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Pénurie d'eau, sécurité alimentaire... pourquoi le Maroc doit adopter une approche proactive (Expert)

Le changement climatique impose un double défi : le stress hydrique s’intensifie alors que la sécurité alimentaire est de plus en plus menacée, mettant en péril la stabilité sociale. Mohamed Jalil, expert en catastrophes naturelles, changements climatiques et développement durable, alerte sur l’interconnexion alarmante de ces enjeux.

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Dans le contexte du changement climatique, les défis liés à l’eau et à l’alimentation s’intensifient au Maroc. Invité de «L’Info en Face», Mohamed Jalil, expert en catastrophes naturelles, souligne à cet égard l’interconnexion entre le stress hydrique et l’insécurité alimentaire, faisant de cette problématique un enjeu majeur pour la stabilité sociale du pays.

Selon lui, la situation actuelle révèle une fragilité alarmante en matière de sécurité alimentaire, une sécurité qui pourrait être sérieusement menacée dans un avenir proche si des mesures énergiques n’étaient pas mises en œuvre. «Nous devons impérativement anticiper les crises à venir, car l’insécurité hydrique peut rapidement se transformer en insécurité alimentaire», avertit M. Jalil. Le Maroc, avec ses diverses initiatives telles que le Plan Maroc Vert et le Plan national de l’eau, a déjà pris des mesures significatives pour faire face à ces défis. Mais une approche holistique qui intègre l’étude des interrelations entre les différentes politiques publiques est indispensable, insiste l’expert. M. Jalil met également en lumière le besoin urgent d’adopter une vision à long terme dans la gestion de ces crises. «Les défis que représentent le stress hydrique et l’insécurité alimentaire nécessitent une perspective temporelle de 30 à 40 ans, bien au-delà des cycles électoraux de cinq ans», affirme-t-il. Cette vision doit transcender les considérations politiques étriquées afin de bâtir des infrastructures et des politiques durables.

Variabilité climatique : faut-il s’inquiéter ?

L’expert ne manque pas de relever ainsi l’impact évident de la variabilité climatique sur l’agriculture qui alimente les préoccupations en matière de sécurité alimentaire. En effet, depuis près de sept ans, les fluctuations climatiques au Maroc ont des conséquences dévastatrices sur le secteur agricole. Les quelques cycles pluvieux observés sont de plus en plus imprévisibles, remettant en cause la fiabilité des prévisions de récoltes. «Le fait est que nous sommes en détresse, et cela fait près de sept ans que nous vivons les effets d’une variabilité climatique intense. Cette année s’annonce également difficile, comme le montrent les tendances climatologiques enregistrées jusqu’à présent. Malgré quelques épisodes pluvieux, nous avons observé un retard dans les précipitations qui, plutôt que d’être régulières, se sont manifestées sous forme d’orages sporadiques. Ces phénomènes ne font que souligner le dérèglement climatique dont nous sommes tous témoins», explique M. Jalil.

L’expert relève à cet égard une anomalie frappante : «Actuellement, nous connaissons une vague de chaleur inhabituelle pour la saison hivernale. Cela soulève des questions sur la normalité de ces fluctuations climatiques. Les températures que nous observons en novembre à Casablanca, par exemple, sont bien au-delà des valeurs habituelles pour cette période. Ce qui est perçu comme normal ou anormal doit se mesurer par rapport aux données climatiques établies sur 30 ans», précise-t-il.

Mais tout en concédant qu’il est normal de constater des variations climatiques sur une période plus ou moins longue, M. Jalil relève que le passage d’un temps froid à un temps intensément chaud dans une période courte est parmi les indicateurs de l’accentuation du dérèglement climatique. «Le changement climatique n’est pas seulement lié à des réductions de précipitations ou à des augmentations des températures sur le long terme. Il est aussi l’expression d’un bouleversement dans la thermodynamique de l’air, plongeant les régions dans des conditions climatiques extrêmes», affirme-t-il.

En guise d’illustration, l’expert évoque des phénomènes climatiques récents: «Parfois, nous faisons l’expérience d’un air chaud sans soleil, ce qui semble contre-intuitif. C’est la preuve d’un changement fondamental dans la circulation atmosphérique et le déplacement des masses d’air qui devient imprévisible. Nous pouvons observer une cohabitation de masses d’air sèches dans une période où nous devrions avoir de l’humidité, et vice versa», détaille l’invité de «L’Info en Face». M. Jalil enchaîne en avertissant que ces variations, bien que naturelles à un certain niveau, sont amplifiées par le changement climatique. «La variabilité climatique est exacerbée par les effets des activités humaines. Il est impératif de reconnaître cette nouvelle réalité et d’agir en conséquence pour atténuer le stress que cette crise croissante peut générer», recommande-t-il.

Crise de l’eau : d’une gestion réactive à une gestion proactive

Le Maroc fait face à d’importants défis en matière de gestion de l’eau, et ce constat est indéniable. D’après Mohamed Jalil, les études scientifiques prévoient une diminution significative des précipitations au niveau national, une tendance qui semble s’installer durablement. Certaines régions pourraient même enregistrer des baisses de pluviométrie atteignant jusqu’à 30%. Ce phénomène s’accompagnerait d’une élévation des températures, entraînant une augmentation de l’évaporation des réserves d’eau et un processus de dégradation des sols qui compliquerait davantage la situation. «Nous sommes à un tournant difficile !» déclare-t-il. «Nos politiques de gestion de l’eau sont devenues obsolètes face à l’évolution des modes de vie, de la démographie et des conditions climatiques. Les décideurs marocains n’ont plus le choix, ils doivent agir rapidement», alerte l’expert.

Mais la nécessité de renouveler ces politiques se heurte cependant à des enjeux environnementaux complexes, chaque décision ayant un impact sur l’écosystème. Qu’il s’agisse de construire un barrage ou d’installer des unités de dessalement, chaque pas doit être soigneusement calculé. «Les impacts environnementaux doivent être considérés avec sérieux», souligne M. Jalil, en insistant sur le fait que ces choix ne doivent pas être dictés uniquement par des considérations économiques, mais également écologiques. Cela est d’autant plus important que le Maroc envisage de diversifier ses sources d’approvisionnement en eau en misant à la fois sur les barrages – une nécessité malgré le faible apport pluviométrique – et sur des technologies de dessalement. Avec ses 3.500 km de littoral, le pays a la possibilité d’exploiter l’eau de mer, bien que cela puisse entraîner des conséquences écologiques, notamment à travers le rejet de saumures dans l’océan.

«D’ici 2027, nous prévoyons d’installer plusieurs des stations de dessalement, mais nous devons également anticiper les effets nocifs que ces saumures pourraient avoir sur les écosystèmes marins», explique l’expert. Il cite en exemple la station de dessalement de Casablanca, où quelque 300 millions de mètres cubes d’eau douce seront produits annuellement, entraînant le rejet de quantités équivalentes de saumure, ce qui pourrait affecter la santé des milieux aquatiques. Pour résoudre cette équation, M. Jalil appelle à un changement de paradigme en passant d’une simple gestion des crises à une gestion des risques : «Nous devons être proactifs et rigoureux dans notre approche. Le Maroc doit développer des solutions innovantes tout en protégeant ses ressources naturelles», conclut-il.
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