Tanger est souvent présente dans vos écrits, parfois en toile de fond, parfois comme un personnage à part entière. Quelle place occupe-t-elle dans votre imaginaire d’écrivain ?
Tanger est un personnage important pour moi. Je suis arrivé de Fès à l’âge de sept ans et j’y ai découvert la lumière, la mer... C’était extraordinaire. C’était en 1955, à l’époque de la zone internationale de Tanger, un espace propice au brassage des identités et des nationalités, où l’on parlait plusieurs langues, notamment l’espagnol. J’ai fait mes études à Tanger et mes parents y ont vécu et y sont morts. Cette ville m’accompagne partout où je vais, et j’y reviens toujours avec un immense plaisir. Je ne saurais expliquer les raisons de cet attachement, mais je l’aime profondément. “La Nuit de l’erreur” se déroule à Tanger, tout comme “Jour de silence à Tanger”, et “Harrouda” s’y passe en partie. C’est une ville qui m’inspire beaucoup.
Vous avez grandi à Tanger, à une époque charnière. Quels souvenirs ont marqué votre jeunesse dans cette ville cosmopolite ?
Pendant ma scolarité au lycée Regnault, je faisais partie d’une petite minorité de Marocains, aux côtés d’une majorité de Français et de quelques Espagnols. C’était une période particulière, marquée par la guerre d’Algérie, qui influençait fortement l’ambiance au sein de l’établissement. Les discussions étaient souvent animées, les débats vifs, notamment pendant les récréations. L’atmosphère était tendue, rythmée par des échanges parfois rudes. Je ne garde pas forcément un bon souvenir de cette époque. Ma scolarité a été chaotique, même si j’ai tout de même obtenu mon baccalauréat en 1963, avant de partir à Rabat pour entreprendre une licence en philosophie.
Selon vous, qu’est-ce qui rend Tanger si particulière dans le regard des écrivains marocains et étrangers ?
Il existe une sorte de mythologie autour de Tanger, largement façonnée par la Beat Generation, puis par de grands peintres. Delacroix, Henri Matisse, Jacques Majorelle ou encore Claudio Bravo – qui a passé quarante ans de sa vie entre Tanger et Taroudant – sont autant d’artistes qui ont contribué à faire rayonner la ville à l’international. Leur regard, leur présence et leur œuvre ont nourri l’image de Tanger comme un lieu à part, source d’inspiration et de fascination.
Tanger a subi une opération de chirurgie esthétique assez radicale. Je n’ai rien contre cela, mais la ville a grandi, elle s’est étendue. On y trouve aujourd’hui des quartiers magnifiques, bien conservés, et d’un autre côté, des zones périphériques marquées par une urbanisation totalement anarchique. Ce visage-là de Tanger m’inquiète. Sur le plan de l’écriture, je me suis inspiré d’un quartier de la ville pour mon roman “Le Mariage du plaisir”, dans lequel j’évoque la présence de Subsahariens vivant clandestinement. Je m’y suis rendu et j’ai été frappé, presque effrayé, par le désordre qui y régnait. Cela dit, j’apprécie certaines métamorphoses de la ville, comme l’arrivée du TGV, le port Tanger Med – une grande réalisation économique – ou encore l’hôtel Mirage et sa plage sublime.