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Yassin Lahrichi : Nous vivons une époque historique pour le dessin animé marocain

Un dessin animé 100% marocain en access prime time pendant le mois du Ramadan : c’est du jamais vu ! C’est justement à la société de production Neverseen que l’on doit l’hilarant «Chniwla et Bobresse», diffusée juste avant le ftour sur «Al Oula». Si cette première marque de confiance ne survient pas très tôt, elle marque un changement de paradigme dans le secteur de l’animation. Pour le réalisateur et producteur Yassine Lahrichi, il est temps de rêver grand !

Qui de nous n’a jamais été agacé par un voisin bruyant et déterminé à troubler notre paix à travers les murs ? Le tapage nocturne et les nuisances sonores rythment le quotidien des citadins. Et si vous avez connu de telles frustrations, alors «Chniwla o Bobresse», diffusé sur «Al Oula» avant le ftour, pourrait bien vous séduire. Que vous vous identifiiez au silencieux «Bobresse» ou à l’énergique «Chniwla», cette série offre une représentation comique des défis de la cohabitation.Pour le producteur Yassine Lahrichi, «c’était déjà une marque de confiance de la part de la chaîne “Al Oula” de nous commander une série de trente épisodes de sept minutes. Mais la diffusion en access prime time nous a pris de court. Je ne vous cache pas que ça nous a mis une telle pression, qu’on a travaillé sans compter les heures avec les équipes. Mais j’avoue que l’on s’amuse beaucoup dans ce genre de projets. Après tout, l’animation est notre ADN à Neverseen. Et, finalement, je suis content du rendu et des retours des gens qui ont regardé !»

Un duo de chez nous

Après les légendaires «Tom and Jerry», et les drôlissimes «Oggy et les cafards», nous voici avec les mutins Chniwla et Bobresse bien de chez nous. Le choix des animaux pour interpréter les personnages de la série n’est pas anodin. Le tempérament froid du lézard, tranche avec l’ardeur sanguine du moustique. Ce contraste entre les deux caractères revêt une dimension comique et permet aux téléspectateurs de s’identifier naturellement aux situations loufoques qu’ils rencontrent. «Mais nous ne voulions pas juste opposer deux protagonistes, appartenant à la même chaîne alimentaire, qui soient en traque permanente. Nous voulions aller plus loin, en traitant d’un sujet auquel on s’identifie aisément, tel que les troubles de voisinage. J’ai alors collaboré avec le scénariste Jawad Lahlou qui, passé les premiers tâtonnements, s’est donné à fond pour co-créer l’univers de “Chniwla et Bobresse”», raconte le réalisateur.



«Bobresse», musicien passionné des classiques de la chanson marocaine, et «Chniwla», une fervente adepte du Chaâbi et du tintamarre, semblent être condamnés à une cohabitation tumultueuse. Leur voisinage tourne souvent au cauchemar, chacun cherchant à imposer son mode de vie et ses préférences, mais leur proximité apporte une certaine animation dans la vie de l’un comme de l’autre. Heureusement qu’ils partagent une passion commune qui leur permet de faire trêve : leur amour pour le thé marocain.

Cette série marocaine, riche en références culturelles, musicales et esthétiques, reflète les valeurs locales et est conçue pour être adaptée à ces dernières. «Hormis le besoin de créer des produits auxquels il est facile de s’identifier, il y a un volet moral maîtrisé qui nous est précieux, car il y a tellement de messages subtils qui passent dans les dessins animés étrangers et qui peuvent être dangereux pour nos enfants», souligne Lahrichi. Ceci étant dit, les adultes pourront également apprécier les subtilités disséminées tout au long de la série. En outre, le format silencieux de la série la rend également exportable, dépassant ainsi les barrières linguistiques.

Une carrière «animée»

Comment en arrive-t-on à créer des dessins animés ? Yassine Lahrichi incarne une transition audacieuse d’un concepteur de jeux vidéo vers le monde des dessins animés. Son parcours atypique débute chez Ubisoft Maroc, où il occupe divers postes avant de faire le grand saut. En 2010, accompagné de collègues partageant sa vision, il décide de fonder sa propre société. C’était le début d’une aventure semée d’embûches et de défis inattendus...

L’une des premières désillusions pour Yassine et son équipe a été de réaliser qu’au Maroc, le marché de l’animation en 3D était pratiquement inexistant, à l’exception de quelques rares opportunités publicitaires. Ils ont donc dû réorienter leur approche vers la production traditionnelle, tout en tirant parti des processus de développement acquis dans l’industrie du jeu vidéo. «C’est ce qui rendait nos dossiers originaux, parfois prétentieux, mais assez solides pour gagner la confiance des chaînes», s’amuse Lahrichi.

Avec son équipe, il a dû faire preuve de persévérance et de détermination pendant près d’une dizaine d’années, avant de voir les efforts porter leurs fruits. Le tournant décisif survient en 2019, lorsque deux appels d’offres simultanés sont lancés par «Al Oula» et «2M». En remportant les deux contrats, Neverseen marque le début d’une nouvelle ère. Depuis lors, la société produit plusieurs séries animées à succès, dont «Abtal Al Oula», «Lilya & Rayane» et «Nhar tzad Jad», avant de consolider sa réputation avec «Chniwla et Bobresse».

Le futur de l’animation au Maroc

Pour Yassine Lahricihi, les différents projets réalisés prouvent non seulement la viabilité de son entreprise, mais ouvrent également de nouvelles portes pour l’animation au Maroc, stimulant la créativité et l’innovation dans l’industrie locale. En effet, le marché de l’animation au Maroc connaît une phase de développement prometteuse, malgré son commencement récent. La demande régulière en produits d’animation, surtout de la part de la chaîne «Al Oula», permet aux animateurs d’oser des formats plus complexes, de recruter des équipes à temps plein et de prendre des risques.

L’espoir réside aussi dans la mobilisation du Centre cinématographique marocain (CCM) pour investir dans le cinéma d’animation. «L’idée d’un long métrage d’animation dans les cinq prochaines années me semble tout à fait plausible. Mais pour cela, il faut également davantage de professionnels spécialisés, ce qui pose encore problème encore aujourd’hui, car les formations sont généralistes et les débouchés rares pour les spécialistes», souligne Lahrichi, sans pour autant abdiquer face à cet obstacle.

Pour lui, une politique publique est à même de venir à bout de ces difficultés. «C’est ce qui s’est passé en France dans les années 1980, où le secteur public a misé sur le développement de l’animation, grâce à la mise en place d’une politique publique ambitieuse, en soutenant les studios, mais aussi en renforçant la formation des professionnels. Il y a eu des ratages comme dans tous les débuts, mais au bout de quelques années, les séries françaises ont non seulement récupéré une place importante dans le paysage audiovisuel français, mais se sont même exportées. C’est pour dire que le rôle du secteur public est primordial pour le moment», explique Yassine Lahrichi, avant de conclure sur une note d’espoir «Nous sommes témoins d’une époque historique, où les bases sont posées pour un avenir radieux dans le domaine de l’animation».
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