À cinq ans de la Coupe du monde 2030, le Maroc engage une transformation d’une ampleur inédite. La modernisation du réseau ferroviaire, la construction de nouvelles gares et la réorganisation du maillage territorial visent à faire du pays un modèle en matière de mobilité durable et un acteur clé de la logistique en Afrique. Cette stratégie, explicitée par Badreddine Bertoul, directeur Bâtiment PPLGV ONCF, lors d’une conférence organisée le 25 février 2025 à l’École Mohammadia d’ingénieurs (EMI), est de nature à projeter le Maroc dans une nouvelle ère en matière connectivité et de compétitivité.
Une extension massive du réseau ferroviaire
L’axe prioritaire du projet sera sans conteste l’extension de la ligne à grande vitesse (LGV), qui reliera Tanger à Agadir en passant par Rabat, Casablanca et Marrakech. Après le succès d’Al Boraq, qui relie actuellement Tanger à Kénitra en un temps record, le Maroc voit plus grand : 430 km de ligne supplémentaire jusqu’à Marrakech et 239 km supplémentaires jusqu’à Agadir. L’impact de cette expansion sera spectaculaire : le trajet Tanger-Marrakech passera de plus de 5 h 30 à 2 h 40, et Tanger-Agadir sera réduit à 4 h contre près de 9 h aujourd’hui. «Nous ne parlons pas simplement d’un projet de transport, mais bien d’un levier structurant pour l’économie et le territoire», explique M. Bertoul. L’extension du réseau ferroviaire touche 59% de la population nationale, 61% de la population urbaine et 70% des échanges commerciaux. En reliant cinq grandes destinations touristiques et trois pôles portuaires, ce projet vise à renforcer l’attractivité économique et l’intégration régionale du Maroc. L’invité de l’EMI assure que l’ambition du Maroc est d’assurer une couverture dense de l’axe Atlantique, véritable colonne vertébrale de l’économie nationale, ainsi que de l’axe «maghrébin» qui lie Casablanca à Oujda. Le maillage territorial s’étendra sur 7.140 km de voies ferrées, contre 2.295 km aujourd’hui, connectant 15 aéroports internationaux et 12 ports d’échanges d’ici 2030.
Un RER pour désengorger les villes
Sur l’axe Casablanca-Kénitra, l’un des plus fréquentés du pays, les usagers du train expriment régulièrement leur frustration face aux retards fréquents, aux trains bondés et aux horaires irréguliers. L’ONCF affirme alors être conscient de ces dysfonctionnements et dit travailler sur un projet de RER métropolitain censé désengorger le réseau ferroviaire et améliorer la mobilité quotidienne. Ce réseau express régional devrait comprendre trois nouvelles lignes dans le Grand Casablanca, avec une fréquence pouvant atteindre un train toutes les 7,5 minutes sur certains tronçons. Un effort présenté comme une réponse à l’urbanisation galopante et à la saturation des infrastructures existantes. Ainsi, le trajet entre Mohammedia et le hub de Nouaceur prendra environ 1 h 11, tandis que la ligne Casa Port-Hub Nouaceur sera assurée en 55 minutes, avec 10 gares desservies. Dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, un projet similaire est prévu avec la création d’un RER reliant Kénitra à Skhirate, intégrant cinq nouvelles gares et une fréquence de 15 minutes entre chaque train.
Chaque station desservira environ 138.000 habitants en moyenne, signe de la densité importante des zones concernées. Le projet prend une dimension industrielle et stratégique majeure avec l’annonce du plus gros contrat jamais signé par le constructeur coréen Hyundai Rotem : 15 milliards de dirhams pour la livraison de 110 trains RER. Ces rames à deux étages, pouvant atteindre 160 km/h, viendront renouveler le parc de trains navettes (TNR) reliant Kénitra à Casablanca. «L’objectif est d’apporter une alternative plus régulière et mieux cadencée, afin de fluidifier la mobilité dans les zones fortement peuplées», explique M. Bertoul. Ce dernier affirme que ces RER permettront non seulement la réduction des embouteillages, mais aussi la baisse des émissions de CO₂, l’amélioration du cadre de vie des citadins et le renforcement de l’attractivité économique des pôles urbains. En parallèle, l’ONCF prévoit l’acquisition de 168 nouveaux trains, dont 18 trains à grande vitesse (TGV), 40 trains pour les lignes classiques et 60 navettes rapides (TNR). Ces acquisitions s’inscrivent dans une logique industrielle, avec la création d’une unité de fabrication locale, un projet de joint-venture entre l’ONCF et des constructeurs ferroviaires pour assurer la maintenance et un axe export pour conquérir les marchés africains et européens.
Une logique de développement durable
Mais au -delà de la modernisation du transport, cette transformation ferroviaire s’inscrit dans un cadre plus large de développement durable. Pour le responsable à l’ONCF, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 81 millions de journées de travail seront générées, soit une véritable manne pour l’emploi, 2,9 millions de voyages en voiture évités, réduisant drastiquement la congestion routière, 360 millions de tonnes de CO₂ économisées, contribuant aux engagements du Maroc pour une transition écologique. Ainsi, le gouvernement mise sur un retour sur investissement massif, non seulement en réduisant la dépendance aux carburants fossiles, mais aussi en renforçant l’attractivité des villes secondaires et le développement régional. «Ce n’est pas seulement un projet d’infrastructure, c’est un projet de société», explique M. Bertoul.
Mais face à ces ambitions, le Maroc fait face au défi de la gestion des coûts. M. Bertoul a assuré que, contrairement à d’autres pays ayant massivement investi dans des infrastructures ex nihilo, l’ONCF a opté pour une approche pragmatique et optimisée. Plutôt que de creuser des tunnels onéreux ou de construire des infrastructures lourdes, la stratégie repose sur la modernisation des voies existantes, la capitalisation sur le patrimoine ferroviaire actuel et l’intégration de corridors autoroutiers pour le déploiement des nouvelles lignes.