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Dessalement de l'eau de mer : ce qu'il faut savoir sur l'alliance Maroc/Espagne

Ce ne sont pas les domaines de coopération qui manquent entre le Maroc et l’Espagne. Les deux Royaumes voisins ont une histoire commune ainsi qu’un avenir et des défis communs. La sécheresse ces dernières années a accéléré le recours à l’eau dessalée de part et d’autres du détroit de Gibraltar pour alimenter les villes en eau potable et les régions agricoles en eau d’irrigation. Rabat et Madrid partagent ainsi leur expertise en la matière. Les résultats sont déjà probants.

8% à fin septembre : c’est le taux d’avancement enregistré dans les travaux de construction de l’usine de dessalement d’eau de mer de Casablanca, située dans les environs de Sidi Rahal. Ces travaux ont été lancés moins de trois mois auparavant par Son Altesse Royale le Prince Héritier Moulay El Hassan. À l’achèvement de la première partie, prévue pour courant 2026, la station sera en mesure de produire 200 millions de mètres cubes d’eau potable et d’irrigation par an. La seconde partie des travaux débutera à la mi-2028. La production devra alors atteindre 100 millions de mètres cubes supplémentaires dont la moitié sera destinée au secteur agricole.

Le ministère de l’Équipement et de l’eau, via son site internet récemment créé pour sensibiliser à la question de la raréfaction des ressources hydriques maadialna.ma, explique que la nouvelle station «pourra répondre à la demande croissante en eau du Grand Casablanca, Settat, Berrechid, Bir Jdid et environs». Le projet titanesque s’étendra sur une superficie de 50 hectares. 6,5 milliards de dirhams seront nécessaires à sa construction, mise en œuvre dans le cadre d’un partenariat public-privé. À terme, 300 millions de mètres cubes d’eau dessalée par an pour une population de 7,5 millions de Casablancais.

Une usine de nouvelle génération. C’est ainsi que le département de l’eau décrit et présente la station de Casablanca : deux canaux de prise d’eau de mer de près de deux kilomètres de longueur, une installation de traitement des boues ou encore un système d’acheminement d’eau potable composé de stations de pompage. «La nouvelle station, dont le coût de production d'eau potable est estimé à 4,48 dirhams/mètre cube, sera alimentée à 100% par une énergie renouvelable et sera entièrement automatisée», ajoute la même source.



Une technicité rendue possible grâce à «la signature d'un contrat d'achat d'électricité (PPA – ndlr : Power Purchase Agreement) avec un producteur marocain d'énergie renouvelable» qui garantira l'approvisionnement énergétique de l'unité, «assuré par de l'énergie éolienne 100% renouvelable», peut-on lire sur la présentation d’Acciona de ce projet qu’elle mène. L’entreprise espagnole dirige le consortium chargé de la construction de la station aux côtés de Green of Africa et Afriquia Gaz. «Le projet est la première usine d'un programme national visant à construire des usines de dessalement dans divers endroits de ce pays d'Afrique du Nord», poursuit-elle.

Station de Chtouka : un modèle de coopération pionnier

Autre manifestation de la coopération maroco-espagnole dans ce domaine vital et qui a d’ores et déjà porté ses fruits : l’usine de dessalement d’eau de mer de Chtouka. À fin août dernier, elle disposait d’une capacité de production de 275.000 mètres cubes par jour. Elle «assure l'approvisionnement en eau potable de 1,5 million de personnes (ndlr : de la ville d’Agadir) et l'irrigation d'une superficie de 15.000 hectares», selon la tutelle, «ce qui en fait la première du genre au Maroc, en Afrique et dans les pays méditerranéens». Le projet est géré par SEDA (Société d’eau dessalée d’Agadir), composée notamment de la société espagnole Abengoa. La station, fruit d’un PPP entre le ministère de l’Agriculture, l’ONEE et le groupe espagnol, compte augmenter sa capacité à 400.000 mètres cubes par jour. Les travaux d’extension doivent s’opérer fin 2024.

Le projet est décrit par le ministère de l’Équipement et de l’eau comme le fruit d’un PPP ayant bénéficié «de la grande expérience du secteur privé dans ce domaine (...), réalisé dans un cadre coopératif entre les secteurs de l'eau et de l'agriculture ayant coûté un énorme investissement d'environ 4,4 milliards de dirhams, réparti entre 60% pour le secteur privé et 40% de contribution de l'État». Lancé par Sa Majesté le Roi en 2020, il «a commencé à fournir de l’eau d’irrigation aux agriculteurs en juin 2022».

Deux Nations aux mêmes défis

Une fois l’extension actée, «200.000 mètres cubes seront dirigés vers les terres agricoles et 200.000 vers le secteur de l'eau potable pour approvisionner les habitants d'Agadir». La station de Chtouka est décrite comme «une mise en œuvre de la Vision Royale concernant la sécurisation des ressources en eau dans le domaine agricole». Sous-Massa, région exportatrice de fruits, «a maintenu sa position». Le recours aux eaux non-conventionnelles permettrait ainsi «de maintenir le niveau de production agricole».

Aujourd’hui, les pouvoirs publics veulent atteindre un objectif de production de 243 millions de mètres cubes annuels dans la région, soit 46 millions de mètres cubes par an dont 18 millions alloués à l'eau potable et 28 millions alloués à l'eau d'irrigation, et ce avant fin 2026. Le partenariat Maroc-Espagne dans ce domaine-clé est bien parti pour s’inscrire dans la durée. Une coopération d’autant plus solide qu’elle concerne deux pays voisins aux défis communs, dont celui de sécuriser l’approvisionnement en eau dans un contexte de sécheresse qui s’éternise.

PPP, un modèle qui a fait ses preuves

«Le Maroc est actuellement pionnier dans le domaine des partenariats public-privé (PPP) en irrigation et dessalement de l'eau de mer». Cette appréciation du ministre de l’Agriculture Mohamed Sadiki faisait notamment référence au projet de Chtouka pour l'irrigation de 15.000 hectares par dessalement de l'eau de mer, aujourd'hui considéré comme un cas d'école à l'international. Une politique volontariste selon le responsable, «articulée autour de stratégies agricoles et hydriques audacieuses, avec un accent particulier sur la rationalisation de l'utilisation des ressources en eau pour faire face à la raréfaction croissante de cette ressource».

L’Espagne, champion régional du dessalement

L'Espagne, qui compte plus d’un millier de stations de dessalement, est le premier producteur d'eau dessalée en Europe. C’est vers le milieu des années 2000 que le pays met en place un vaste plan de dessalement pour remédier à la pénurie d’eau, aggravée par la sécheresse. Barcelone héberge actuellement la plus grande usine de dessalement d'eau de mer en Europe. La capitale de la région catalane a aussi décidé d’abriter une usine flottante de dessalement d’eau de mer dans le port. Installée sur un immense cargo, elle devait être opérationnelle ce mois d’octobre. 40.000 mètres cubes d’eau pourront être produits chaque jour, soit 6% de la consommation quotidienne de la ville. Ailleurs dans le pays, le niveau des réserves hydriques inquiète également. Du côté de Valence par exemple, les unités de dessalement installées le long des côtes produisent à ce jour environ 10% de l'eau douce consommée en Espagne.

Entretien avec Mohamed Sadiki, ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts

Dessalement de l'eau de mer : ce qu'il faut savoir sur l'alliance Maroc/Espagne



Le Matin : La station de dessalement de Chtouka (Agadir) est souvent qualifiée d'«exploit» dans la presse. Est-ce parce qu'elle fournit aussi bien de l'eau potable que de l'eau d'irrigation ?

Mohamed Sadiki :
En fait, la station de dessalement de Chtouka est un projet original à plusieurs égards. Il s’agit de la première station de dessalement de l’eau au Maroc destinée à l’approvisionnement en eau d’irrigation et en eau potable à grande échelle. Le projet de dessalement de Chtouka est également original par son montage, car il est réalisé dans le cadre d’un partenariat public privé avec mutualisation de la station de dessalement de l’eau de mer pour l’approvisionnement en eau potable et l’eau d’irrigation, ce qui a permis d’optimiser les coûts et faire des économies d’échelle.

Il s’agit d’un véritable exploit car il a été réalisé dans des délais record, malgré les conditions très contraignantes de la crise sanitaire de la pandémie Covid 19, ce qui a permis de sécuriser l’approvisionnement en eau à la ville d’Agadir au moment où la région de Souss Massa est fortement affectée par une sècheresse sans précèdent.

La station de Chtouka utilise des technologies de dessalement modernes par l'osmose inverse, qui permettent de traiter efficacement l'eau de mer tout en respectant les normes de qualité.

Le projet d’irrigation associé à la station de dessalement de Chtouka concerne 15.000 hectares de cultures primeurs menacées d’épuisement des ressources en eau. Le projet a permis de fournir une alternative durable d’approvisionnement en eau d’irrigation et ainsi de sauvegarder la zone de Chtouka qui représente 90% des exportations nationales de tomates.

Depuis sa mise en service en décembre 2022, la station de Chtoukala fournit quotidiennement 150.000 mètres cubes d'eau potable pour la ville d'Agadir et 125.000 mètres cubes pour l'irrigation des cultures.

La capacité globale est aujourd'hui estimée à environ 275.000 m3/ jour. Est-elle amenée à augmenter ?

Dès la conception du projet de Chtouka, la station de dessalement a été prévue pour une capacité initiale de 275.000 m³ par jour dans une première phase, extensible à 400.000 m3/j en phase finale. Cette capacité se répartit comme suit :

• 150.000 m³ par jour destinés à l'eau potable en première phase, extensibles à 200.000 m³ par jour en phase finale,

• 125.000 m³ par jour pour l'irrigation en première phase, également extensibles à 200.000 m³ par jour en phase finale.

Pour apporter une réponse au stress hydrique qui persiste dans le bassin de Souss-Massa, l'extension de la station est en cours de préparation pour un démarrage des travaux vers la fin de 2024, afin d'augmenter sa capacité à 400.000 mètres cubes par jour.

Le projet avait remporté en 2018 le prix du meilleur partenariat public-privé lors de la conférence de l'Association internationale de dessalement à Dubaï.

Pouvons-nous ainsi qualifier le montage institutionnel, technique et financier de ce projet de «modèle» ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

De par son montage institutionnel, technique et financier innovant, le projet de partenariat public-privé de Chtouka pour le dessalement de l’eau de mer s’est distingué à l’échelle internationale. Ce projet constitue un modèle à l’échelle nationale et internationale en matière d’adaptation au changement climatique. En effet, cette station assure le service public de distribution d’eau potable et d’irrigation dans une région à fort développement économique et social tout en stimulant l’emploi et l’approvisionnement local. Elle sécurise également un apport constant en eaux d’irrigation assurant ainsi le maintien d’une activité agricole à forte valeur ajoutée. Ainsi, lors de la conférence internationale tenue par l’Association internationale de dessalement (IDA) en 2019 à Dubaï, ce projet a été consacré par le prix du meilleur partenariat public-privé.

Enfin, peut-on en savoir plus sur la future station de dessalement de l'eau de mer de Dakhla-Oued Eddahab ?

Le projet de dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation à Dakhla est un projet qui s’inscrit dans le nouveau modèle de développement des provinces du Sud.

Ce projet consiste en la réalisation d’une unité de dessalement pour produire l’eau par le recours à l’énergie éolienne renouvelable pour un volume annuel de près 37 Mm3 d’eau (30 Mm3 pour l’irrigation et 7 Mm3 pour l’eau potable). Il permet la création d’un périmètre irrigué de 5.200 hectares dans une zone désertique dépourvue de ressources en eau. Le projet sera alimenté en énergie verte par un parc éolien d’une capacité de 60 MW.

Ce projet s’est fixé les objectifs suivants :

• contribuer à la préservation des ressources en eau souterraine de la région ;

• produire environ 500.000 tonnes de légumes, générant une valeur ajoutée d'environ 500 millions de dirhams par an ;

• créer près de 10.000 emplois permanents

Les terres à irriguer seront loties, viabilisées et affectées aux investisseurs agricoles et des jeunes promoteurs de la région dans le cadre d’une offre de projet à contractualiser dans le cadre de PPP autours des terres agricoles piloté par l’Agence pour le développement agricole.

À la date d'août 2024, le taux d'avancement global du projet est de 58%. Le démarrage de l'exploitation est prévu pour juin 2025.

Le projet est novateur à plusieurs égards :

i) il est basé sur une approche nexus eau-énergie-alimentation, une première à l’échelle nationale ;

ii) ii) il s’agit du premier projet à réaliser dans le cadre institutionnel introduit par la Loi n°86-12 sur les contrats de partenariat public-privé (PPP).

Ce qui a permettra de créer un véritable pôle de développement durable dans la région basé sur une usines de dessalement d’eau alimentée en énergie renouvelable propre, afin de réduire le coût de production de l’eau dessalée et de réduire l’empreinte carbone du projet.

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