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La logistique doit devenir une arme de compétitivité pour les territoires (Mohamed Talal)

En marge du Salon Logismed 2025, Mohamed Talal, président du groupe La Voie Express, a répondu aux questions de Rachid Hallaouy dans un échange sans détour. S’appuyant sur son expérience d’industriel et de logisticien, il dresse un bilan contrasté de l’évolution du secteur entre 2024 et 2025. Si des avancées sont saluées, notamment avec la mise en service de nouvelles zones logistiques comme celle d’Aït Melloul, le dirigeant pointe les limites d’une gouvernance territoriale qui tarde à se saisir pleinement des enjeux logistiques. Défenseur d’une approche concertée entre les acteurs publics et privés, Mohamed Talal alerte également sur le poids de l’informel, les difficultés d’accès au foncier industriel, l’absence d’une vraie politique de fluidification urbaine, et la lente transition technologique des entreprises. Un plaidoyer lucide et documenté, qui invite à repenser en profondeur la stratégie logistique nationale.

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Invité de «L'Info en Face», Mohamed Talal, président-directeur général du groupe La Voie Express, spécialiste du transport, de la messagerie, de la logistique et du e-commerce, dresse un état des lieux sans détour du secteur, appelant à une meilleure gouvernance territoriale, une concertation réelle avec les professionnels et une lutte efficace contre l'informel.

Interrogé sur les avancées entre Logismed 2024 et Logismed 2025, Mohamed Talal reconnaît une dynamique encourageante, notamment grâce à l'Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL). La mise en service de la zone logistique d’Aït Melloul, après celle de Zenata, et l’annonce de nouvelles plateformes à Bouskoura et ailleurs sont des signaux positifs. Cependant, le dirigeant regrette le manque d’implication des collectivités territoriales : «Les régions ne perçoivent toujours pas la logistique comme un levier de compétitivité territoriale», déplore-t-il, appelant à une «véritable concurrence interrégionale» pour attirer les logisticiens.

Casablanca, un poumon saturé

Le cas de Casablanca cristallise les blocages. La métropole reste, selon lui, le «poumon noir» du pays, engorgé et peu fluide, faute d’une coordination efficace entre les autorités locales et les professionnels. L'invité de «L'Info en Face» pointe des décisions unilatérales, comme la tentative récente d’interdire l’accès des poids lourds en journée, finalement abandonnée face à la paralysie qu’elle a provoquée : «On ne peut pas asphyxier le pays sans offrir d’alternatives, comme des zones de relocalisation pour les industries installées au cœur de la ville depuis des décennies», insiste-t-il. Il préconise dans ce sens, la mise en place d’une task force réunissant pouvoirs publics, collectivités et professionnels pour co-construire une stratégie réaliste, avec des mesures telles que la circulation nocturne des camions ou la création de zones de livraison dédiées.

Et pour accompagner la nécessaire délocalisation des industries du centre-ville de Casablanca, M. Talal insiste sur l’urgence de libérer du foncier industriel : «On ne peut pas demander aux industriels de déménager sans leur proposer de vraies alternatives. Il faut des zones adaptées, autorisées et accessibles», rappelle-t-il.

Informel et sous-structuration : le statu quo persiste

La structuration du secteur reste l'un des grands échecs de la dernière décennie, selon Mohamed Talal. Malgré la loi de 2003 libéralisant le marché, 80% des opérateurs évoluent toujours dans l’informel : «Le problème n’est pas tant d’attaquer frontalement l’informel, mais de l’inciter à rejoindre le formel en créant les conditions de la compétitivité», plaide-t-il. Cela passerait, selon lui, par des mesures concrètes comme l’introduction d’un carburant professionnel avec récupération de la TIC, l'instauration de délais de paiement réglementés et l'indexation du prix du transport sur celui du carburant, comme cela existe en Europe.

Le défi technologique et environnemental

Face à la montée des exigences internationales en matière de traçabilité et d’empreinte carbone, Mohamed Talal souligne les efforts de La Voie Express, notamment avec ses certifications ISO et le calcul de l’empreinte carbone sur chaque facture. Une exigence à laquelle, selon lui, peu d’acteurs marocains sont encore préparés : «Ceux qui ne feront pas ce virage disparaîtront tôt ou tard», prévient-il. Côté innovation, le groupe a également lancé Céos Technologies, une filiale dédiée aux consignes automatiques, sur le modèle des lockers d’Amazon, et a déjà commencé à fabriquer ces équipements au Maroc. «Nous sommes venus peut-être trop tôt, mais c’est le pari de l’avenir», affirme-t-il.

Le professionnel de la logistique critique enfin le modèle actuel des livraisons à moto, souvent informelles et non réglementées. Il appelle à une régulation inspirée de l’exemple européen, où les plateformes doivent désormais salarier leurs livreurs, comme l’a imposé la loi Rider en Espagne. «La loi doit être appliquée pour garantir des conditions de travail dignes et une fiscalité équitable», souligne-t-il.

Tout au long de cet échange, Mohamed Talal n’a cessé de rappeler que la responsabilité du blocage est partagée entre pouvoirs publics et acteurs privés : «Il ne suffit pas d’accuser l’État. Nous devons tous prendre nos responsabilités pour structurer ce secteur stratégique», conclut-il, tout en lançant un appel au dialogue et à la co-construction.
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