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Mardi 07 Mai 2024
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«Mariages précoces – de l’antiquité à nos jours» : le livre clé de Dr Chakib Guessous

Dans le rayon Anthropologie, Dr Chakib Guessous n’en est pas à son premier essai. Son travail sur la structure familiale a été étayé par plusieurs ouvrages sur la jeunesse, les traditions, le célibat, le concubinage, l’exclusion et d’autres sujets annexes.

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Dans «Mariages précoces – de l’antiquité à nos jours», Dr Guessous s’attelle à revenir sur les origines du mariage pour trouver les indices sur la naissance d’un phénomène toujours existant et les raisons de sa résistance à l’évolution de la société moderne, à laquelle il fait forcément entorse.



Dr Guessous nous apprend que la conscience internationale de l’existence du mariage des mineurs n’est apparue que vers la seconde moitié du XXe siècle et qu’étonnamment, on est tous logés à la même enseigne. Aussi, si les pays en voie de développement accusent le plus grand nombre d’unions d’enfants, les pays développés n’ont fixé l’âge du mariage à 18 ans que dans les années 2000 : 2005 pour l’Espagne, 2006 pour la France et 2017 pour les États-Unis ! Le Maroc est, quant à lui, piégé entre des pratiques ancestrales et un désir de modernité entravé par des facteurs socio-économiques prégnants.

La fabuleuse histoire du mariage

Union sacrée pour les uns, mal nécessaire pour les autres, le mariage reste une évidence pour la grande majorité des humains de par le monde. Mais si la vision moderne nimbe d’un halo de romantisme ce lien social, il convient de revenir sur l’histoire de sa genèse pour en déchiffrer les données.

«Mariages précoces – de l’antiquité à nos jours» nous explique que L.H. Morgan, père de l’anthropologie moderne, a développé la théorie évolutionniste sur la famille et les unions maritales dans la période préhistorique. Celle-ci stipule que la forme de la famille est passée par plusieurs étapes à mesure que la société humaine évolue de la sauvagerie à la barbarie, pour enfin arriver à la civilisation. D’union libre et temporaire, le mariage s’est transformé en lien plus solide et plus durable, que seul l’homme peut rompre ou transgresser par des infidélités

occasionnelles.

Plus loin, Dr Chakib Guessous explique par l’exemple de la chasse comment les contraintes extérieures ont transformé la famille. En effet, la division du travail est née, mais aussi l’intermariage, qui consiste à échanger des femmes de hordes voisines adverses pour installer la paix.

D’autres pratiques se sont cumulées au fil des civilisations faisant du mariage l’institution complexe qu’elle représente aujourd’hui. Si l’on remonte à la civilisation sumérienne, née sur les bords de l’Euphrate 3500 ans av. J.-C., qui a connu autant de gloire que de progrès, la liberté était de mise. Aucune entrave ne gênait la sexualité des hommes et des femmes célibataires. Mais la sédentarisation et le développement de patrimoines transmissibles ont poussé les pères à vouloir être sûrs de leur filiation. Et c’est le Roi Hammourabi qui a gravé un code frappant l’adultère de sévères sanctions. Le coupable de défloration était même puni de mort. «Le Code d’Hammourabi n’a pas fixé d’âge de nubilité. Cependant, la description des jeunes mariées, telle qu’elle y apparaît dans plusieurs de ses articles, fait plutôt penser à des fillettes dociles et maniables plutôt pré-adolescentes qu’adolescentes».

Depuis, les civilisations suivantes n’ont fait que reprendre les mêmes pratiques, oscillant entre rigorisme et laxisme. Mais la règle restait de marier les jeunes filles avant qu’elles ne ressentent les premiers désirs sexuels, pouvant la pousser à se défaire de la chasteté. Il est à peine surprenant de lire que «Le Talmud de Babylone est clair : sont “copulae habilis”, “habilités à la copulation”, la fille de 3 ans et un jour et le garçon de 9 ans et un jour», nous explique Chakib Guessous dans sa comparaison des religions monothéistes.

Le mariage précoce au Maroc, aujourd’hui

Au Maroc, la prévalence des mariages précoces a toujours été influencée par les pratiques du voisinage méditerranéen, puis par l’arrivée de l’Islam qui n’a pas fixé d’âge de nubilité. Plus tard, au début du XXe siècle, le pays a été touché par le progrès amenant la scolarisation et le travail des femmes, faisant reculer l’âge du premier mariage. «Tout au long de l’Histoire récente, depuis le milieu du siècle dernier, l’âge moyen au premier mariage recule sous l’effet de la scolarisation, de l’urbanisation et des difficultés économiques... passant de 24,1 ans à 31,4 ans pour les hommes et de 17,5 à 25,8 ans pour les femmes...»

Cependant, le mariage impliquant des enfants persiste, malgré les dispositions de la Moudawana. En 2018, quelque 26.240 unions concernaient des mineurs. Le phénomène sévit plus particulièrement en milieu rural où l’union coutumière peut encore échapper à tout contrôle ou recensement. Dans des régions montagneuses presque isolées, le mariage des enfants est un moyen de survivre à la disette, c’est dire qu’il devient une nécessité pour garantir la survie dans les régions démunies. La culture de la prévention du déshonneur, la pauvreté et la rareté d’opportunités économiques et éducatives et la législation nationale sont d’autant de raisons pour lesquelles le mariage précoce persiste et signe. Dr Chakib Guessous nous explique même que le mariage précoce s’exporte à l’étranger, en forçant des législations plus avancées (Italie, Allemagne) à s’adapter aux us et coutumes des populations migrantes.

Dans un chapitre clé, Dr Chakib Guessous nous expose avec détails les conséquences désastreuses des mariages précoces. En premier lieu, il y a l’exposition à une sexualité précoce qui s’apparente le plus souvent à un viol, surtout lorsqu’on n’a pas de rite d’initiation comme dans d’autres civilisations. La maternité précoce est lourde à porter pour les épaules frêles d’une enfant qui n’a pas encore toute la force physique et la maturité psychologique pour gérer un autre enfant. L’anthropologue souligne également que les violences domestiques ne sont pas rares. La maltraitance du mari ou de sa famille se manifeste davantage lorsque la mariée est une enfant, puisqu’il s’agit de lui faire son «éducation». D’autres conséquences sont relatées, à savoir les conséquences sur le développement psycho-affectifs systématiques, les conséquences sociales et le déni de l’enfance, ainsi que les conséquences juridiques des séparations dans les unions non contractées légalement.

À l’aube d’une nouvelle réforme du Code de la famille, le Maroc peut apporter un changement significatif sur la question des mariages précoces. Mais la législation seule ne suffit pas : «Les sociétés doivent changer les pratiques discriminatoires à l’égard des filles en leur offrant des perspectives économiques et civiques plus avantageuses, analogues à celles des garçons», explique Dr Chakib Guessous, avant de poursuivre : «Les États devraient donner aux populations des conditions de vie décentes, notamment en matière économique, sociale et de sécurité et leur permettre d’accéder à des services scolaires et de santé de base, aux infrastructures urbaines et aux moyens de transport décents. Autant de vœux pieux !» conclut l’anthropologue.
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