des relations humaines solidaires. Pour lui, «l’État ne cédera jamais rien tant que le peuple n’a pas assez de poids pour revendiquer et arracher ses droits. C’est aux citoyens donc d’exercer un contre-pouvoir par l’exercice sain de la démocratie».

Enfin, Jamal Khalil rappelle que dans une conjoncture mondiale difficile, les Marocains doivent se rappeler l’Histoire millénaire du Maroc. «Isolé géographiquement, notre pays a développé au fil des siècles des spécificités qui lui ont permis de traverser les crises. Parmi ces traits distinctifs, il y a cette incroyable capacité à regarder l’autre, cette chaleur dans les relations humaines et une identité profondément ancrée dans la solidarité. Nous ne sommes pas encore devenus totalement individualistes et c’est là peut-être notre salut», conclut-il.
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