L’auto-entrepreneuriat : un levier pour l’insertion économique
Avec près de 400.000 auto-entrepreneurs actifs, le secteur de l'auto-entrepreneuriat connaît un essor significatif au Maroc. Le modèle de l’auto-entrepreneur, instauré pour favoriser l’initiative individuelle, a en effet connu une progression significative ces dernières années. Il représente un levier essentiel pour l’insertion des jeunes et des femmes dans le marché du travail. Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), l’auto-entrepreneuriat constitue un outil clé pour l’intégration du secteur informel dans l’économie structurée, permettant ainsi d’élargir l’assiette fiscale et de sécuriser l’emploi. «L’appui de l’auto-emploi revêt aujourd’hui un grand intérêt dans le maintien des équilibres socioéconomiques. L’auto-emploi est considéré comme un moteur de renouvellement, de créativité et d’innovation dans l’économie, grâce à l’émergence d’un groupe d’entrepreneurs actifs dotés de compétences et animés d’ambitions. Dès lors, l’auto-emploi couvre des secteurs aussi variés que multiples», indique la même source.
Le programme «Moukawalati» et d’autres initiatives telles que «Forsa» ont été mis en place pour encourager les jeunes à créer leurs propres entreprises. Toutefois, ces dispositifs rencontrent encore plusieurs obstacles, notamment en matière de financement, d’accompagnement et de formation.
Malgré les efforts déployés, de nombreux défis freinent encore l’essor de l’entrepreneuriat au Maroc :
• Difficulté d’accès au financement : les jeunes entrepreneurs rencontrent des obstacles majeurs pour obtenir des crédits bancaires. Les exigences en matière de garanties et le manque de dispositifs de soutien efficaces limitent leurs opportunités.
• Faible culture entrepreneuriale : beaucoup de jeunes considèrent encore l’entrepreneuriat comme une solution par défaut et non comme un véritable projet de vie. Le manque de sensibilisation et de formation dans ce domaine réduit leur capacité à gérer efficacement leurs entreprises.
• Accompagnement insuffisant : l’encadrement des porteurs de projets reste limité, notamment en ce qui concerne la gestion administrative, la commercialisation et l’accès aux marchés.
• Lenteur des démarches administratives : la création et la gestion d’une entreprise sont souvent entravées par des procédures bureaucratiques complexes, décourageant ainsi de nombreux entrepreneurs potentiels.
Vers une stratégie nationale renforcée
Pour faire de l’entrepreneuriat un véritable moteur de croissance et d’emploi, il est essentiel de mettre en place une stratégie plus ambitieuse, basée sur :
• Un renforcement des dispositifs d’accompagnement et de formation : il est impératif d’intégrer des modules d’éducation entrepreneuriale dès le secondaire et d’intensifier les formations en gestion d’entreprise et en innovation.
• Une simplification des démarches administratives : digitaliser les services et réduire les délais de création d’entreprises permettrait de faciliter l’émergence de nouvelles initiatives.
• Un accès facilité au financement : la mise en place de mécanismes de garantie pour les jeunes entrepreneurs et un meilleur accès aux crédits sans exigences excessives de garantie sont des mesures clés pour encourager la création d’entreprises.
• Une implication plus forte du secteur privé : les grandes entreprises doivent être incitées à soutenir les jeunes entrepreneurs à travers des programmes de mentorat, de sous-traitance et de financement participatif.
L’entrepreneuriat constitue une alternative viable pour pallier les insuffisances du marché du travail marocain et favoriser une croissance inclusive. Toutefois, pour que cette dynamique soit durable et efficace, il est crucial d’améliorer l’accès aux financements, d’intensifier les formations et d’instaurer un écosystème propice à l’innovation et à la compétitivité. Avec une approche concertée entre les pouvoirs publics, le secteur privé et les institutions financières, l’entrepreneuriat peut réellement devenir un levier stratégique pour lutter contre le chômage et renforcer l’économie marocaine.
Financement des startups : encore du chemin à faire !
En septembre dernier, nos jeunes pousses ont levé 2,97 millions de dollars, selon le Rapport «Mena Startup Funding Report», publié par Rasmal, une agence digitale internationale. Avec ce volume, le Royaume se classe sixième dans la région. Il est considéré comme «en retard par rapport aux grands acteurs de la région», selon les auteurs de ce Rapport. Un positionnement défavorable compte tenu du virage vers la transition digitale entamé par le Maroc et de sa détermination à développer une économie numérique robuste. À la première place du podium, l’Arabie saoudite, avec 165,34 millions de dollars. C’est un peu plus de la moitié du financement total levé dans l'ensemble de la région ! Les Émirats arabes unis suivent de près avec 114,32 millions de dollars. La localisation stratégique, les politiques favorables aux entreprises et les centres dynamiques comme Dubaï et Abou Dhabi permettent à ce pays d'attirer une large gamme de startups. En nombre de startups financées par pays, ce sont les Émirats arabes unis qui arrivent en tête, avec 28 jeunes pousses en septembre dernier. Ils sont suivis par l’Arabie saoudite (13 startups), l’Égypte (8) et le Maroc (3).Témoignage de Karima Ghammass, jeune entrepreneure
«Après avoir obtenu mon diplôme en marketing, j’ai passé plus d’un an à chercher un emploi stable, en vain. À chaque entretien, on me demandait une expérience que je n’avais pas. Cette situation m’a poussée à repenser mon avenir et à envisager une autre voie : l’entrepreneuriat. Passionnée par l’artisanat et la mode, j’ai décidé de lancer ma propre marque d’accessoires en cuir faits à la main. Avec un budget limité, j’ai commencé à produire quelques modèles en collaboration avec des artisans locaux. J’ai utilisé les réseaux sociaux pour promouvoir mes créations et, petit à petit, les commandes ont afflué. Aujourd’hui, ma marque est reconnue dans plusieurs villes et j’ai même pu ouvrir un petit atelier où je travaille avec trois autres jeunes créateurs. Ce parcours n’a pas été sans difficultés : gérer les coûts, trouver des fournisseurs fiables et surtout se faire une place sur le marché n’a pas été évident. Mais avec de la patience et de la persévérance, j’ai réussi à bâtir un projet qui me passionne et qui me permet d’être indépendante financièrement. Je suis convaincue que l’entrepreneuriat est une solution au chômage des jeunes. Il ne faut pas avoir peur de commencer petit et d’apprendre au fil du temps. Le Maroc est un pays riche en opportunités, surtout pour ceux qui osent innover et proposer des produits ou services adaptés aux besoins du marché. Mon message aux jeunes qui hésitent à se lancer : osez ! Avec une idée bien réfléchie, un bon réseau et beaucoup de motivation, vous pouvez transformer une simple passion en une véritable réussite.»Témoignage d’Ismail Alaoui, jeune entrepreneur
«J’ai 27 ans et, comme beaucoup de jeunes Marocains, j’ai été confronté à la difficulté de trouver un emploi après mes études. Diplômé en gestion, j’ai enchaîné les candidatures sans succès. C’est alors que j’ai commencé à réfléchir à une autre voie : créer mon propre projet.Avec un petit capital et beaucoup de détermination, j’ai lancé une startup spécialisée dans la livraison de repas faits maison. L’idée est venue d’un constat simple : de nombreux étudiants et employés cherchent des repas sains et abordables, mais manquent de temps pour cuisiner. Grâce aux réseaux sociaux et au bouche-à-oreille, mon activité a rapidement pris de l’ampleur. Aujourd’hui, mon entreprise emploie cinq personnes et collabore avec des cuisiniers indépendants. Ce parcours n’a pas été facile : il m’a fallu affronter les défis administratifs, le financement et l’incertitude du marché. Mais j’ai appris que l’entrepreneuriat est une véritable alternative au chômage. Mon objectif aujourd’hui est de faire grandir mon projet et pourquoi pas aller à la découverte d’autres expériences en lien avec mon secteur. A mon avis, le Maroc offre de plus en plus de programmes d’accompagnement et de financement pour les jeunes porteurs de projets. Il est vrai que les débuts sont difficiles, mais avec de la persévérance et une bonne idée, on peut créer son propre emploi et même en offrir à d’autres. Au vu des chiffres inquiétants du chômage, je pense que notre génération doit voir l’entrepreneuriat comme une opportunité et non comme un dernier recours. Nous avons des idées, du talent et une immense capacité d’adaptation. Le plus grand défi est de se lancer, mais une fois qu’on a franchi ce cap, on se rend compte que tout est possible.»
Mehdi Griny, président de l'association Hope pour l'employabilité : Nous devons repenser l'accompagnement des chercheurs d'emploi
Le Matin : Pourquoi avoir lancé l'association Hope pour l'employabilité ?
Mehdi Griny : Nous avons créé cette association pour aider les jeunes diplômés à trouver un stage ou un emploi. Chaque année, environ 400.000 nouveaux diplômés intègrent le marché du travail au Maroc, et nombre d’entre eux rencontrent des difficultés à trouver un emploi. Notre action repose sur l'entraide et le «give-back» : nous avons tous, à un moment donné, eu besoin d'aide pour évoluer professionnellement. Aujourd’hui, nous avons bâti une communauté de bénévoles qui accompagne les chercheurs d’emploi de manière structurée et professionnelle.
Le chômage est une problématique structurelle au Maroc. Quel est le principal levier pour dynamiser l’emploi ?
Je parlerais plutôt d’opportunités d’amélioration. La solution passe par une connexion étroite entre les chercheurs d’emploi, les universités, les entreprises et les institutions publiques comme l’Ofppt et l’Anapec. Il faut créer des passerelles solides entre le système éducatif et le marché du travail, notamment en renforçant l’orientation scolaire.
L’orientation est donc un enjeu majeur ?
Absolument ! Nous accompagnons actuellement 541 chercheurs d'emploi et avons constaté que 61% d’entre eux doivent se reconvertir, car leur filière d'origine est saturée. L’absence d’orientation efficace en amont pousse des milliers de jeunes vers des formations qui ne correspondent plus aux besoins du marché. Il est essentiel de remettre en place un vrai dispositif d’orientation dans les collèges et lycées, connecté au monde de l’entreprise pour anticiper les tendances du marché.
La formation actuelle est-elle en phase avec les réalités du marché du travail ?
Il y a un fossé entre les diplômes et les attentes des entreprises. Le monde change rapidement, notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle. Certaines formations deviennent obsolètes en quelques années. Il faut donc revoir l’approche de la formation, favoriser l’alternance et faire intervenir des professionnels dans les cursus académiques. Il ne s’agit pas seulement de transmettre des savoirs théoriques, mais aussi des compétences adaptées aux besoins du marché.
Quel est le rôle du secteur privé dans cet écosystème ?
Le secteur privé doit s’impliquer davantage dans l’insertion professionnelle des jeunes. Certaines entreprises investissent déjà dans la formation interne, mais il faut aller plus loin en collaborant activement avec les universités et les institutions publiques. L’entreprise doit voir l’embauche de jeunes talents comme un investissement et non comme une contrainte.
L'entrepreneuriat est souvent présenté comme une solution miracle. Qu’en pensez-vous ?
L’entrepreneuriat est une partie de la solution, mais ce n’est pas la seule. Un écosystème efficace doit combiner salariat, entrepreneuriat, free-lance et alternance. Les jeunes doivent être formés à l’esprit entrepreneurial, mais aussi accompagnés dans la gestion de leurs projets. Il ne suffit pas d’accorder des subventions, il faut surtout accompagner et former les entrepreneurs pour qu’ils puissent pérenniser leur activité.
Comment fonctionne concrètement l’association Hope ?
Nous avons mis en place un système de mentorat avec 79 mentors actifs dans plusieurs villes du Maroc. Ces mentors, experts dans leur domaine, accompagnent les chercheurs d'emploi en leur apportant conseils, coaching et soutien dans leur insertion professionnelle. L’objectif est de leur donner les outils pour réussir leur recherche d’emploi et s’intégrer durablement dans le monde du travail.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Nous travaillons sur la création d’une plateforme IT gratuite qui mettra en relation les chercheurs d’emploi avec les entreprises. Elle proposera également des master class en français et en arabe sur des thèmes clés comme l’intelligence artificielle (IA), le marketing, les soft skills et l’entrepreneuriat. Notre ambition est de toucher un maximum de jeunes et de leur donner les clés pour mieux s’intégrer dans le monde du travail.
Un dernier message aux jeunes en quête d’un avenir professionnel ?
Je leur dirais : remettez-vous en question, ne vous laissez pas décourager. L’avenir appartient à ceux qui s’accrochent et qui cherchent à s’améliorer. Il y a des opportunités, encore faut-il les saisir ! Comme on dit en arabe : «Khidm arask» (Travaille sur toi-même) !
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Encadré :
