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Sanaa Assif, impétueusement engagée

À Bagdad comme à Paris, le talent greffé à l’épiderme, Sanaa Assif conquiert les publics sans effort. Comédienne de théâtre professionnelle depuis plus de dix ans, elle multiplie les performances et les représentations, au Maroc et à l’étranger, et amasse les prix et les honneurs pour son travail aussi studieux que sensible. Dans cet entretien, elle partage avec nous des moments clés de son parcours ainsi que sa vision du théâtre au Maroc aujourd’hui.

Elle revient de Bagdad, là où elle a joué en arabe classique, pour la première fois, devant un public nouveau. Elle qui se produit régulièrement en France, en sa qualité d’intermittente du spectacle, et qui vient de recevoir les honneurs du ministère de la Culture, après avoir raflé le Prix du Festival du théâtre africain à Rabat, ne cesse de voir ses horizons s’élargir à mesure qu’elle multiplie les expériences. Comme son patronyme l’indique, Sanaa Assif (à comprendre orageux) ne passe pas sans provoquer de remous dans les cœurs et les esprits de ses spectateurs. Sa passion se transcrit dans son choix de textes, son jeu sur scène et ses mots qu’elle ne mâche que par élégance.

Le Matin : La pièce «Kalam» sera sur les planches à nouveau en ce mois du Ramadan. Parlez-nous de cette expérience nouvelle dans votre parcours.

Sanaa Assif :
«Kalam» est ma première expérience de théâtre en langue arabe classique. C’est l’adaptation du grand metteur en scène Bouselham Daif d’un texte de l’illustre écrivain Mohamed Berrada. C’est dire le niveau de l’œuvre. Cela parle d’une femme qui fait le tour des cimetières, non pas pour poser des questions sur la mort, mais pour interroger la vie. Traversant Fès, Tanger, Paris et même le Japon, le récit met en lumière la façon dont différentes cultures célèbrent la vie en traitant de la mort. Ce personnage fascinant rencontre des figures emblématiques telles que Mohamed Choukri à Tanger et Victor Hugo ou encore sa maîtresse à Paris. On a joué à Bagdad, c’était ma première rencontre avec le public arabe et j’en étais profondément touchée. Nous reprenons avec deux autres représentations, les 24 et 25 mars prochains.



Vous avez reçu les félicitations du ministre de la Culture, Mehdi Bensaïd, pour votre seul en scène «Elle était une fois la jupe». Est-ce une consécration pour vous ?

Évidemment que c’est une reconnaissance de notre travail. En fait, monsieur le ministre a reçu la compagnie Corp’scène, car elle a été récompensée pour deux pièces, dont «Elle était une fois la jupe», co-écrite et interprétée par moi-même qui a remporté le Grand Prix de la dernière édition du Festival du théâtre africain, tenu à Rabat. C’était très important pour moi, parce que c’était la première fois que je jouais dans un Festival aussi important, avec dix troupes francophones et anglophones venus du Mali, du Gabon, du Sénégal, du Kenya, etc. C’était pour nous un grand honneur de gagner ce prix, mais aussi l’occasion de rencontrer nos confrères et consœurs africains avec qui nous avons créé des liens. «Elle était une fois la jupe», parle de l’incident de la jupe à Inzegan. Mais vous jouez aussi un texte adapté des écrits de Fatima Mernissi, avec Amal Ayouch.

Dans «El Jardin de las hesperides», il est encore question de voix de femmes. Est-ce que vous vous considérez comme une artiste engagée dans la cause féministe ?

Il est vrai que mon parcours est rempli de rencontres avec des œuvres sur des femmes fortes. «Elle était une fois la jupe», je l’ai initiée et co-écrite. Le projet sur Fatima Mernissi nous l’avons initié avec Amal Ayouch. C’est une thématique qui me tient vraiment à cœur, mais je ne milite pas par le théâtre, comme Fatima Mernissi ne se considérait pas comme une militante du terrain. Je peux traiter d’autres thématiques, bien que je reste très sensible à la condition des femmes. En fait, avant d’être une comédienne, je suis une femme, avec un vécu, des attentes, des revendications et des aspirations au changement. On ne peut pas séparer l’art de la vie et on ne peut exprimer que ce qu’on ressent. Alors forcément, la thématique me touche particulièrement.

Vous avez un parcours que l’on peut estimer courageux. Racontez-nous vos débuts dans le théâtre...

J’ai fait une école de commerce et de marketing, puis un master en Communication en France. Rentrée au Maroc, j’ai intégré le Conservatoire de Ben M’sik, en parallèle à mon travail, pour retrouver l’usage de la langue arabe classique, mais alors le théâtre m’a happée et j’en suis devenue mordue. J’ai alors intégré le Conservatoire du Complexe culturel d’Anfa. Dès la deuxième année, on avait fondé la Troupe 19h Théâtre avec un noyau d’amis qui continue à évoluer avec brio. Mais petit à petit, j’ai commencé à comprendre que j’étais addict. Cela ne me suffisait plus de pratiquer le théâtre en amatrice. D’autant plus que je me sentais totalement étrangère à mon environnement professionnel. J’en suis arrivée à somatiser et à être bloquée du dos pendant six mois ! J’ai alors tout arrêté pour devenir comédienne professionnelle. J’ai repris des études en master d’Ingénierie culturelle. C’est là que j’ai été invitée par feu Lahcen Zinoun pour gérer un premier spectacle de théâtre : «Shakespeare in heart», ce qui m’a permis de connaître les rouages de la pratique théâtrale au Maroc. Puis j’ai continué en France sur un master d’Études théâtrales écriture et représentation. Deux années à regarder des pièces du monde entier et à explorer la performativité du théâtre que j’avais découvert à la Faculté de Ben M’sik.

Aujourd’hui, vous êtes clairement une professionnelle du théâtre, puisque vous en vivez. Cela est possible grâce au statut d’Intermittent du spectacle, en France, qui permet aux artistes de s’assurer un revenu stable. Pensez-vous qu’un tel système soit transposable au Maroc ?

Pour obtenir le statut d’Intermittent du spectacle, il faut avoir travaillé 507 heures, pouvant inclure des répétitions, des représentations, des ateliers, des interventions et des formations continues. Cette condition rend l’artiste éligible au statut et lui garantit un revenu minimum lorsque celui-ci ne travaille pas. Toutefois, lorsqu’il est en activité, il n’a pas droit à ces allocations. Si l’on veut assurer une stabilité financière aux artistes pendant les périodes d’inactivité, on peut envisager un système similaire adapté à la réalité de la scène artistique marocaine. Ce système permettrait de préserver la dignité de l’artiste lorsqu’il se trouve sans emploi. Cependant, pour mettre en place une telle mesure, il est primordial de reconnaître l’importance de l’art et de le considérer comme un service public, aussi essentiel que l’alimentation, la sécurité ou la santé. Cette prise de conscience a été particulièrement mise en évidence durant la crise sanitaire, où les livres, la musique et les films ont joué un rôle crucial dans le maintien du bien-être mental et émotionnel de la population.

Vous qui travaillez souvent en France, comment voyez-vous l’évolution du théâtre marocain ?

Le théâtre au Maroc a connu une évolution importante. Des pièces de théâtre gagnent des Prix à l’international, mais ce sont souvent des succès individuels, des projets portés par des talents exceptionnels. On est encore loin de parler d’une dynamique globale. Mais ça pourrait changer si l’on s’y met avec les moyens et avec le cœur. Il faut de la quantité parce que c’est de là qu’émerge la qualité et la diversité de genres. On peut faire beaucoup mieux, d’autant que l’on veut se positionner sur la scène africaine et internationale, avec nos grandes institutions théâtrales. Cela requiert un investissement conséquent en contenu, car un vrai théâtre ce n’est pas des murs, mais d’abord de la création. n
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