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Jardin Majorelle : un Pavillon éphémère au service d’une architecture du vivant

Le Jardin Majorelle à Marrakech inaugure un nouveau Pavillon éphémère, conçu par une jeune architecte marocaine, Hiba Bensalek. Intégré au cœur de la Villa Oasis, ce premier espace d’exposition temporaire allie architecture durable et valorisation du patrimoine botanique. Pour son ouverture, le Pavillon accueille l’exposition «Flore Majorelle : Collection vivante», qui met en lumière une sélection de plantes emblématiques du Jardin, mêlant rigueur scientifique et création artistique. Cette initiative marque le début d’un cycle de créations confiées à des talents locaux.

Le Jardin Majorelle, havre de fraîcheur et d’histoire botanique au cœur de Marrakech, vient d’ajouter une nouvelle perle à sa promenade enchanteresse. Un pavillon d’un genre inédit a discrètement pris place dans le Jardin de la Villa Oasis. Derrière ses lignes sobres et sa toiture tamisée de bambou, ce nouvel espace réinvente la manière d’habiter le végétal. Il faut s’y attarder, franchir ses portes ouvertes sur la lumière pour comprendre ce qu’il propose : une respiration, une halte sensible entre l’histoire du lieu et les merveilles qu’il abrite. Ici, au milieu des silhouettes élancées des palmiers et des feuillages luxuriants, l’architecture se fait humble, en retrait, pour mieux célébrer le vivant.

Une architecture à l’écoute du lieu

Ce Pavillon temporaire, qui s’intègre désormais dans le circuit de visite du Jardin Majorelle, est l’œuvre de la jeune architecte marocaine Hiba Bensalek. Sa mission ? Imaginer une structure de 100 m² qui se fonde dans le paysage tout en offrant un espace d’exposition modulable. Le pari est relevé avec une élégance discrète : murs en terre, charpente en bois, ombrière végétale... chaque choix de matériau dialogue avec le site, dans une volonté affirmée de durabilité et de simplicité.

Le lieu baigne dans une lumière tamisée, filtrée par un toit en bambou qui laisse apparaître au sol de subtiles dentelles lumineuses, en écho au feuillage alentour. Cette atmosphère intime invite à la contemplation, à la découverte lente et respectueuse des plantes exposées.

Mais l’ambition du projet ne s’arrête pas là. Ce Pavillon n’est que le premier d’une série. Dès 2026, un concours national conviera de jeunes architectes marocains à imaginer, à leur tour, les prochains Pavillons éphémères du Jardin de la Villa Oasis. Le suivant verra le jour courant 2027. Une façon de faire du Jardin un lieu vivant de création, tout en enracinant son avenir dans les talents du pays.



Une exposition entre rigueur botanique et regard artistique

Pour son ouverture, le Pavillon temporaire accueille l’exposition Flore Majorelle : Collection vivante. Le visiteur y découvre vingt plantes, choisies avec soin parmi les quelque 400 espèces qui peuplent le Jardin. Parmi elles, la robustesse graphique du Crassula ovata, la résistance épineuse du Sideroxylon spinosum, l’exotisme captivant de la Stupelia gigantea, et la silhouette majestueuse du Dracaena draco subsp. ajgal.Les plantes sont mises en valeur par des illustrations inédites réalisées par l’équipe graphique du Jardin Majorelle. Sous la direction scientifique du botaniste californien Dean G. Kelch, et artistique de Jaimal Odedra, l’exposition tisse un dialogue fascinant entre rigueur scientifique et regard poétique. Chaque planche, suspendue comme une offrande, nous invite à redécouvrir ces végétaux familiers ou exotiques sous un jour nouveau. En conjuguant savoir botanique, création artistique et scénographie sensible, Flore Majorelle offre une exploration à la fois sensorielle et pédagogique du patrimoine végétal du Jardin.

Un nouveau chapitre pour un lieu mythique

En s’ouvrant à l’expérimentation architecturale et à la mise en récit de son patrimoine végétal, le Jardin Majorelle affirme sa volonté d’évoluer sans jamais trahir son esprit. Le Pavillon temporaire en est le manifeste silencieux : un lieu à la fois modeste et ambitieux, enraciné dans la terre marrakchie, mais ouvert aux imaginaires de demain.

En s’y promenant, on comprend que le Jardin Majorelle ne se contente plus d’être admiré. Il veut être écouté, raconté, réinventé. Le visiteur y est invité à une expérience immersive, où la lumière joue avec les formes des plantes et des supports, où chaque pas révèle une nouvelle perspective, un nouvel émerveillement.

Un botaniste au regard affûté

Jardin Majorelle : un Pavillon éphémère au service d’une architecture du vivant



Botaniste californien, spécialiste des plantes succulentes et de la flore aride, Dean G. Kelch est reconnu pour son expertise en taxonomie et en conservation des plantes. Il a travaillé avec de nombreuses institutions botaniques de renom et a contribué à la classification de plusieurs espèces végétales rares. Sa collaboration avec la Fondation Jardin Majorelle s’est illustrée à travers divers projets scientifiques et artistiques, notamment l’exposition Cactus au Musée Yves Saint Laurent Marrakech et plusieurs publications sur la biodiversité du jardin. Passionné par la préservation des écosystèmes arides, il œuvre à sensibiliser le public à l’importance de la diversité botanique et à sa sauvegarde.

Madison Cox, président de la Fondation Jardin Majorelle : «Au Maroc, une énergie jeune et fière façonne l’architecture et le patrimoine de demain»

Jardin Majorelle : un Pavillon éphémère au service d’une architecture du vivant



Le Matin : Comment est née l’idée de ce Pavillon temporaire ?

Madison Cox
: Au-delà de mes fonctions de président de la Fondation Jardin Majorelle, je suis paysagiste. Je conçois et réalise des jardins et je collabore avec des architectes. C’est ainsi que j’ai constaté qu’au Maroc, une nouvelle génération d’architectes talentueux émerge.

Vous avez ici des écoles d’architecture et le pays connaît une véritable effervescence en matière d’infrastructures, de construction, de mise à niveau urbaine. C’est une dynamique enthousiasmante. Et bien sûr, l’architecture est au cœur de cette transformation.

Parmi cette génération montante figure Hiba Bensalek, dont le potentiel m’a semblé évident et qu’il m’a paru essentiel d’encourager.

Dans le Jardin, nous avions cet espace : une ancienne piscine datant de l’époque de Saint Laurent et Pierre Bergé, inutilisée depuis longtemps, sujette à des fuites, donc plus vraiment pertinente, surtout dans un contexte de raréfaction de l’eau. J’ai envisagé de la supprimer ou de la transformer pour en faire un espace pédagogique autour de la flore, de la faune et des particularités du lieu.

Mais comme nous sommes en zone verte classée, il est impossible d’y construire quoi que ce soit de permanent. C’est là qu’est née l’idée d’un Pavillon éphémère, avec une double vocation : enrichir l’expérience des visiteurs et offrir une vitrine à cette jeune génération d’architectes. Le Pavillon est destiné à durer deux ans, puis sera démonté pour faire place à un nouveau projet.

Comment s’est fait le choix de Hiba Bensalek ?

Je l’ai rencontrée par l’intermédiaire d’une amie commune. Elle avait mené, pour notre fondation, une étude approfondie sur un bâtiment accueillant nos bureaux. J’ai immédiatement été frappé par sa rigueur méthodologique, sa capacité d’analyse, sa manière d’appréhender les espaces et les problématiques qui s’y rattachent. Il se trouve, par ailleurs, qu’un espace inoccupé subsistait au sein du Jardin : une ancienne piscine datant de l’époque d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, mais inutilisée depuis de nombreuses années.

Dans quelle mesure le Pavillon conçu par Hiba Bensalek s’inscrit-il dans une continuité avec l’identité architecturale et culturelle du Jardin Majorelle et, plus largement, du patrimoine marocain ?

Ce qui m’a frappé dans le travail de Hiba, c’est son rapport aux matériaux, à l’identité marocaine, à un vocabulaire architectural propre au pays.

Le Maroc dispose d’une richesse unique : l’usage du pisé, des terres cuites, du «Bejmat»... Ces éléments sont constitutifs de votre culture bâtie. Il est essentiel de les reconnaître, de les valoriser, et de les réintégrer dans une création contemporaine.

Envisagez-vous de lancer un concours pour choisir les futurs architectes du Pavillon temporaire ?

Oui, un concours sera lancé d’ici un an et demi. Il sera ouvert à tous les architectes marocains, y compris ceux qui n’ont encore jamais eu l’opportunité de bâtir quoi que ce soit. Vous savez, pour un architecte, parvenir à construire est un processus long. Souvent, ils commencent par des projets familiaux, mais signer un bâtiment public ou culturel peut prendre des années.

C’est pourquoi ce type d’initiative me semble essentiel : il s’agit à la fois de promouvoir et d’accompagner la jeune création, mais aussi de sensibiliser le public à l’architecture. Et pourquoi pas faire émerger des profils qui entrent en résonance avec l’esprit de notre fondation.

Comment voyez-vous l’avenir de ce type d’initiatives ?

J’aimerais que d’autres structures ou institutions s’en emparent. Regardez la Biennale de Venise : pour la première fois, le Pavillon marocain y a été conçu par deux jeunes architectes du pays. C’est remarquable.

Le Maroc regorge de ressources intellectuelles, créatives et patrimoniales. Et cette jeune génération le sait.

Elle ne cherche pas à copier des modèles extérieurs, mais à inventer à partir de son propre territoire, de ses besoins, de son langage.

Les spécificités régionales du Maroc sont une immense richesse. Si nous contribuons à faire émerger cette conscience, c’est déjà beaucoup.

Ce qui me touche profondément, c’est l’élan que je perçois chez les jeunes ici. Une envie sincère d’agir, de construire ici, avec fierté.

Vous avez mentionné l’émergence d’une nouvelle génération d’architectes. À la Biennale de Djeddah, j’ai vu des pavillons où de jeunes créateurs rendent hommage à leur héritage tout en imaginant l’avenir. Pensez-vous que ce même élan existe aujourd’hui au Maroc ?

Oui, je ressens cette même énergie ici. Au Jardin Majorelle, nous sommes près de deux cents collaborateurs, et la majorité a moins de 35 ans. Ce que je constate, c’est cette volonté de rester, de construire ici, et d’être fier de son patrimoine. Il y a aujourd’hui un attachement nouveau, sincère, au pays.

Et cela, c’est formidable. C’est aussi ce qui rend l’architecture si essentielle : elle façonne nos espaces de vie, nos villes, notre rapport aux lieux. Absolument. L’architecture ne se limite pas aux bâtiments. Elle organise nos sociétés.

Dans un pays en pleine mutation urbaine comme le Maroc, il est crucial de réfléchir à l’aménagement des espaces publics, de créer des lieux d’échange, de respiration.

Les architectes ont un rôle clé à jouer dans la ville de demain. Il faut leur faire confiance.

Hiba Bensalek, architecte : «Le Jardin Majorelle a été ma source d’inspiration première pour créer le Pavillon temporaire»

Jardin Majorelle : un Pavillon éphémère au service d’une architecture du vivant



Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis architecte, diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse et de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Après une première expérience professionnelle dans la capitale française, j’ai choisi de revenir au Maroc, un retour dicté par un profond attachement à mon pays.

J’ai exercé au sein de l’Agence urbaine de Marrakech durant quelques années. J’ai, également, été enseignante à l’École nationale d’architecture de Marrakech.

Quelques années plus tard, j’ai fondé mon propre cabinet d’architecture aux côtés de ma mère, elle-même architecte. Ensemble, nous avons créé un cabinet mère-fille, animé par la volonté de mettre en valeur et de défendre le patrimoine architectural de Marrakech, et plus largement du Maroc.

Comment avez-vous été sollicitée par la Fondation Jardin Majorelle pour ce projet ?

Ce projet est avant tout né d’une belle rencontre avec Madison Cox. Nous avons eu l’occasion de collaborer à plusieurs reprises autour du Jardin Majorelle et de la Fondation. De ces échanges est née une envie commune de rendre hommage à ce lieu emblématique à travers une création architecturale qui s’intègre harmonieusement dans le Jardin et en reflète l’esprit.

C’est un projet dont la genèse a été lente, mais dont l’aboutissement nous est apparu, à Madison comme à moi, comme une évidence.

Comment avez-vous vécu le fait d’être la première architecte à intervenir dans ce lieu historique ?

C’est à la fois un immense honneur et une grande responsabilité. Être la première à intervenir au sein d’un site aussi chargé d’histoire que le Jardin Majorelle représente une reconnaissance précieuse. Mais cela implique aussi une exigence : celle de défendre une vision de l’architecture marocaine à la fois respectueuse de ses racines et tournée vers l’avenir.

J’ai ressenti le devoir de porter haut les valeurs esthétiques, techniques et culturelles de notre architecture, et de les inscrire dans un langage contemporain.

Quelle a été votre principale source d’inspiration pour concevoir ce Pavillon ?

Le Jardin lui-même a été ma source d’inspiration première. Sa végétation luxuriante, la lumière qui le traverse, les parfums qui s’en dégagent, jusqu’au chant des oiseaux et au bruissement des palmes... tout cela a nourri ma réflexion.

J’ai voulu créer un espace entièrement tourné vers le Jardin, que ce soit dans son implantation, le choix des ouvertures ou les matériaux utilisés. Chaque élément architectural a été pensé comme un hommage à ce lieu unique.

Parlons justement des matériaux : quels sont ceux que vous avez privilégiés pour ce projet ?

Nous avons opté pour des matériaux issus de l’architecture traditionnelle marocaine, que nous avons réinterprétés dans un esprit contemporain.

Les murs sont en terre crue, réalisés avec des briques de terre compressée. Les remplissages sont en bambou, en écho à la forêt de bambous qui entoure le Pavillon. Quant aux plafonds, ils sont en fibre végétale pressée, un choix qui permet de créer un jeu de lumière subtil et une certaine transparence.

L’ensemble joue sur la tension entre la légèreté des matériaux et la monumentalité des murs, conférant au lieu une atmosphère à la fois accueillante et solennelle.

Avez-vous rencontré des contraintes particulières lors de la réalisation du projet ?

Oui, bien entendu. Le Jardin Majorelle étant un site très fréquenté, il fallait que les travaux se déroulent rapidement, sans perturber son fonctionnement.

De plus, comme il s’agissait d’un Pavillon éphémère, nous devions résoudre certaines problématiques liées à sa pérennité et à la protection des œuvres exposées.

C’est pourquoi toutes les ouvertures ont été orientées au nord et à l’est, tandis que celles du Sud ont été protégées par des murs en pisé. Ces choix ont permis d’assurer un bon confort thermique tout en respectant l’esthétique du lieu.

Combien de temps la réalisation du projet a-t-elle nécessité ?

La construction proprement dite a duré environ trois mois et demi. En revanche, la phase de conception, de réflexion, a été bien plus longue.

Il nous a fallu près d’une année pour faire mûrir le projet, le penser dans tous ses aspects et s’assurer qu’il réponde pleinement à l’esprit du lieu.

Souhaitez-vous poursuivre dans cette voie et développer d’autres projets de ce type ?

Absolument. Toute ma démarche architecturale s’inscrit dans une volonté de défendre le patrimoine architectural marocain, qui est d’une richesse extraordinaire. Je pense qu’il est temps de sortir d’une approche purement historiciste ou folklorique de cette architecture, et de la confronter aux enjeux contemporains, qu’ils soient esthétiques, environnementaux ou sociaux.

Pensez-vous que la jeune génération d’architectes marocains se réapproprie aujourd’hui cette tradition architecturale ?

Oui, je le crois. Il y a encore quelques années, la modernité était perçue comme un rejet du passé. Les constructions se voulaient résolument «modernes», souvent au détriment des savoir-faire et de l’héritage architectural.

Aujourd’hui, on observe un véritable retournement : les jeunes générations redécouvrent les vertus de notre patrimoine, sa pertinence face aux enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi son élégance et sa profondeur culturelle.

L’architecture traditionnelle marocaine offre un confort thermique et hydrique remarquable, en plus de porter une identité forte.

Je pense que cette prise de conscience est désormais bien ancrée.

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