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Financement "CapAccess" du FM6I : voici les premières réactions du marché

Mounir El Bari, DG de GPC-Papier et carton, et Hicham Bensaïd Alaoui, CEO d’Allianz Trade Maroc, livrent leurs premières impressions sur "CapAccess", le mécanisme de dette subordonnée lancé par le Fonds Mohammed VI pour l’investissement (FM6I) en partenariat avec l’écosystème bancaire.

Cérémonie de lancement de "CapAccess" par le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, en partenariat avec l’écosystème bancaire. Ph. Seddik
Cérémonie de lancement de "CapAccess" par le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, en partenariat avec l’écosystème bancaire. Ph. Seddik
La mise sur le marché du mécanisme de dette subordonnée par le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, en partenariat avec l’écosystème bancaire, constitue une véritable bouffée d’oxygène pour les entreprises porteuses de projets d’investissement. Opérateurs et experts saluent l’initiative en formulant l’espoir que celle-ci insufflera une nouvelle dynamique à l’investissement privé.

L’offre baptisée «CapAccess» consiste en un crédit conjoint composé d'un tiers de dette subordonnée et de deux tiers de crédit bancaire senior. Une enveloppe de 4 milliards de DH est ainsi mobilisée du côté du FM6I qui, avec le crédit bancaire, permettra de mobiliser 12 milliards de dirhams, en faveur des entreprises réalisant un chiffre d’affaires entre 10 et 500 millions de DH, opérant dans les secteurs d’activité éligibles.

«Je pense que la solution CapAccess devra constituer une bouffée d’oxygène pour les entreprises, particulièrement les TPME, en leur permettant de s’organiser et de se restructurer. Le financement qui sera ainsi mobilisé viendra appuyer leurs stratégies d’accélération du développement», commente au «Matin» Mounir El Bari, directeur général de GPC-Papier et carton et d’Al Karama des Eaux Minérales, toutes deux filiales du groupe Ynna Holding. Par exemple, explique M. El Bari, une PME qui réalise un chiffre d’affaires de 200 millions de dirhams, investit 50 millions et génère une croissance de 5% par an, aura la possibilité d’accélérer son développement grâce à l’impulsion de CapAccess. Ce mécanisme va donc participer en tant qu’actionnaire de cette structure, en apportant le financement afin d’accélérer son développement. En clair, si l’entreprise prévoit de doubler son chiffre d’affaires en 10 ans, la contribution du Fonds devra lui permettre d’atteindre ce même objectif en 5 ans. «Un gain de temps si précieux !» souligne M. El Bari.
L’opérateur espère que cette solution, en plus des dispositions contenues dans la Charte de l’investissement viendront électriser l’investissement privé au Maroc. En effet, affirme M. El Bari, «parmi les entraves à l’investissement privé au Maroc, nous constatons la difficulté pour une entreprise de se financer. À cela, s’ajoute le coût très cher du financement. Et bien sûr, parfois les difficultés apparaissent de manière beaucoup plus criante lorsqu’il s’agit de projets d’investissements lourds nécessitant des financements conséquents et dont l’amortissement dépasse les 5 ans». En plus, l’investissement privé est conditionné par le marché qui doit connaître une réelle dynamique de consommation. «D’ailleurs, nous avons passé une année 2023 très serrée avec une petite croissance du PIB ne dépassant pas les 3%. Pour accélérer les investissements, il faut qu’il y ait un marché prometteur en face. Sinon, l’investissement n’aurait aucun effet ni pour l’entreprise ni pour le marché», développe M. El Bari qui rappelle au passage que 2022 était une bonne année de reprise post-Covid, marquée par une reprise mondiale solide, en dépit de la montée des tensions inflationnistes. Mais cet élan aura été très court puisque l’exercice 2023 a été très serré. «On s’attendait à ce qu’il y ait un début de rattrapage cette année. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas», regrette l’opérateur qui demeure tout de même optimiste. Cet optimisme est alimenté par les événements de haut niveau qu’organisera le Royaume dans les années à venir, à l’instar de la Coupe du monde en 2030. Ce qui constitue une réelle opportunité pour les entreprises de faire des affaires et de donner une réelle impulsion à l’investissement privé.

FM6I : catalyser 150 milliards de DH d’investissement

Le lancement de CapAccess constitue une étape clé dans la mobilisation du FM6I en faveur de l’investissement privé. L’action du Fonds est ainsi engagée. En effet, 15 milliards de dirhams de fonds propres seront mobilisés par l’institution afin de catalyser près de 150 milliards de dirhams d’investissement, en faveur de la création d’emplois, de l’innovation et de la croissance. L’action du Fonds est ciblée, car ce dernier répond de façon pragmatique aux véritables soucis des opérateurs économiques qui ont du mal à financer leurs investissements par insuffisance de fonds propres. De même, assurait Mohamed Benchaâboun, DG du Fonds, lors de la cérémonie de lancement de CapAccess, l’action de l’institution est adaptée en intervenant selon deux modes différents : un mode d’intervention direct s’agissant des grands projets structurants à caractère stratégique et un mode indirect à travers les 17 fonds thématiques et sectoriels qui seront lancés avec le concours des sociétés de gestion récemment présélectionnées.

L’essoufflement de l’investissement privé, un danger pour la croissance à moyen et long terme

Dans l’un de ses récents rapports sur le suivi de l’économie marocaine, la Banque mondiale a émis des alertes quant à l’essoufflement de l'investissement privé qui peine toujours à retrouver son niveau d’avant la crise sanitaire. Le fait est que les chocs récents ont eu des impacts durables sur la structure de l’économie nationale, comme en témoigne l'écart constaté entre les différentes composantes de l'offre et de la demande par rapport à leurs niveaux de 2019. Selon les experts de l’Institution de Bretton Woods, du côté de la demande, alors que les exportations nettes et la consommation publique dépassent déjà largement les niveaux d'avant la pandémie, la consommation privée s'est à peine rétablie et l'investissement total demeure en deçà de son niveau de 2019. Ce qui est entièrement attribuable à la formation du capital privé qui a chuté de 6,2% en comparant 2022 avec 2019 et de 15% en comparant le premier semestre 2023 avec celui de 2019.
Aux yeux de la Banque mondiale, ce développement est «inquiétant», puisque cet essoufflement de l'investissement privé est susceptible d'affecter non seulement la croissance actuelle, mais aussi la croissance économique à moyen et long termes. «L’entrée en vigueur de la Charte de l’investissement, la réforme de la TVA et de l’IS devraient normalement favoriser une montée de l’investissement privé», commentait Javier Diaz Cassou, économiste senior principal à la Banque mondiale, lors d’un point de presse dédié à la présentation du rapport de suivi de l’économie marocaine, le 16 novembre 2023.
Rappelons que dans son Budget 2024, l’Exécutif s’engage à promouvoir l’investissement privé afin d’établir les bases d’une économie nationale «compétitive», «équitable» et «durable». Cet engagement devrait répondre à un enjeu de taille : rééquilibrer la répartition actuelle de l’effort global d’investissement au niveau national, en augmentant la part de l’investissement privé, actuellement fixée à un tiers, à deux tiers d’ici 2035, tout en atteignant une parité entre l’investissement public (50%) et l’investissement privé (50%) d’ici 2026. Ces objectifs ambitieux seront poursuivis en harmonie avec les principes et les aspirations que porte la nouvelle Charte de l’investissement.
Concrètement, à partir de cette année, le gouvernement entend introduire un nouveau système de soutien à l’investissement privé, comprenant des incitations financières, notamment une prime territoriale pour les régions moins développées et une prime sectorielle pour les secteurs stratégiques. Cela s’accompagnera de mesures spécifiques pour les projets stratégiques et des initiatives visant à promouvoir les investissements marocains à l’étranger afin de renforcer la souveraineté industrielle nationale et améliorer la position industrielle du pays sur la scène régionale et internationale. Précision importante, le rapport de la Commission spéciale pour le nouveau modèle de développement indique que la part de l’investissement privé est estimée à 35% et recommande de la porter à 65%.

L’autofinancement, première ressource de financement du tissu productif national

C’est Bank Al-Maghrib qui le confirme. Le financement des entreprises marocaines est caractérisé par la dominance de l’autofinancement contre un recours limité au financement externe. De même, les données de l’Observatoire marocain de la TPME, regroupant BAM, le département des Finances et la CGEM, la part de la dette financière est de 20,2%. En comparaison internationale, ce niveau reste, selon les données disponibles, inférieur à ceux enregistrés dans des pays comme la France (37%), l’Allemagne (36%), le Portugal (33%), l’Espagne (30%) ou encore la Pologne (22%). Ce constat est également confirmé par les résultats d’une enquête de la Banque mondiale menée en 2019. Celle-ci montre que l’investissement au Maroc est financé à hauteur de 8% par des emprunts bancaires, contre 12% pour les pays à revenu intermédiaire et 14% pour la région MENA.
Toutefois, le crédit bancaire reste la principale source de financement externe et en constitue 96,6%, alors que le recours au marché des capitaux reste faible et largement dominé par les établissements à caractère financier et quelques grandes entreprises. De plus, le crédit bancaire aux entreprises représente 51% du PIB, soit un niveau supérieur à celui enregistré dans des pays comme la Pologne (44%), l’Afrique du Sud (34%), le Mexique (26%) ou l’Argentine (21%) et semblable à ceux du Brésil (53%) et de la République tchèque (54%).
Selon des données édifiantes présentées par la Banque centrale en 2022, lors d’une audition du gouverneur au Parlement, les TPME marocaines considèrent que les banques exigent d'elles beaucoup de garanties et leur appliquent des taux d’intérêt élevés et des conditions défavorables. Et ce n’est pas tout. Les banques leur octroient des financements restrictifs et avancent comme motif le manque de transparence financière de ces entreprises, leur faible qualité de gouvernance et les craintes quant à leur capacité de remboursement, pour justifier leur prudence, en plus de l’application de primes de risque relativement élevées.
De même, les résultats d’une enquête du HCP dévoilée en 2019 montrent que 69% des TPME ont déclaré avoir souffert des difficultés d’accès au financement. Parmi les TPE qui ont demandé un crédit, 28% ont vu leurs demandes rejetées en raison de l’insuffisance de garanties pour 52% des entreprises et du manque de confiance dans l’entreprise pour 20%. Les freins évoqués pour l’accès au crédit bancaire sont essentiellement le taux d’intérêt élevé, les garanties excessives et les considérations religieuses. Mais d’autres données laissent présager une tendance à l'amélioration. En effet, dans les enquêtes trimestrielles de conjoncture de BAM dans l’industrie pour l’année 2021, les entreprises évoquent à près de 90% un accès au financement bancaire «normal».
Aussi, dans l’enquête de la Banque mondiale auprès des entreprises, seules 4% des entreprises marocaines citent l’accès au financement comme principal obstacle à leur développement en 2019, contre 9,8% dans l’édition de 2013. Ce facteur est ainsi passé du 4e au 8e rang des obstacles cités. Les principaux obstacles évoqués par les entreprises sont la corruption, la pression et la lourdeur de la fiscalité, en plus de la concurrence déloyale des activités informelles. Comme avancé par Mounir El Bari, l’incertitude sur le marché constitue l’un des facteurs les plus importants inhibant l’investissement. Selon l’enquête de la Banque mondiale conduite en juin 2021, seules 22,6% des entreprises prévoyaient l’acquisition d’immobilisations neuves ou d'occasion au cours des 6 mois suivants, du fait du climat d’incertitude.

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"CapAccess" : ce qu'en pense Hicham Bensaïd Alaoui, CEO de Allianz Trade Maroc



Le Matin : Pensez-vous concrètement que la solution "CapAccess" va permettre d’électriser réellement les investissements privés au Maroc ?


Hicham Bensaïd Alaoui : Tout d’abord, je dois rappeler que selon les termes d'une étude récente de Bank Al-Maghrib, moins de 20% du crédit bancaire est afférent à des crédits à l'équipement. Ce chiffre, qui demeure faible, renseigne à mon sens sur les difficultés de bon nombre d'entreprises marocaines, mais également sur un certain état d'esprit prédominant, tendant à gérer les affaires quotidiennes et le fonctionnement, au détriment d'une stratégie à plus long terme.

Le FM6I réserve, en effet, une enveloppe de 4 MMDH au CapAccess, qui avec le crédit bancaire permettra de mobiliser 12 MMDH, en faveur des entreprises réalisant un chiffre d’affaires entre 10 et 500 MDH, opérant dans les secteurs d’activité éligibles. Pensez-vous qu’avec ce montant cible, on arrivera à créer un véritable effet de levier pour booster l’emploi et libérer l’effort d’investissement des entreprises au Maroc ?

En théorie, ce mécanisme, avec son différé allant jusqu'à 5 ans, offre une opportunité concrète d'aide aux entreprises éligibles, mais encore faut-il que les projets à financer soient suffisamment générateurs de flux futurs de trésorerie, et ce afin de permettre d'induire un cercle vertueux de l'investissement, avec une amélioration de la rentabilité et un investissement dans le capital humain. À défaut, il n'est pas à exclure que ce mécanisme ne rencontre pas le succès escompté. Tout dépendra, à mon sens, de la capacité des entrepreneurs à se projeter sur un horizon de plusieurs années, avec une vision et une stratégie clairement définies. Ce qui implique, pour un certain nombre, un changement préalable de paradigme.

Comme vous le savez, la dette subordonnée se classe en dessous de la dette senior en termes de priorité, en cas de faillite ou de défaut. Le produit CapAccess est assorti de conditions jugées avantageuses, soit un taux d’intérêt nettement inférieur au crédit bancaire : 5,5%. Pensez-vous que ce taux soit raisonnable et encourageant, sachant que d’autres bailleurs de fonds proposent pratiquement des produits de dette subordonnée encore plus avantageux ?

Comme je l’ai indiqué, le mécanisme, dans sa conception, semble intéressant et avantageux, avec une visée claire tendant à relancer la machine de l'investissement dans le secteur privé. Toutefois, il me semble que ce n'est pas tant un sujet de taux ou de coût, qu'un sujet de perception culturelle de la conjoncture économique actuelle. Selon certains courants de pensée, en période de récession, il convient d'investir afin de relancer un cycle de croissance. Selon d'autres conceptions, il faut investir en période de beau temps. Où se situe la mentalité dominante au sein des entreprises privées marocaines ? Il me semble que nous tendons davantage vers la seconde option.

À votre avis, quels seraient les autres instruments que devra proposer le FM6I pour résoudre la contrainte de financement des investissements portés par les entreprises ?

Je pense que le mécanisme, tel qu'il a été décrit, est globalement satisfaisant, voire très satisfaisant, puisqu'il cerne, d'un point de vue de technicité bancaire, les principaux écueils. En revanche, il s'agit davantage de réglages globaux dont il est question, à mon sens, afin d'assurer une réelle dynamisation des investissements.

En dépit de la multitude d’instruments, facilités et produits de financements offerts au Maroc aux entreprises porteuses de projets, nous constatons que l’investissement privé demeure bien en-deçà des objectifs sur lesquels table l’État ? Qu’est-ce qui freine réellement à votre avis les investissements privés au Maroc ?

À mon sens, il demeure acquis que la notion d'investissement est indissociable de celle de confiance en l'avenir et de projection. Dans une telle logique, l'assainissement en cours de la situation très problématique des délais de paiement inter-entreprises, à travers la loi 69-21, semble un préalable indispensable.
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