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Finances publiques : pourquoi la restructuration du modèle de gouvernance s'impose

Si le modèle actuel de gouvernance financière publique au Maroc a permis à l’État de résister aux diverses crises et de soutenir le développement économique et social, il reste, toutefois, confronté à un déficit budgétaire structurel. Cette situation, marquée par des recettes souvent inférieures aux dépenses, nécessite une réflexion approfondie. Pour garantir que les finances publiques continuent de servir la croissance, la création d’emplois et la cohésion sociale, une restructuration du modèle de gouvernance s'impose comme une nécessité incontournable, selon les travaux du dernier Colloque international des finances publiques.

Ph : Sradni
Ph : Sradni
Les 1er et 2 novembre 2024, Rabat a accueilli la seizième édition du Colloque international des finances publiques. Organisé par la Trésorerie générale du Royaume, en partenariat avec l’Association pour la Fondation internationale de finances publiques (Fondafip), cet événement a réuni des décideurs et experts de haut niveau pour réinventer la gestion budgétaire, face aux crises successives et aux incertitudes croissantes. Sous le thème «Vers une meilleure restructuration de la gouvernance financière publique au Maroc et en France», les discussions ont exploré des réformes et des pistes concrètes permettant de renforcer l’efficacité de l’intervention de l’État pour qu’elle soit au service de la croissance, de la création d’emplois et de la cohésion sociale.

Des crises successives, révélatrices d’un besoin de réforme

Dès l’ouverture, Nadia Fettah, ministre des Finances, a planté le décor en soulignant les défis économiques globaux : inflation persistante, endettement croissant et ralentissement de la croissance. Selon elle, les crises successives, de la pandémie de la Covid-19 au récent séisme d’Al Haouz, ont montré les limites du modèle actuel de gouvernance financière. «Confrontés à un environnement volatile, nous devons sans cesse réajuster nos choix pour limiter l’impact des chocs», a-t-elle expliqué. Cette flexibilité est nécessaire, mais elle impose aussi un coût : l’urgence à répondre aux crises peut éclipser la vision stratégique à long terme qui reste essentielle pour préserver la cohérence de l'action publique afin de guider la gouvernance financière.

«En mettant sous tension notre système des finances publiques, ces évènements ont mis en évidence sa fragilité et ses limites que nous avons tendance à ignorer en temps normal. Et les solutions circonstancielles, quand bien même elles auraient l’avantage de nous sortir de situations difficiles, elles ont l’inconvénient de nous pousser vers des configurations et des schémas de fonctionnement qui ne sont pas forcément un modèle d’efficacité et, par-dessus tout, de nous faire perdre de vue la perspective globale. Il devient donc nécessaire de questionner nos choix et notre modèle de gestion pour renouer davantage avec une vision plus stratégique des finances publiques», a indiqué la ministre.

Renforcement du contrôle parlementaire

À ce sujet, Nadia Fettah a mis l’accent sur l’importance d’étendre le contrôle parlementaire aux finances publiques pour renforcer la transparence et la responsabilité. Elle a rappelé que depuis la loi organique des finances de 2015, le Parlement dispose d’informations plus pertinentes pour contrôler les lois de finances. Cependant, le rôle du Parlement dans l’encadrement des finances publiques reste incomplet, si l’on considère les autres pans qui restent encore en dehors de son champ d’action. Il s’agit, en particulier, des finances des établissements et entreprises publics, des régimes de retraite et de prévoyance sociale ainsi que des finances des collectivités territoriales.

«L’autorisation parlementaire, expression même de l’exercice démocratique, gagnerait à être renforcée par l’intégration de ces pans des finances publiques dans le périmètre de contrôle du parlement», a-t-elle soutenu. Ainsi, le projet d’amendement de la Loi organique relative à la Loi de Finances prévoit d’élargir son champ d’application aux établissements publics non marchands. Les opérations des budgets de ces établissements seront prévues, autorisées exécutées et contrôlées dans les mêmes conditions que les opérations du budget général.

L'empilement administratif : Un frein à l’efficacité des finances publiques

Par ailleurs, le phénomène d’«agencification» – la prolifération d’agences et d’entités publiques qui se superposent aux structures ministérielles – pose aujourd’hui un réel défi à la gestion efficace des finances publiques. Les études récentes montrent que cette multiplication d’entités crée des doublons et complexifie la coordination, tant au niveau national que local. Pour rationaliser cette gestion, l’État a mis en place l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE), avec pour mission d’optimiser les intérêts patrimoniaux de l’État actionnaire. En parallèle, l'introduction de la notion de «Programme» par la Loi organique relative aux Lois de Finances (LOLF) vise à coordonner l’action de l’État à travers des chantiers impliquant plusieurs acteurs. Cependant, la gestion en silos persiste, limitant la coordination intersectorielle et diluant l’efficacité des ressources budgétaires, au détriment d'une vision globale et stratégique. En outre, la recherche d’efficacité devrait concerner le processus de décentralisation/déconcentration afin de rapprocher les centres de décision des réalités et des préoccupations locales. Ce processus devrait être rigoureusement planifié et encadré, anticipant tout risque de déperdition des efforts et des ressources. «Il est, donc, impératif de trouver un équilibre entre décentralisation/déconcentration et coordination au niveau national pour que les ressources budgétaires, bien que “décentralisées/déconcentrées”, soient utilisées d’une manière cohérente et en accord avec les priorités nationales», a souligné Nadia Fettah.

Trois grandes tendances de l’évolution des finances publiques

Dans sa prise de parole, le Trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, a exposé une analyse détaillée des tendances et des défis des finances publiques marocaines. Selon lui, trois grandes tendances sont enregistrées. Il s’agit d’abord de la hausse des dépenses et plus particulièrement l’investissement et la masse salariale, en vue de fournir aux citoyens un service public de qualité et d’assurer l’égalité des chances sur tout le territoire. À titre d’exemple, les dépenses d’investissement de l’État ont été multipliées par cinq entre 2001 et 2023, passant de 21,3 milliards de dirhams à 110,8 milliards de DH.

La deuxième tendance observée dans les finances publiques met en lumière une volonté d’intégration des métiers et des systèmes d’information, visant à unifier la gestion des ressources et à renforcer l’efficacité de la collecte des recettes fiscales.

Quant à la troisième tendance, elle montre que les recettes ordinaires de l’État demeurent toujours insuffisantes pour couvrir les dépenses de fonctionnement et d’investissement. Le taux de couverture des dépenses par les recettes fiscales, qui avait atteint 85,9% en 2008, a chuté à 65,2% en 2023

Soutenabilité des finances publiques

Pour Noureddine Bensouda, la situation des finances publiques demeure caractérisée par un déficit budgétaire structurel qui vient d’une tendance durable à ce que les recettes soient inférieures aux dépenses, et ce quelle que soit la conjoncture économique et qui aboutit à une hausse de la dette. «Face à cette situation et pour que les finances publiques soient au service de la croissance, de la création d’emplois et de la cohésion sociale, il est indispensable de poursuivre l’amélioration du modèle de gouvernance financière publique, dans le sens d’une meilleure restructuration. Pour ce faire, l’action publique doit s’inscrire dans une logique de cohérence, de coordination, de coopération et de conciliation entre l’intérêt général et les intérêts particuliers», préconise le Trésorier général du Royaume. Dans ce contexte, les pouvoirs publics devraient continuer à veiller sur la trajectoire tracée pour la soutenabilité des finances publiques, à travers l’ajustement des dépenses aux recettes et l’amélioration de leur efficacité, de manière à limiter le recours à l’emprunt et à le réserver au financement de l’investissement. Cela passe nécessairement, par une meilleure allocation des ressources entre les différents acteurs du secteur public en fonction des contraintes budgétaires, des considérations politiques, économiques et sociales et des chantiers prioritaires. Cela passe également, par une amélioration de la gestion du recouvrement des ressources publiques et plus particulièrement les recettes fiscales «dont le potentiel est toujours prometteur».

Gouvernance financière et attractivité économique

Ahmed Réda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), est intervenu pour souligner l'importance d'une gouvernance financière forte en tant que levier d'attractivité économique pour le Maroc. Selon lui, des finances publiques saines et soutenables reflètent un cadre macroéconomique stable, renforcent la contribution de la politique budgétaire au développement économique et social du pays et contribuent, par conséquent, à préserver la cohésion sociale.

Chami a également plaidé pour une allocation plus optimisée des ressources vers les investissements prioritaires et une gestion transparente des dépenses publiques. Il a ainsi mis en avant le potentiel des partenariats public-privé. Cette approche permettrait d’orienter les ressources publiques vers des projets à fort impact économique, tout en minimisant les pressions sur le budget de l’État

De plus, Chami a insisté sur la nécessité d’une meilleure convergence entre les ministères pour assurer une exécution cohérente des politiques publiques ainsi que sur l’importance de la coopération internationale dans le renforcement de la gouvernance financière.

À noter que les travaux du colloque ont été organisés sous forme de deux panels traitant des défis ainsi que des voies de la restructuration du modèle de gouvernance financière publique. Outre Nadia Fettah et Noureddine Bensouda, la séance inaugurale de ce colloque a été marquée par la présence de l’Ambassadeur de la République française au Maroc, Christophe Lecourtier, et du professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président de Fondafip, directeur de la «Revue française de Finances publiques», Michel Bouvier.
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