A l’approche de la fête du sacrifice, les ménages marocains retiennent leur souffle, redoutant une montée surréaliste des prix des ovins. D’ores et déjà, sur les réseaux sociaux, une surenchère sur les prix bat son plein. Des vidéos tournées dans les souks hebdomadaires font état, à tord ou à raison, de prix pour le moins kafkaïens. L’une d’entre elles montre un négociant de moutons offrant un agneau pesant près de 35 kilogrammes à 4.500 dirhams. Du jamais vu, même pendant les années de sévères sécheresses.
Contacté par nos soins, le président de l’Association nationale des éleveurs d’ovins et de caprins, Abderrahmane Mejdoubi, dénonce vigoureusement ce phénomène et affirme ne pas comprendre cette campagne malsaine qui ne reflète pas la réalité de la filière ovine. «Les prix qu’arborent les uns et les autres sur les réseaux sociaux sont plus qu’exagérés. La filière ovine se porte bien cette année, en dépit du stress hydrique. Le soutien de l’État aux aliments pour bétail et qui a porté sur 15 millions de quintaux d’orge et d’aliments composés en 2023 a permis de reconstituer le cheptel à l’échelle nationale», explique M. Mejdoubi. Selon lui, l’offre dépasserait cette année les 6 millions de têtes, tandis que la demande devrait se situer à 5,6 millions. De même, poursuit-il, le recourt à l’importation permettra de désamorcer davantage la pression sur les prix cette année.
Les prix qui circulent sur les réseaux sociaux sont infondés selon l'ANOC
D’après les pronostics de l’ANOC, les prix devront monter au pire de 10 à 15% par rapport à 2023, mais n’atteindront toutefois pas les niveaux malencontreusement affichés sur les réseaux sociaux. Mejdoubi assure, par ailleurs, que les agnelages constatés ont été beaucoup plus importants que ce qui a été observé l’année dernière, et ce à la faveur des subventions de l’État aux aliments pour bétail. «L’opération d’identification des ovins et caprins destinés à l’abattage tourne à plein régime aujourd’hui. Les 400 identificateurs répartis à l’échelle nationale procèdent actuellement à l’identification de 100.000 têtes par jour. À son terme, ce processus nous permettra de disposer de données fiables sur le cheptel dédié à l’abattage et nous révélera les véritables effets des subventions aux aliments pour bétail», souligne l’opérateur.
M. Mejdoubi revient à la charge pour vouer aux gémonies le diktat des «chennaka» qui font flamber les prix des ovins à l’occasion du rituel du sacrifice. «En dépit des efforts de la tutelle et de l’association des éleveurs à travers l’organisation de souks modèles, les intermédiaires continuent de contaminer la chaîne de commercialisation. Ce qui contribue fortement à l’envolée des prix sur le marché», regrette le patron de l’ANOC qui exhorte les consommateurs à contourner les intermédiaires en allant s’approvisionner directement chez les éleveurs. «La majorité des ménages ne font pas l’effort de se déplacer aux fermes pour acheter directement leur mouton. Ce qui constitue une opportunité pour les intermédiaires de se faire de l’argent au détriment de l’éleveur et du consommateur», dénonce M. Mejdoubi.
Au diktat des intermédiaires, vient s’ajouter celui imposé par les communes. Selon le président de l’ANOC, les communes ne font qu’empirer la situation en organisant les souks. En effet, explique M. Mejdoubi, au lieu d’assurer la proximité de l’offre pour les consommateurs, les communes font tout à fait le contraire en mettant à la disposition des vendeurs des espaces de vente à des prix exorbitants. «Les positions dans les souks organisés par les communes sont ainsi cédées aux commerçants de moutons à des prix parfois dépassant les 10.000 dirhams l’unité. À cela s’ajoutent les frais de parking et autres redevances aux portes de ces plateformes. Ce qui rajoute de l’huile sur le feu et fait flamber outre mesure les prix», dénonce le président de l’ANOC.
Mohamed Sadiki se veut également rassurant
Rappelons que lors d'une session à la Chambre des représentants, le 29 avril dernier, le ministre de l'Agriculture, Mohamed Sadiki a détaillé les mesures prises pour garantir le bon déroulement de Aïd Al-Adha. Le ministre a ainsi souligné qu'un programme complet avait été mis en place depuis novembre 2023 pour cette occasion. Dans le cadre de ce programme, plusieurs actions ont été entreprises. Il s’agit notamment d’une évaluation minutieuse de l'offre et de la demande, en étroite collaboration avec les professionnels du secteur. M. Sadiki a par ailleurs précisé qu'environ 214.000 unités d'ovins et de caprins destinés à l'abattage et 3 millions de têtes avaient été identifiées à ce jour.
Sur le plan logistique, il a précisé que 34 nouveaux souks de moutons avaient été établis et équipés à travers le pays. De plus, des mesures d'importation ont été prises temporairement afin d'accroître l'offre, de protéger le cheptel national, de réduire les coûts et de stabiliser les prix. Dans cette optique, 100 importateurs ont été identifiés, en plus de l'ouverture sur de nouveaux marchés, notamment en Amérique du Sud. À en croire M. Mejdoubi, le quota de 600.000 têtes à importer à l’occasion de la fête ne sera pas atteint, et ce pour diverses raisons. «D’abord, parce que l’offre nationale est suffisante et ensuite parce que le consommateur marocain a une préférence pour les races locales, eu égard à la qualité de leurs viandes», détaille l’éleveur.