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Jeudi 09 Mai 2024
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La baisse des prix des fruits et légumes est passagère, voici pourquoi

L’abondance de l’offre des fruits et légumes sur le marché national avec des prix relativement bas est pour le moins surprenante, dans un contexte de stress hydrique et d’inflation des intrants agricoles. Mais cette tendance est éphémère. Selon le président de la COMADER, Rachid Benali, cette détente sur les prix est l’effet des conditions climatiques actuelles qui ont favorisé un mûrissement précoce de certaines cultures, en plus des perturbations à l’export vers le reste du continent africain et certains marchés européens. De même, la politique de soutien aux prix des intrants agricoles (engrais azotés et semences) a joué en faveur du consommateur, le prix de revient ayant été amorti pour les producteurs. Mais passée cette euphorie, les prix devront repartir à la hausse dans les 2 mois qui viennent. La montée anormale des températures dans ce timing et l’aggravation du stress hydrique impactera lourdement la production maraichère.

L’abondance insolente des fruits et légumes sur le marché à des prix abordables n’est pas un paradoxe. Selon le président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMADER), Rachid Benali, cette détente sur les prix est le fruit d’un certain nombre de facteurs exceptionnels. Il s’agit d’abord des conditions climatiques qui ont favorisé le mûrissement précoce de certaines cultures à l’instar de celle de la tomate. «La montée de la chaleur ces derniers jours a accéléré le processus de production de la tomate dont de gros volumes ont été mis sur le marché d’un seul coup. Ce qui a eu un effet sur les prix», explique Benali qui était l’invité de l’émission «L’Info en Face» diffusée sur Matin TV. Autre facteur pouvant expliquer cette détente sur les prix, l’arrêt des exportations vers l’Afrique, suite à la décision de la Mauritanie d’imposer des mesures douanières sur les marchandises en provenance du Maroc. Les cargaisons destinées au continent ont donc été redirigées vers le marché local.



À cela s’ajoutent également les perturbations au niveau de certains marchés européens qui connaissent actuellement des mouvements de protestations menés par le monde agricole. Une situation qui a poussé bon nombre de producteurs agricoles marocains à réduire de moitié leur expéditions de fruits et légumes vers ces marchés. Du côté de Lahoucine Aderdour, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de la production et de l'exportation des fruits et légumes (FIFEL), l’impact sur les exportations marocaines de fruits et légumes se fait beaucoup plus sentir du côté européen que du côté de l’Afrique, puisque, selon lui, le continent n’absorbe que de petits volumes de fruits et légumes marocains. Aderdour rejoint toutefois le patron de la COMADER dans l’idée que ce sont les conditions climatiques favorables qui ont plutôt amorcé une descente des prix des fruits et légumes sur le marché local. La question qui se pose est jusqu’à quand pourra durer cette baisse.
Pour Benali, l’effet observé actuellement sur les prix est temporaire et va s’estomper dans les deux mois qui viennent. Son explication : «Les volumes de tomates excédentaires qui sont actuellement écoulés sur le marché à des prix plus bas sont le résultat d’un mûrissement précoce mais aussi des mesures de soutien que l’État avait instaurées en vue d’amortir le coût des intrants agricoles, dont les semences et les engrais azotés. Les effets de ces mesures sur les prix sont visibles, les agriculteurs ayant ainsi pu vendre leurs tomates au champs à 2,40 jusqu’à 2,50 dirhams le kilo. Mais cet effet conjugué ne devra pas durer puisque nous entrons dans une phase de stress hydrique intense.

Une fois les volumes de tomates offerts actuellement sur le marché s’épuisent, les prix vont remonter à des niveaux pratiquement comparables à ceux de 2022». La rareté des ressources hydriques, assortie d’une inflation insolente sur les intrants agricoles, va contraindre bon nombre d’agriculteurs à réduire les superficies cultivées. Ce qui impactera à coup sûr l’offre et les prix sur le marché. Pour Aderdour, ces deux facteurs sont les deux bêtes noires des producteurs de fruits et légumes, en particulier dans le Souss. «Nous dénonçons très souvent les prix exorbitants des fruits et légumes mais jamais l’on se demande quel est le réel prix de revient de ces produits. La rareté des ressources hydriques dans le Souss nous coûte très cher aujourd’hui. Pour pouvoir effectuer un forage de 200 à 300 mètres pour pomper de l’eau, il faut mobiliser des montants conséquents. Ce qui alourdit les coûts de production. Ajoutez à cela les prix des intrants et faites vos calculs», s’insurge Aderdour. D’ailleurs, annonce-t-il, la FIFEL est sur un projet d’une carte de produits. Celle-ci va détailler pour chaque famille de fruits ou légumes les prix de revient. Une manière, selon Aderdour, de partager avec le grand public les véritables coûts de revient de chaque produit.

Le dessalement, la clé pour maintenir notre performance agricole

Aux yeux du président de la COMADER, l’agriculture au Maroc, à l’instar d’autres pays du pourtour méditerranéen, fait aujourd’hui les frais du changement climatique. «D’une part, nous constatons l’aggravation du stress hydrique et d’autres part une montée de la chaleur dans une saison où la température est censée être plus basse. Ainsi, pour la culture de la tomate, au niveau d’Agadir, le problème d’eau ne se pose pas comme avant puisque nous avons résolu cette problématique avec l’entrée en service de la station de dessalement de l’eau de mer. Mais ce qui va plutôt impacter cette culture c’est justement la montée de la température qui fait certes mûrir la production de façon précoce et partant va favoriser une détente sur les prix, mais cette température sera aussi une source de stress sur les prix de la tomate puisqu’elle impacte lourdement le processus de production», explique Benali. En d’autres termes, la culture de la tomate au Maroc se trouve au cœur d’une équation très difficile. Si une vague de froid arrive, la production est au ralenti et donc les prix s’enflamment sur le marché. Et en cas de vague de chaleur, la production est anormalement accélérée, ce qui provoque une baisse insolente des prix.

Selon le patron de la COMADER, la problématique de l’eau est très ressentie aujourd’hui en agriculture. En temps normal, c’est-à-dire avec une pluie régulière dans l’espace et le temps, la dotation pour l’Agriculture au niveau des barrages était de l’ordre de 4,5 milliards de m3. «Aujourd’hui, celle-ci ressort à peine à 500 millions de m3, soit pratiquement le 1/9e de notre dotation. Avec ce niveau, on ne peut espérer irriguer de grandes surfaces agricoles», alerte Benali.



Face à la problématique du stress hydrique, le président de la COMADER suggère d’affiner les choix tout en prenant en considération les différentes contraintes. «Il faut assurer au citoyen son eau à boire tout en lui préservant son panier de légumes», souligne-t-il. Selon lui, la redéfinition de la carte agricole du pays devra prendre en compte une donne stratégique : la préservation de l’écosystème rural. En effet, soutient Benali, le monde rural abrite quelque 16 millions d’habitants, dont 13 millions travaillent directement en agriculture. «Certes, il y a des zones agricoles où la consommation d’eau est très importante, mais il faut savoir que ces zones assurent l’emploi et génèrent de la valeur. Il y a un cap à passer dans 2 ou 3 années. C’est-à-dire qu’après les mesures palliatives, il faut intensifier le rythme des investissements dans les stations de dessalement. Ce qui permettra de répondre à la fois à la montée de la demande sur l’eau potable et de maintenir le rythme de production agricole vital pour le pays.

Efficacité hydrique : Ce que prévoit Generation Green

Dans la stratégie Generation Green (GG 2020-2030), l’État entend développer et consolider une agriculture résiliente et éco-efficiente. L’enjeu étant ainsi de dédoubler l’efficacité hydrique, poursuivre le Programme national d'approvisionnement en eau potable et en eau d'irrigation (2020-2027) et la conservation des sols. Dans ce cadre, la feuille de route agricole vise à poursuivre les programmes d’irrigation entrepris dans le cadre du Plan Maroc vert arrivé à échéance en 2020.

Concrètement, il s’agit d’amorcer l’équipement en irrigation localisée d’une superficie de près d’un million d’ha à l’horizon 2030. Actuellement, près de 800.000 ha sont équipés en goutte-à-goutte. De même, la stratégie prévoit l’extension de l’irrigation à l’aval des barrages sur 72.450 ha à l’horizon 2030. À date d’aujourd’hui, près de 38.100 ha sont en chantier. Et ce n’est pas tout. Dans la stratégie GG, l’État planche sur la réhabilitation et la modernisation de 200.000 ha de périmètre de petite et moyenne hydraulique en 2030 contre plus de 60.000 ha qui sont réhabilités dans le cadre de ce programme. À cela s’ajoute le renforcement du partenariat public-privé en irrigation autour des projets de sauvegarde de l’irrigation et de dessalement de l’eau de mer à travers notamment l'exploitation en cours du projet de dessalement de l'eau de mer de Chtouka sur 15.000 ha et la prévision de son extension en 2024 en plus du lancement du projet de dessalement de Dakhla qui portera sur une superficie à irriguer de 5.000 ha combiné à l'utilisation de l'énergie éolienne ainsi que l'étude de faisabilité d'autres projets de dessalement de l'eau de mer, notamment à l'Oriental, Lâayoune et Guelmim-Oued Noun.
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