Flexibilisation du dirham, crowdfunding, crypto-monnaie, financement vert... où en sont les chantiers de Bank Al-Maghrib ?

Le Plan stratégique de Bank Al-Maghrib (BAM) 2024-2027 s’articulera autour de deux grandes orientations majeures. La première consiste en une consolidation de la résilience de l’économie nationale et une stimulation de son développement à travers un appui aux secteurs moteurs et un soutien aux initiatives en rapport avec la croissance verte et inclusive. Quant à la seconde orientation, elle porte sur l’intégration de l’innovation dans les process de la Banque centrale afin de renforcer sa proactivité face à un environnement national et international en perpétuels changements.



Concrètement, indique Abdellatif Jouahri, qui s’exprimait le 19 décembre à l’issue du dernier Conseil de la Banque pour l’exercice en cours, le défi sera d’intégrer les avancées technologiques, notamment le développement d’une monnaie numérique et l’adoption et la régulation des crypto-actifs. L'institut d’émission s’attellera, par ailleurs, à mettre en place un Data center afin de pouvoir agréger la data et l’analyser de manière plus efficiente. Pour le gouverneur de BAM, les enjeux stratégiques liés à certains chantiers comme la flexibilisation du dirham nécessitent des préalables déterminants notamment la refonte des modèles de prévisions actuels de la Banque qui doivent être enrichis de manière à fluidifier la prise de décision dans le domaine monétaire. Pour accompagner ces changements structurels, la Banque centrale mise gros sur les supports technologiques.

L’institution a mis sur les rails un projet de révision de son schéma directeur informatique. La nouvelle architecture technique de la Banque devra ainsi inclure la robotique, l’intelligence artificielle et le Cloud computing. «Donc, tout est à revoir. Car, il faut que ce système soit en mesure d’apporter la proactivité nécessaire», souligne Jouahri qui estime qu’«il est peu probable qu’on passera à la deuxième étape de l’ancrage du dirham au regard des évolutions et incertitudes géopolitiques qui prévalent actuellement. Nous devons d’abord procéder à la revue de nos modèles de prévisions à court et moyen termes. Pour cela, nous devons essayer d’avoir les données les plus fiables.



D’ailleurs, une commission commune avec le HCP travaille actuellement sur des chantiers liés au traitement des données et leur fiabilité pour que la prise de décision soit basée sur des données solides», annonce Jouahri. Pour lui, le passage à la phase suivante de cette transition vers un nouvel ancrage du dirham ne serait entrepris que lorsque la préparation et la capacité de la majorité des acteurs impliqués à gérer efficacement ces changements seront pleinement établies et confirmées. D’ailleurs, la Banque centrale entend poursuivre ses tournées régionales pour sensibiliser l’écosystème des TPE et PME aux enjeux liés à cette grande mue.

Autre chantier de BAM, le verdissement des réserves de change. En effet, indique le patron de l’institut d’émission, la Banque centrale entend faire monter à 8% ses réserves de change vertes qui sont estimées actuellement à 200 millions de dollars. Une opération qui s’inscrit, d’ailleurs, dans l’engagement de la Banque à intégrer les préoccupations environnementales dans l’allocation stratégique d’actifs. Pour Jouahri, l’enjeu aujourd’hui consiste à appuyer le système bancaire national à intégrer davantage le changement climatique et le financement vert dans ses opérations. D’ailleurs, développe-t-il, nous allons devoir améliorer la cartographie des risques liés au changement climatique. Pour rappel, BAM avait adopté en 2021 la Directive sur les risques financiers climatiques et environnementaux. Selon les dispositions de cette dernière, l’écosystème bancaire a l’obligation d’intégrer dans ses stratégies sa politique de gestion des risques et dans sa gouvernance la composante «risques climatiques». Ce qui devrait permettre une meilleure couverture de ces risques.

Après l’entrée en vigueur de la loi 15-18 relative au financement collaboratif, plus communément appelé Crowdfunding, la Banque centrale examine actuellement deux projets de plateformes portées par de jeunes Marocains. Aux yeux de Jouahri, il s’agit d’un chantier lourd. «Les dossiers qui nous ont été soumis doivent être profondément analysés et cernés sur plusieurs plans. Le travail est actuellement mené avec les promoteurs de ces plateformes afin de les parachever. Les premiers agréments seront donc octroyés dans les mois à venir», révèle le gouverneur de BAM. Rappelons que ce mode de financement creuse doucement, mais sûrement son sillon au Maroc. Selon les résultats de la deuxième édition du baromètre du Crowdfunding marocain, réalisée par les experts de Happy Smala et les étudiants de l’ESSEC Afrique, quelque 171 projets marocains ont été financés via des plateformes de financement collaboratif entre 2019 et 2021, engrangeant, du coup, un total de plus de 3,7 millions de dirhams. Parmi ces projets, 60% sont portés par des particuliers, 27% par des associations, tandis que 10% des projets sont portés par des entreprises et 2% par des entités publiques. Le Baromètre du Crowdfunding marocain livre également des précisions sur l’impact des projets financés. En l’occurrence, 40% du montant total récolté a servi à financer des projets sociaux, 22% à lancer des activités économiques et 10% à soutenir des projets éducatifs.

Question crypto-monnaie, Jouahri assure que le groupe de travail dédié poursuit ses réflexions avec le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale. Un deuxième rapport de ce groupe a été livré et est à l'examen par la Banque centrale. «Nous y allons doucement, mais sûrement. C’est un projet pour le long terme. Il faut répondre à certains enjeux dans le cadre de ce chantier à l’instar des répercussions sur les politiques monétaires. Je dois vous dire que plus on avance, plus des problèmes très complexes apparaissent. Un travail sur la gouvernance de ce système doit également être mené», explique le gouverneur de BAM. Quant au chantier des crypto-actifs, Jouahri affirme que le travail sera repris de manière à intégrer les évolutions internationales, notamment à la suite de la réunion du G20 en Inde.