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Des nouvelles du FLAM : Quand la littérature perce le mur du son

La littérature a-t-elle pour vocation d’être la voix des sans voix ? C’est la question qui a animé une table ronde lors de la première journée du Festival du livre africain de Marrakech. Si les auteurs présents s’accordent à dire que l’écrit permet parfois de donner une voix aux oubliés de l’Histoire, ils insistent cependant sur le fait que cela reste une conséquence, et non une motivation première de l’acte d’écrire.

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Amira Ghenim, enseignante et romancière, a accumulé des manuscrits sans chercher à les publier immédiatement. Ce n’est qu’en livrant son premier roman qu’elle réalise qu’elle porte, sans l’avoir prémédité, la voix d’une communauté réduite au silence. Une expérience similaire est partagée par Abdurrahman Waberi, dont l’œuvre est principalement marquée par l’exil. Pourtant, il a été surpris par l’impact de son avant-dernier roman, «Papa pourquoi tu danses quand tu marches ?», dans lequel il aborde son handicap physique causé par la poliomyélite. Il découvre alors que son récit résonne auprès d’une autre communauté qui se reconnaît dans son histoire.



Anaelle Jonah, autrice franco-marocaine, et M’barek Beyrouk, écrivain mauritanien, apportent une nuance : s’ils offrent une voix et une histoire à des communautés parfois marginalisées, ils n’inscrivent pas pour autant leur littérature dans une démarche explicitement militante. Pour eux, écrire, c’est exprimer la complexité du monde et la détresse des individus, sans nécessairement adopter un ton accusateur ou revendicatif. Leur activité journaliste parallèle n'altère donc en rien leur sensibilité de romanciers.

Qui peut parler au nom des autres ?

Parler au nom des sans voix suppose une certaine légitimité. M’barek Beyrouk met en garde contre ceux qui abordent des sujets qu’ils ne maîtrisent pas : une démarche qui, selon lui, peut nuire à l’authenticité du propos. Néanmoins, il revendique la liberté totale de l’écrivain d'aborder tous les sujets qui lui plaisent. Une position partagée par Abdurrahman Waberi, qui note que cette question de la légitimité est moins présente dans le monde francophone qu’aux États-Unis, où la notion d’appropriation culturelle suscite de vifs débats.

L’impact de l’écriture est parfois imprévisible. Anaelle Jonah évoque l’accueil très positif de son livre sur les enfants réunionnais envoyés en métropole pour repeupler les campagnes après l’exode rural. En revanche, Amira Ghenim a connu une expérience différente : son roman «Le Désastre de la maison des notables», initialement publié en arabe, n’a suscité de réactions négatives qu’après sa traduction en français, notamment de la part de la bourgeoisie tunisoise qu’il décrit.

Face à la censure

Les quatre écrivains s’accordent sur un point : leur liberté d’écrire, malgré les contextes politiques parfois tendus. M’barek Beyrouk, ancien journaliste opposant, a subi la censure et des menaces dans sa carrière journalistique, mais il constate que la vie d’écrivain est plus confortable. Selon lui, la littérature bénéficie d’une certaine protection, notamment parce que le lectorat reste restreint et que la langue française constitue une barrière.

De son côté, Amira Ghenim, qui écrit en arabe, reconnaît ne pas être confrontée à une censure directe, mais admet pratiquer une forme d’auto-censure, parfois consciente, ou même inconsciente. Malgré cela, elle affirme que la littérature demeure un espace de liberté inégalé sur le continent africain. En effet, si la littérature ne naît pas d’un engagement militant explicite, elle a néanmoins le pouvoir d’éveiller les consciences et d’offrir un refuge aux voix marginalisées. Un rôle crucial qui fait d’elle l’oasis la plus libre du jeune continent.
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