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Entreprises publiques : comprendre la nécessaire reconfiguration du portefeuille public

Pourquoi, comment et quand l’État doit se désengager des entreprises et établissements publics ? Est-il opportun de se désengager de certains plutôt que d’autres ? Lesquels faut-il éviter de céder ? Invité de l’émission «L’Info en Face», Abdelghani Youmni, économiste & spécialiste des politiques publiques, partage son point de vue.

Abdelghani Youmni
Abdelghani Youmni
Entreprises et établissements publics : quelle (re)configuration du portefeuille de l’État ? C’est la question centrale du dernier numéro de l’émission «L’Info en Face» de «Groupe Le Matin». Invité de ce numéro, Abdelghani Youmni, économiste & spécialiste des politiques publiques, répond d’abord qu’il faut «inscrire ce qui arrive au Maroc aujourd’hui dans un contexte mondial de radicalisation économique, d’un retour du patriotisme économique et de la volonté de l’État de devenir compétitif d’abord par le protectionnisme, ensuite par la lutte contre le dumping». Et de rappeler que le Royaume est en train de «construire des rampes de lancement de l’économie privée à travers les établissements et entreprises publics (EEP)». L'invité rappelle que deux tendances existent dans le monde aujourd’hui. La première est celle d’un protectionnisme vert que les Européens et les Américains utilisent par exemple pour protéger leur économie (taxe carbone par exemple).



«Au Maroc (et c’est la deuxième tendance, Ndlr), nous sommes sur une autre forme de protectionnisme de l’économie nationale. Il s’agit de préparer un décollage économique en maîtrisant d’abord les établissements et entreprises publics qui sont responsables des externalités positives sur les entreprises privées», explique notre spécialiste qui rappelle le rôle central des EPP dans le nouveau modèle économique adopté par le Royaume.

EEP : Pas de canards boiteux parmi les plus importants !

À ce titre, rappelle Abdelghani Youmni, «nous n’avons pas de canards boiteux dans les établissements et entreprises publics géants. L’ONEE, par exemple, est certes endetté, mais pour la bonne cause, parce que nous voulons que le coût de l’électricité ne soit pas trop cher pour ne pas dégrader davantage le pouvoir d’achat des Marocains et permettre aux industriels de produire à des coûts raisonnables», explique notre économiste.

Mais quelle est exactement la vision stratégique du gouvernement alors que, en dehors de l’OCP et la Conservation foncière, la majorité des établissements et entreprises publics sont déficitaires ? «Sur les 273 EEP existants au Maroc, qui réalisent un chiffre d’affaires de 325 milliards de DH par an (20% du PIB), il y en a qui connaissent des dysfonctionnements. Mais ceux à l’œuvre pour le décollage de l’économie marocaine (entre 10 et 12 EEP) n’ont pas vocation à dégager des bénéfices, parce qu’elles sont au service de l’industrie et de l’économie marocaine.

Elles créent donc des externalités positives pour que le secteur privé puisse produire et créer de la valeur et de l’emploi», répond notre invité. Et de préciser : «On veut aujourd’hui appliquer un management à la scandinave (dans les EEP, Ndlr) pour qu’il y ait de l’efficience, de l’effectivité et de l’efficacité. Ce qui permettra une meilleure productivité et plus de recettes fiscales à récupérer de l’autre côté».

Par ailleurs, rappelle notre invité, l’investissement au Maroc, c’est deux tiers provenant du public et un tiers du privé. «Cela veut dire qu’un dirham investi correspond à seulement 0,3 dirham investi par le privé. Il faut donc inverser cette courbe parce qu’on ne va pas passer notre vie à construire des autoroutes», explique notre expert. Mais comment ? «Construire les rampes de propulsion. Les secteurs de propulsion de l’économie, eux, sont bien identifiés: l’électricité, la souveraineté alimentaire... Mais il nous faut aussi des fleurons industriels public/privé et privés qui peuvent jouer le rôle de locomotive», répond M. Youmni.

EEP : les cessions partielles c’est bien, les partenariats public-privé c’est mieux !

Est-ce que l’État doit alors se désengager des EEP pour qu’elles retrouvent, au moins, leur équilibre financier ou devenir des fleurons ? «Quand vous parlez de souveraineté, vous ne pouvez pas vous défaire de vos EPP et les céder au privé pour qu’elles se retrouvent à la Bourse, entre les mains des actionnaires», répond notre invité. Et d’ajouter qu’«au Maroc, nous sommes dans une stratégie de capitalisme d’État. L’idée est empruntée aux Asiatiques (Indonésie, Chine, Singapour, à la Corée du Sud...). Nous voulons la souveraineté, donc des entreprises puissantes».

Comment procéder alors ? «Je ne suis pas un fervent défenseur des marchés des capitaux. Je trouve que c’est dangereux», explique notre économiste qui préfère plutôt les partenariats public-privé qui permettent de partager les bénéfices avec le partenaire public. Il en veut pour preuve l’exemple du Port de Tanger-Med. Seule exception qu’accepte notre invité, une ouverture de capital plafonnée. De plus, la privatisation n’est pas toujours une opération réussie, souligne Youmni. «Dans les télécoms, ça peut marcher. Mais dans d’autres secteurs, c’est un peu plus délicat. Dans le transport ferroviaire, par exemple, beaucoup de pays sont revenus vers le public, parce que la maintenance coûte cher et le privé ne le fait pas», explique notre invité. Ainsi, pour M. Youmni, il est possible d’ouvrir une partie du capital de l’ONCF et de l’ONDA (Office national des aéroports).

Quel est le moment opportun pour le faire ? «C’est quand un pays arrive à maturité sur le plan économique qu’il commence à se désengager des EEP, car les objectifs sont atteints. Ce désengagement permet d’avoir de la liquidité pour rembourser les dettes et au privé d’apporter plus de compétitivité, de savoir-faire et d’agilité. L’actionnariat partiel du privé est une bonne solution qui évite à l’État de s’endetter», précise notre économiste.

Qu’en est-il des 3,3 milliards de DH alloués aux EEP dernièrement ? «Tous les états le font. C’est une gymnastique publique connue dans les politiques publiques. Ce n’est pas propre au Maroc. Il s’agit d’une sortie que le Maroc a réalisée parce qu’il a une très bonne notation.

La reconfiguration du portefeuille de l’État et l’ouverture, même partielle des capitaux de ces EPP, sont-elles un bon signal à envoyer à la communauté internationale ? Ce n’est pas un mauvais signal», estime M. Youmni. Le Maroc veut en effet, sortir d’un modèle économique tiré par la consommation intérieure vers un autre tiré par la demande extérieure. «Pour y arriver, vous êtes obligés de restructurer vos EEP», explique notre spécialiste qui rappelle que céder une partie des EPP qui ne sont pas très endettés pour des liquidités ne peut être que positif.

L’invité de l’émission rappelle, en outre, que pour faire du capitalisme d’État, «vous ne pouvez pas le faire qu’avec le public. Il y a, cependant, un problème du côté du privé, car nous n’arrivons pas dépasser le taux de croissance de 3%». Et d’ajouter : «Nous n’arrivons pas à créer, dans nos universités et écoles d’ingénieurs, les futurs entrepreneurs de demain. Nous restons dans un entrepreneuriat d’importation et de commerce et de subventions publiques», répond notre expert. En attendant, M. Youmni estime que «c’est le moment peut-être de baisser à nouveau le taux directeur et de revenir à 2,5% pour relancer les différents secteurs et créer des emplois de qualité, mais pas seulement dans les régions riches».
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