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Façade atlantique : les navires marocains doivent reprendre la mer

L’Allocution Royale prononcée à l’occasion du 48e anniversaire de la Marche verte, soulignant la dimension atlantique du Royaume, est venue rappeler le défi économique que constitue le développement du secteur du transport maritime. L’amélioration de l’infrastructure portuaire et logistique a été érigée en priorité. Qu’en est-il de la remise à niveau d’une flotte nationale ?

3.500 km de côtes. 75.000 km de zones maritimes territoriales. 1,2 million de kilomètres carrés de zone économique exclusive. Quatorze ports (sur un total de 43) ouverts au commerce extérieur. Des chiffres, émanant du ministère du Transport et de la logistique, qui donnent le tournis. Le Maroc veut être une nation maritime de premier plan. Conscient de l’importance de l’économie bleue, la stratégie du pays – miser sur les ports – a payé. Il se hisse au vingtième rang mondial en termes de connectivité maritime. Un autre attend le Royaume : intégrer le cercle fermé du marché international du transport maritime.

La tâche sera ardue. Les pouvoirs publics planchent désormais «sur une étude stratégique portant sur la constitution d’une flotte nationale de commerce maritime forte et compétitive», annonçait le ministre de tutelle au Parlement en novembre dernier. Un mois plus tôt, toujours dans l’hémicycle, il situait le contexte : «Le marché international du transport maritime connaît une concentration et un contrôle par un petit nombre de compagnies maritimes». Dans le détail, elles sont 25 compagnies internationales spécialisées dans le transport de conteneurs. Elles contrôlant «92% de la capacité mondiale disponible pour le transport de conteneurs, dont 10 compagnies détenant 83% de la part de marché de ce type de transport».

Commerce extérieur : 96% pour les ports, 5% pour la flotte

Le but est d’abord de créer des conditions propices à encourager les investissements dans le secteur de la flotte de commerce maritime. L’étude en cours doit se pencher dans un premier temps sur «le diagnostic de la situation actuelle de la navigation commerciale afin de l’adapter aux meilleures pratiques internationales». Selon les chiffres déclinés par la tutelle, le Maroc compte 9 compagnies maritimes nationales. Elles exploitent 16 navires, dont «6 pour le transport de conteneurs» en Méditerranée. Ils étaient au nombre de 66 en 1989. À ce jour, selon les derniers chiffres disponibles (2022), la flotte maritime nationale n’assure que 5% du commerce extérieur.

L’heure est donc à la libéralisation du secteur du transport maritime. Le Maroc est déjà engagé dans cette voie qui «est le moyen le plus efficace de créer de la richesse, de développer l’économie nationale et de créer les opportunités d’emploi». Le ministre a rappelé qu’au cours des vingt dernières années, «un nombre important de secteurs vitaux ont été libérés, notamment le transport routier de marchandises, le transport aérien et les services portuaires». Le défi passe également par une remise à niveau technologique. La tutelle planche sur un ensemble de chantiers ayant trait à l’amélioration de la performance électronique de la Direction de la marine marchande (DMM).

Au vu de la qualité de ses infrastructures portuaires nationales et le contexte géopolitique mondial avec les tensions en mer Rouge, les opportunités de développer une flotte de commerce nationale sont réelles malgré un contexte qui semble défavorable à la concurrence. Il faudrait également, selon les professionnels du secteur (cf. entretien), mettre en place des routes maritimes entre les provinces du Sud et les ports de Casablanca et Tanger Med. Ces dernières devant être mieux connectées à l’Ouest. Le lien Maroc-Europe à travers la mer bleue est déjà bien ancré. Renforcer la dimension Atlantique, portée au plus haut niveau de l’État, a vocation à faire de la façade atlantique une porte vers l’Afrique et l’espace américain.

Connectivité maritime : le Royaume au 20e rang mondial

Miser sur les infrastructures et la logistique a permis d’attirer des investissements internationaux et d’améliorer l’indice de connectivité du Royaume. L’activité des ports a été qualifiée d’exceptionnelle par le ministre lors de la dernière session de l’assemblée de l’Organisation maritime internationale (OMI) en automne dernier. Ils assurent plus de 96% du commerce extérieur du pays, transportent plus de 195 millions de tonnes de marchandises et 1 million de véhicules chaque année, détaillait-il. «Environ 9 millions de conteneurs sont traités dans les ports connectant le Maroc à 80 pays et 180 ports dans le monde, plaçant le Royaume au vingtième rang mondial en termes de connectivité maritime», notamment grâce au champion Tanger Med. Une activité amenée à se renforcer avec Dakhla Atlantique.

Entretien avec Mohamed El Jaouadi, président de l’Association des armateurs du Maroc (ARMA) : Le Maroc est prédestiné, par sa géographie et son Histoire, à être une nation maritime de premier ordre en Afrique et en Méditerranée

Le Matin : Dans son dernier discours de la Marche Verte, le Souverain a émis le souhait que la façade atlantique devienne un pôle d’intégration économique. Peut-on parler d’une opportunité pour faire renaître la flotte nationale ? Quel rôle l’ARMA peut-elle jouer ?



Mohamed El Jaouadi :
Nous, professionnels du secteur du transport maritime, représentés au sein de notre Association des armateurs du Maroc, exprimons notre total soutien au Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu le Glorifie, en faveur d’une flotte marchande forte et compétitive, au service des pays enclavés de l’Afrique de l’Ouest.

Le Discours Royal intervient à un moment crucial. Le Maroc affiche depuis quelques années une ambition claire pour développer l’économie bleue, un écosystème créateur de valeur et de prospérité. Si le pays a mis en place une stratégie logistique et portuaire, le secteur du transport maritime, pourtant essentiel à cette économie, a été négligé en raison de l’absence d’une politique maritime volontariste. Aujourd’hui, le Discours Royal trace une Feuille de route claire et il est impératif que tous les acteurs du secteur se mobilisent. Les nations maritimes prospères d’aujourd’hui ont osé affronter les mers, et le Maroc ne devrait pas faire exception.

Par ailleurs, le contexte actuel, marqué par des tensions géopolitiques croissantes et des risques épidémiologiques, met en lumière la nécessité de diversifier les sources d’approvisionnement mondiales, y compris dans la construction navale, actuellement concentrée à plus de 80% en Asie. Le Maroc, disposant de nombreux atouts, peut bénéficier pleinement de ce changement de paradigme économique mondial. Les tensions en mer Noire et en mer Rouge ont rendu l’accès à la Méditerranée Est incertain, laissant comme seule voie d’accès le détroit de Gibraltar, ouvrant directement sur l’Atlantique.

Cette situation crée des opportunités réelles pour le Maroc, notamment pour ses ports, avec une augmentation notable des trafics de transbordement à Tanger Med et au port de Casablanca. Ces trafics nécessitent de nouveaux services maritimes relais tels que le cabotage, le grand cabotage et le feedering, qui pourraient être assurés par une flotte de commerce nationale.

De plus, les provinces du sud du Maroc, en plein essor, doivent être mieux connectées au reste du monde, en particulier à l’Afrique de l’Ouest et aux Amériques. À court terme, il est nécessaire d’établir des routes maritimes entre les différents ports des différentes régions du Royaume, à l’image des autoroutes terrestres, pour accompagner la régionalisation avancée. Les provinces du Sud doivent être connectées aux ports de Casablanca et Tanger Med par voie maritime, car la connexion par voie terrestre est très coûteuse et compromet la compétitivité économique, compte tenu de l’étendue géographique du territoire.

Cette situation constitue une opportunité pour relancer une flotte nationale opérant dans le cabotage et le feedering. De plus, la politique portuaire et maritime doit être soutenue par les régions, afin de favoriser leur épanouissement à l’international, d’autant plus que presque toutes les régions du Maroc disposent d’une façade maritime et d’un port commercial. Les complexes logistiques et portuaires en cours de réalisation dans les provinces du Sud, notamment le complexe portuaire atlantique de Dakhla, connaîtront une massification des flux qui contribuera à la création d’une flotte marchande.

À plus long terme, la Vision Royale Atlantique intégrée, avec un Hub logistique tel que le Port Dakhla Atlantique et une connexion logistique avec un hinterland régional comprenant plusieurs pays d’Afrique (Mali, Niger, Burkina-Faso, Tchad et Mauritanie), offre un immense champ de possibilités, notamment pour une flotte nationale. Les membres de l’ARMA joueront un rôle essentiel dans cette perspective.

La mise à niveau de la flotte nationale est-elle possible quand le Maroc ne dispose plus d’armateur national depuis le décès acté de la Comanav ?

Oui, il est tout à fait possible de mettre à niveau la flotte nationale. Aujourd’hui, tous les éléments sont réunis pour envisager une renaissance de la flotte nationale, avec une volonté politique au plus haut niveau de l’État et un contexte économique et géostratégique favorable. Il est impératif de s’atteler à cette tâche.

Le chemin à parcourir sera long et difficile. Actuellement, ce n’est pas tant la disparition de la flotte qui pose problème, mais surtout la perte de l’expertise maritime qui en a découlé. Si disposer d’une flotte marchande n’est pas l’enjeu majeur, étant donné que l’offre en navires de commerce et les sources de financement sont disponibles, former un bon commandant nécessite quinze ans de travail. Heureusement, nous disposons encore de certains savoir-faire capables de reprendre la mer et de tracer une nouvelle voie.

Ce qui nous rassure au sein de l’ARMA, c’est que des compagnies maritimes telles que Comanav ont existé par le passé au Maroc, alors même que notre niveau de développement économique n’était pas comparable à celui d’aujourd’hui. Nous avons gagné en maturité et en capacités. Bien que le schéma de Comanav ne soit plus reproductible dans l’environnement actuel, le succès du complexe portuaire de Tanger Med montre que le Maroc est prédestiné, par sa géographie et son histoire, à être une nation maritime de premier ordre en Afrique et en Méditerranée.

Dans le monde de l’Open Sea, faut-il instaurer un certain protectionnisme pour faire renaître la marine marchande de ses cendres et assurer sa pérennité ?

L’Open Sea, tel qu’il a été conçu, était certes une fatalité. Les accords de libre-échange structurant le commerce mondial rendent le recours au protectionnisme pur et dur risqué. Cependant, il est possible de mettre en place un protectionnisme plus intelligent, éclairé et bienveillant. De nos jours, les grands États maritimes ne protègent-ils pas leurs flottes marchandes nationales ? Les armateurs mondiaux trouvent toujours des moyens de contourner la concurrence frontale, avec la complicité non avouée de leurs États et de certaines organisations internationales. On est passé des conférences maritimes aux consortiums, puis aux alliances stratégiques, toutes des formes de protectionnisme détourné.

Les grands États maritimes ont toujours élaboré des politiques maritimes en concert avec leurs armements respectifs, sous le couvert du libéralisme, mais à des fins hégémonistes.

Par ailleurs, il existe des filières «niches» dans le secteur maritime qui peuvent être protégées, comme le transport de passagers, le cabotage, ou les services maritimes divers rendus par les navires de servitudes. Ces niches peuvent servir de leviers pour relancer une flotte marchande.

Il existe également des mécanismes de coopération intergouvernementale qui offrent à leurs flottes nationales un espace protégé pour germer, se développer et se consolider à l’abri des convoitises, avant de pouvoir affronter la concurrence. Aujourd’hui, il est primordial d’adopter une politique maritime volontariste en concertation avec les professionnels pour définir les grands choix stratégiques et leur mise en œuvre sur le terrain. Un partenariat public-privé réinventé est nécessaire, où les rôles de chacun sont clairement définis, orienté vers des résultats concrets.

Avec le Port Dakhla Atlantique, le Maroc a pris de l’avance

Bien avant les événements actuels qui ont bousculé les schémas logistiques, le Maroc, grâce à la Vision Royale, avait pensé à une stratégie bâtie autour de l’ancrage de l’Afrique de l’Ouest. La Vision stratégique Royale pour le Port Dakhla Atlantique lui a conféré un écosystème à travers une continuité régionale dans un environnement qui n’est pas encore concurrentiel.



«Le Port actuel de Dakhla se trouve à l’intérieur de Dakhla. L’idée était de protéger la baie de la ville et de mettre un port à l’extérieur sur l’Atlantique. Le Maroc a décidé d’affronter l’Atlantique. Ce qui n’est pas facile. Par la suite, les choses et les Schémas maritimes ont changé et le Port de Dakhla Atlantique s’est trouvé au centre de la convoitise mondiale», explique Najib Cherfaoui, expert portuaire et maritime. Certes, tout le monde va s’équiper pour profiter de la façade Atlantique, mais avec le Port de Dakhla, le Maroc a pris de l’avance. «Toutes les routes maritimes et tous les armements mettent le Port de Dakhla dans leurs options. Et par chance, une grande chance d’ailleurs, le Port Dakhla Atlantique a de l’espace terrestre pour créer de l’industrie et de l’économie. Le Maroc peut être un atelier africain pour le monde. Avec le Port Dakhla Atlantique, le Maroc a été au rendez-vous de l’Histoire», note Cherfaoui.

La création de ce port a pour objectif de répondre aux changements géostratégiques et aux besoins de développement des régions du sud du Maroc.

Pour rappel, ce projet, qui cadre avec les Directives Royales énoncées lors du 45e anniversaire de la Marche verte, a été initié suite à une convention signée en février 2016 devant le Souverain. À son impact économique, social et industriel sur les provinces du Sud, en particulier dans le secteur de la pêche maritime, il faut ajouter la facilitation par ce port du développement de la région en offrant des installations modernes pour les activités commerciales et industrielles.

Étant une porte d’entrée vers l’Afrique, le Port Dakhla devrait attirer les investisseurs nationaux et étrangers intéressés par le commerce avec le continent, en particulier dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Et avec les changements des schémas portuaires et maritimes, le port marocain va avoir une dimension internationale. Bien entendu, l’enceinte portuaire aura un impact économique et social très important sur la région notamment en termes d’emplois.

Le futur Port Dakhla Atlantique jouera un rôle crucial dans l’Initiative Royale visant à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique. La création de ce port est accompagnée par le développement d’infrastructures routières telles que la voie express Tiznit-Dakhla pour renforcer les liens logistiques entre le Maroc et les pays africains

Le port est doté d’une zone industrialo-logistique qui s’étale sur plus de 1.650 hectares, d’une zone d’échange commercial et d’une autre dédiée à la valorisation des activités de la pêche maritime. Il est aussi prévu de réaliser des infrastructures hors site (Station de dessalement de l’eau de mer, Station d’épuration des eaux usées, Alimentation en électricité...).

L’entrée en services des premiers terminaux est prévue en 2029, sachant que les travaux de la réalisation du port devraient prendre fin en 2028. À terme, Dakhla Atlantique, dont la réalisation nécessite un investissement de 12,5 milliards de dirhams, devrait traiter un flux de 35 millions de tonnes.

Ouvrages d’accostage et terre-pleins Bassin de commerce

• 675 ml de quais à -16 m/ZH.

• 185 ml de quais de service.

• 1 poste pétrolier.

• Poste RoRo de 45 ml.

• 30 ha de terre-pleins.

Bassin de pêche

• 28.8 ha de terre-pleins.

• 1.662 ml de quais à -12 m/ZH de terre-pleins.

Bassin de réparation navale

• 200 ml de quais à -12 m/ZH.

• 2.018,6 ha de terre-pleins.

Ouvrages de connectivité

• Pont d’accès en mer : 1.200 ml.

• Route de raccordement du port à la Route nationale 1 : 7 Km

(source : ministère de l’Équipement)
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