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"Le poulet aux olives" : quand le théâtre devient un refuge de convivialité

En un peu moins d’une dizaine de représentations, les vertus du «Le poulet aux olives» se font déjà ressentir. Dans une pièce de théâtre qui célèbre la convivialité et le vivre-ensemble, Judith Elmaleh tente de faire du Palais de Glace un havre de paix, un refuge à l’abri du tumulte du quotidien, en mettant en lumière les choses simples, mais combien essentielles.

Le Matin : D’où vous est venue l’idée ?

Judith Elmaleh :
C’est la nostalgie du vivre-ensemble marocain, qui est tellement précieuse à mes yeux parce qu’elle respecte les différences. Et pas forcément dans le consensus. C’est-à-dire qu’on peut se chamailler, se disputer, mais on reste toujours ensemble. Cela vaut dans le cadre d’une même famille, mais aussi entre les générations, les religions et les cultures.

De plus, au Maroc, on vivait dans des maisons où cohabitaient les anciens, les jeunes, les moins jeunes. Aujourd’hui, partout dans le monde, les générations se distancient : les personnes âgées sont entre elles, les jeunes entre eux, et les enfants mis à l’écart. Quand on veut être tranquille, on envoie les enfants jouer ailleurs ; les anciens, on les place en maison de retraite... Je trouve cela très dommage et je pense qu’on perd beaucoup : la sagesse de l’expérience, mais aussi l’affection.

Aujourd’hui, le discours qui nous parvient de l’Occident fait froid dans le dos. Il appelle à l’exclusion et à l’intolérance. Avez-vous ressenti une appréhension quant à l’accueil de la pièce ?

À aucun moment. Avec mon co-auteur, nous sommes dans la bienveillance. Et c’est ce que les spectateurs nous disent à la sortie : «Ça fait du bien, surtout en ce moment». C’est formidable, parce qu’on s’amuse tout en délivrant des messages. C’est l’une des vertus du spectacle vivant : il se passe quelque chose sur scène, mais aussi dans la salle. Les gens partagent, rient, ressortent avec le sourire et restent après pour discuter.

Je n’ai pas d’appréhension à exprimer les choses telles que je les vis à mon échelle. Dans cette pièce, Yolande vit avec son fils, sa meilleure amie et son amoureux. Montrer, dans ce petit microcosme urbain avec des problèmes du quotidien, que cela peut fonctionner à petite échelle... et pourquoi pas à grande échelle ? C’est montrer une cellule qui marche, avec de l’amour. Beaucoup d’amour.

Croyez-vous au pouvoir de l’art en général, et de la comédie en particulier, pour changer les choses ?

Bien sûr. Le théâtre apaise, réconforte et rassemble, alors que les écrans nous éloignent de plus en plus. Il a déjà cette vertu, quel que soit le contenu. Mon langage à moi, c’est l’humour, c’est de famille (rire). Je crois profondément aux vertus du rire : il fait du bien, mais il permet aussi de décaler le propos, d’appuyer sur l’absurde et d’atténuer la brutalité de ce que l’on voit.

Donc oui, je crois au spectacle vivant et à l’art sous toutes ses formes. C’est un moyen de se rapprocher de l’autre, de le considérer autrement que par le prisme de la haine. Modestement, nous essayons de faire réfléchir tout en riant, à travers des personnages hauts en couleur, dans des urgences anodines, qui s’embrouillent sans cesse... mais qui s’aiment, au fond.

Comment s’est passée la coécriture ?

J’ai l’habitude d’écrire avec d’autres auteurs. J’aime la confrontation des points de vue. Nicolas Nebot, lui, est un metteur en scène émérite : il a déjà monté plusieurs pièces, il a donc cette vision macro, alors que je suis plutôt dans le micro.

Par exemple, il a imaginé la mise en scène avec un ascenseur, qui permet des respirations, des dialogues à part, etc. Moi, je suis plus dans l’émotion, dans l’intime.

Quid du casting ?

En écrivant, je pensais déjà à Gladys Cohen. C’est la mère juive par excellence, qu’on a vue dans «La vérité si je mens», «Coco» et tant d’autres films ou séries. Avec nous, avec Bouder, elle incarne parfaitement ce personnage, même si, dans la vie, elle est très différente. C’était une évidence.

Mouna, c’est une belle rencontre. Je suis tellement fière qu’elle soit venue du Maroc pour jouer avec nous à Paris. Je ne voulais pas tomber dans la caricature, j’avais besoin de quelqu’un qui ressente profondément le propos que je défends. Il me fallait une Marocaine du Maroc. Et puis, il y a son talent, sa pétulance, sa carrière. Mon père adorait À la recherche du mari de ma femme : il l’avait vu je ne sais combien de fois ! Moi aussi j’étais fan, et la boucle est bouclée aujourd’hui.

Une adaptation à l’écran est-elle prévue ?

Totalement. J’avais envie de raconter la vie d’un immeuble dans lequel Yolande habite, avec toutes les nationalités et toutes les ambiances. Mais en pièce, c’est difficile. Alors qu’au cinéma, on peut multiplier les personnages et les décors. Dans la pièce, on évoque M. Nguyen, Mme Rodriguez et bien d’autres, mais on ne les voit jamais. Les voir à l’écran serait magnifique.

Vous avez écrit un roman. Qu’est-ce qui vous pousse à choisir un médium plutôt qu’un autre ?

Je pense que c’est le sujet qui impose le médium. Dans mon roman, je raconte l’histoire de ma grand-mère casablancaise, et j’avais besoin du format romanesque pour exprimer des sentiments intérieurs.

L’idée m’est venue alors que je travaillais avec Gad sur son spectacle : je devais écrire quelque chose sur ma grand-mère. À l’époque, j’écrivais un livre sur un autre sujet, mais j’ai commencé à noter des choses et Gad m’a dit : «Ça, c’est un livre, pas un spectacle d’humour». J’ai donc appelé mon éditrice pour changer de projet, et elle a accepté tout de suite. Ce récit intime se prêtait mieux au roman. Aujourd’hui, je travaille sur un film.

La pièce sera-t-elle jouée au Maroc ?

Bien sûr. Nous en parlions déjà avec les acteurs, et plusieurs demandes existent pour la produire là-bas. Les Marocains sont habitués au vivre-ensemble ; peut-être trouveront-ils le propos banal. Mais je pense que la pièce leur fera réaliser qu’ils ont construit un modèle propre, qui fonctionne, et qu’il faut absolument préserver ces valeurs.
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