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Dessalement de l’eau de mer : comment mettre en place un écosystème efficace et durable

Chaque jour dans le monde, 100 milliards de litres d’eau sont dessalés et cette production devrait doubler d’ici 2025. Stress hydrique, explosion de la demande… les raisons sont multiples pour recourir au dessalement de l’eau de mer. Au Maroc, l’enjeu est plus grand puisque le pays est passé d’une situation de stress hydrique à une situation de rareté hydrique. Le Royaume s’est lancé dès lors dans un plan ambitieux à l’horizon 2030, pour assurer son approvisionnement en eau potable à hauteur de 50% grâce au dessalement de l’eau de mer, avec une moyenne annuelle de 1,7 milliard de mètres cubes. Une entreprise d’envergure qui sera menée dans le plein respect des considérations écologiques.

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C’est l’un des messages clés contenus dans le Discours Royal du 29 juillet 2024 qui a appelé à mettre les bouchées doubles pour parachever les chantiers stratégiques relatifs à la gouvernance des ressources en eau, notamment ceux inhérents à la généralisation du transfert d’eau des bassins hydrauliques, au parachèvement du programme de construction des barrages et des stations de dessalement de l’eau de mer.

«La réalisation des stations de dessalement de l’eau de mer doit être accélérée, selon le programme arrêté à cet effet pour assurer la mobilisation annuelle de plus de 1,7 milliard de mètres cubes. À l’horizon 2030, le Maroc pourra ainsi couvrir plus de la moitié de ses besoins en eau potable à partir de ces stations, irriguer d’importantes superficies agricoles et renforcer de cette manière sa sécurité alimentaire», a souligné le Souverain. Il s’agit donc de satisfaire efficacement les besoins en eau des citoyens, répondre à la demande accrue des activités productives, notamment en matière d’irrigation, et appuyer la trajectoire de développement socioéconomique du Royaume.

Un contexte de stress hydrique inquiétant

Pour Tarik Jellouli, enseignant chercheur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Fès et président de l’Observatoire de la santé, de l’innovation et du développement social, il est important de saisir le contexte actuel et les raisons de l’épuisement des ressources hydriques au Maroc. «L’eau constitue un secteur prioritaire pour le Maroc, du fait du climat semi-aride du pays et des impératifs de croissance. Elle a un lien avec tous les secteurs de l’économie et sert à tous nos modèles économiques. Le Maroc a été impacté par une sècheresse extrême pour la sixième année consécutive. Cette sécheresse, liée au changement climatique, a touché notamment le Centre, l’Oriental et le Sud du Maroc», a indiqué le professeur. Le pays est donc entré dans un cycle de stress hydrique structurel. Comme nous l’explique M. Jellouli, l’épuisement des ressources hydriques peut s’expliquer par cinq facteurs :

1. Le déclin, voire le tarissement dans certaines régions comme le Souss des nappes phréatiques sous l’effet du non-renouvellement du cycle de l’eau et de la surexploitation de ces nappes, notamment par l’agriculture qui consomme 80% des ressources hydriques mobilisables.

2. Le niveau bas record des réserves d’eau dans les barrages qui n’ont pas assez du temps pour se remplir, à cause des saisons courtes de pluie, sans oublier la vaporisation de l’eau sous l’effet des hautes températures et le problème d’envasement des barrages.

3. L’urbanisation galopante des villes côtières, où résident 70% de la population qui consomme la moitié de l’eau potable. Notons ici que la dotation annuelle en eau par habitant a baissé de quatre fois en 60 ans, se situant aujourd’hui à 600 m³/hab.

4. L’état des canalisations et des infrastructures hydriques qui permettent à des quantités considérables d’eau de fuiter et donc de se perdre dans la nature.

5. La dégradation des écosystèmes qui permettent au cycle de l’eau de fonctionner et de se renouveler.

C’est dans ce contexte donc que le Royaume se mobilise pour gérer la rareté de l’eau en déployant une série de mesures à court, moyen et long termes.

Le dessalement de l’eau de mer, un écosystème à mettre en place

Historiquement, le Maroc a inscrit dès 1973 le dessalement dans le plan directeur national d’approvisionnement en eau potable. Depuis, plusieurs projets ont vu le jour à travers l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE). Toutefois, en raison de la disponibilité des ressources en eau potable et de la hausse du coût du dessalement, cette technique ne s’est pas trop développée. Aujourd’hui, le dessalement de l’eau de mer s’impose comme une solution viable pour les régions touchées par des sécheresses récurrentes telles que les provinces du Sud, de l’Oriental et du Centre.

C’est donc tout un écosystème qu’il va falloir développer pour permettre au Maroc d’installer une industrie locale de dessalement de l’eau de mer et même de se positionner au niveau régional et continental. C’est ce que Sa Majesté le Roi avait souligné dans le discours du Trône en appelant au «développement d’une industrie nationale de dessalement de l’eau, à la création de filières de formation d’ingénieurs et de techniciens spécialisés, à l’encouragement de la constitution d’entreprises nationales spécialisées dans la réalisation et l’entretien des stations de dessalement».

Conformément aux Directives Royales, indique M. Jellouli, la création d’un écosystème autour du dessalement de l’eau de mer s’impose et impliquerait toutes les parties prenantes. «Une instance de gouvernance permettra d’assurer la coordination entre les acteurs, à savoir le ministère de l’Équipement et de l’eau, ministère de l’Agriculture, les établissements tels que l’Office national d’électricité et d’eau potable, l’OCP, les régies autonomes d’eau et d’électricité, sans oublier le secteur privé», note l’expert.

Outre la gouvernance, il y a l’enjeu de développer une technologie avec de l’expertise marocaine, travailler avec les universités pour créer une offre de formation répondant aux besoins du marché. L’objectif étant de maîtriser la technologie, les coûts opérationnels, la consommation d’électricité et la durée de vie de ces installations. Pour compléter cet écosystème, le suivi, l’entretien et le contrôle des stations de dessalement sont également importants.

Efficacité énergétique et maîtrise des coûts

Dessaler l’eau de mer est un procédé cher, énergivore et qui rejette des quantités importantes de gaz à effet de serre (GES) dans la plupart des pays dotés d’un mix électrique très intensif en CO2. La consommation électrique des usines est élevée, variant selon les techniques à l’œuvre. «Le Maroc a choisi sa voie pour réussir son propre modèle, à commencer par son programme en matière d’efficacité énergétique et ses actions actuelles au niveau de la préservation des ressources hydriques, notamment les programmes d’installation des stations de dessalement le long de ses côtes dont la longueur est estimées à 3.500 kilomètres», indique le chercheur. En effet, la station de dessalement de l’eau de mer de Casablanca-Settat prend en compte cet enjeu climat. Ce projet, le plus grand du genre en Afrique, comportera la deuxième installation au monde qui sera alimentée à 100% en énergie propre.

«Certes, les stations de dessalement utilisent la technologie de l’osmose inverse, la plus efficace et respectueuse de l’environnement, selon les spécialistes. Cette technique a donné ses preuves en Catalogne notamment et dans les pays du Moyen-Orient. Toutefois, la désalinisation a un coût énergétique notoire, d’où la nécessité de maîtriser l’économie d’énergie. En effet, la technologie de l’osmose inverse entraîne une forte consommation en énergie fossile avec l’inconvénient d’émettre du dioxyde de carbone. Les futures stations de dessalement devraient fonctionner à l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, à savoir le solaire et l’éolien, afin de mieux maîtriser le coût du kilowattheure qui peut représenter jusqu’à 70% du coût du mètre cube pour une station utilisant des énergies fossiles», explique l’expert. Et de noter que le recours aux énergies renouvelables et l’établissement des nouvelles stations dans le cadre de partenariats public-privé sont deux facteurs essentiels qui permettront de rentabiliser l’investissement des stations et assurer leur efficacité énergétique.

Et l’impact sur le milieu marin ?

Ces mégaprojets du dessalement de l’eau de mer doivent par ailleurs relever le défi de la maîtrise de la biodiversité des écosystèmes marins. «Les stations de dessalement peuvent impacter la vie aquatique par les décharges de saumure et les rejets dans la mer sans traitement préalable, d’où la nécessité de mener des études d’impact ponctuelles sur l’exploitation des stations et sur les rejets de saumure. L’objectif étant de proposer des méthodes de dilution des saumures de façon à ne pas générer une augmentation de la salinité au point de rejet, tout en respectant les seuils fixés par les normes internationales pour ne pas affecter le milieu marin», explique M. Jellouli. Il appelle également à déployer des programmes de surveillance, de vigilance et de suivi de ces projets. «Les usines performantes seront celles qui permettent des rejets de saumure plus loin dans la mer, ce qui protège le littoral», lance-t-il avant de signaler que sur la façade atlantique marocaine, la présence de forts courants marins peut atténuer les impacts sur la vie aquatique.

Pourquoi dessaler l’eau de mer

Le président de l’Observatoire de la santé, de l’innovation et du développement social retient 6 raisons pour avoir une industrie de dessalement efficace :

1. Réduire la dépendance aux précipitations irrégulières, sachant que le Maroc repose à 90% sur les eaux de surfaces issues des barrages et les eaux souterraines, c’est-à-dire les eaux conventionnelles.

2. Sécuriser l’approvisionnement en eau potable des principales agglomérations côtières.

3. Réduire la pression sur les zones des eaux en surface et souterraines parfois acheminées sur de longues distances, via les autoroutes de l’eau, à partir des barrages.

4. Redéployer les ressources en eaux économisées vers les villes intérieures qui souffrent de pénurie.

5. Développer une agriculture à forte valeur ajoutée, notamment la culture sous serre, qui cherche à optimiser l’usage de l’eau en adoptant la micro-irrigation.

6. Améliorer la résilience aux changements climatiques des différentes régions.

Quelques chiffres

Le Maroc a lancé des projets structurants visant à réaliser 20 stations de dessalement de l’eau de mer à l’horizon 2030. Douze stations sont déjà opérationnelles avec une capacité de production annuelle de 1.793 millions de mètres cubes. Les dernières stations étant celles de Laâyoune et de Safi. D’autres projets, à savoir les stations du Grand Casablanca-Settat, de Dakhla et de l’Oriental, sont en cours, avec comme objectif le traitement de plus d’un milliard de mètres cubes d’eau dessalée par an d’ici 2027.
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