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«Urban Safar Tanja» : quand Tanger ouvre son cœur

Du 24 juillet au 3 août, le public a pu découvrir les représentations du spectacle «Urban Safar Tanja», créé et mis en scène avec des citoyens tangérois, par la compagnie néerlandaise Female Economy, en partenariat avec la troupe «Kabareh Chikhate» et d’autres comédiens marocains. Pour plonger au cœur de ce concept théâtral novateur, nous avons assisté à l’une des dix représentations de ce spectacle hors du commun.

Au terme de cinq semaines d’une résidence artistique originale, durant laquelle six comédiens ont été adoptés par six citoyens tangérois, le spectacle «Urban Safar Tanja» promettait une immersion profonde au cœur de la ville. Disons-le d’emblée : le pari a été remporté haut la main. Tout au long de ce périple poignant, le public a été happé par l'intimité des récits emplis de surprises et de fêlures.

Ce spectacle, à la fois original et innovant, s'inscrit dans une tradition théâtrale déjà couronnée de succès à l'international. Malgré la complexité de sa logistique, l'événement a été orchestré avec une précision remarquable, offrant au public multilingue et hétérogène une expérience fluide et mémorable. Tanger n’a pas démérité. La ville a ouvert son cœur, dévoilé ses fragilités et ses peines, pour mieux rapprocher ses habitants qui y cohabitent sans se connaître. Ceci est le summum de la force...

Les murs ont des histoires

Au cœur de la médina de Tanger, des histoires, en veux-tu ? En voilà ! Mais la richesse des histoires découvertes dans ce spectacle, découle des thèmes abordés avec audace, sincérité et surtout beaucoup de sensibilité.

Notre périple a commencé par le petit cocon de Said, un lieu exigu où il partage sa passion pour la musique avec ses amis, loin de l’intimité de son domicile. Avec Zouheir, ils ont tenu un propos critique sur le patriarcat qui les emprisonne dans une forme de masculinité toxique et qui n'est pas sans séduire les femmes, en les maintenant dans le confort de la dépendance.

Amine a été accueilli par Foulma, une Guinéenne. Foulma a partagé son expérience de l'excision, de la pauvreté, de la faim, du racisme, et de son amour complexe avec un chrétien alors qu'elle est musulmane. En retour, Amine a parlé de sa mère, du divorce de ses parents, de son admiration pour des figures féministes et du dilemme de la non binarisée.

En sept points, Ghassan a performé en présence de Mâalem Ahmed El Gord, autour du silence sur les origines des Marocains noirs et de leurs ascendants réduits à l’esclavage. Tout au long de la performance, ce silence est passé d’acte de soumission à un acte de rébellion et de réappropriation de l’histoire.

Jihane et Zohra ont proposé, quant à elles, un jeu interactif sur la condition de la femme et les empêchements que subit cette dernière dans la société conservatrice, tout en poussant le public à interagir et à échanger autour de question comme l’héritage, le viol, la parole des femmes et la religion.

Meriem et Hamza ont séjourné chez Malika, où ils ont partagé des récits poignants sur le déracinement. Meriem a évoqué la trahison de sa mère qui l’a arrachée à son Tanger natal, tandis qu'Hamza a dévoilé son isolement causé par la révélation de sa différence. La metteuse en scène Adelheid Roosen nous a expliqué que le travail avec Malika avait progressé par étapes, nécessitant une évaluation constante pour déterminer si la société était prête à accepter ces aveux.

Innovant et complexe

La difficulté, tout autant que le charme du spectacle, découle de son caractère itinérant. Un groupe hétéroclite de femmes et d’hommes, de divers âges et nationalités, se retrouve chaque soir, à 21 h devant le mythique «Cinéma Rif». Après une répartition en cinq groupes de douze personnes, chaque groupe est conduit par un guide vers une scène différente, dans l'un des cinq lieux choisis de la médina. Ces guides, des artistes locaux, jouent un rôle crucial en s'assurant que les groupes ne se croisent pas, maîtrisant parfaitement le parcours complexe.

La soirée se termine en apothéose au Théâtre Darna, avec une performance festive de la troupe «Kabareh Chikhate», partenaire et participante de l'«Urban Safar Tanja». Tous les comédiens, ainsi que leurs hôtes, se retrouvent pour célébrer la fin du parcours, dans la joie et la reconnaissance du partage.

Au-delà de l’aspect artistique pur, le spectacle «Urban Safar Tanja» se distingue alors par sa complexité et son caractère novateur. La gestion des déplacements, de l’immersion dans les lieux de performance, l’interaction du public et des artistes, tout en gérant le temps à la perfection relève assurément d'un véritable défi logistique.

Ceci étant dit, le spectacle s'est déroulé sans incident ou décalage, offrant une expérience nouvelle et unique, donnant à réfléchir sur l'autre ainsi que sur soi. Et rien que pour cela, vivement un «Urban Safar Casablanca ou Marrakech» !
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