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Les recommandations du Maroc pour favoriser une circulation efficace des capitaux en Afrique

La fluidité des capitaux est un facteur déterminant dans le développement de l’innovation, de la croissance et de la prospérité. En Afrique où les besoins de financement pour les infrastructures, la transition écologique et l'inclusion sociale dépassent les 1.200 milliards de dollars d’ici 2030, la circulation efficace des capitaux devient une nécessité stratégique. Pourtant, le continent fait face à des obstacles structurels, réglementaires et technologiques qui freinent cette dynamique essentielle. Pour relever ce défi, le Royaume estime que l’Afrique doit conjuguer investissements dans les infrastructures numériques, harmonisation des cadres réglementaires et adoption d’outils innovants. Cette transformation passera par un engagement collectif à construire un écosystème intégré où les capitaux circulent efficacement, soutenant ainsi une croissance équitable et durable pour tout le continent.

La fluidité de circulation des capitaux en Afrique est une condition essentielle pour booster la transformation économique et financière du continent. C’est en substance la recommandation de la ministre de l’Économie et des finances, Nadia Fettah Alaoui, lors de l’ouverture de l’Africa Financial Summit (AFIS), le 9 décembre à Casablanca, sur le thème «Une nouvelle ère : le temps des puissances financières africaines est venu».

Devant un parterre constitué de leaders de l’industrie financière africaine, d’institutionnels et de bailleurs de fonds internationaux, l’argentière du Royaume souligne que, dans le paysage économique mondial, la fluidité des capitaux est le socle sur lequel reposent l’innovation, la croissance et la prospérité.
En Afrique, poursuit la ministre, où les besoins de financement pour les infrastructures, la transition écologique et l'inclusion sociale dépassent les 1.200 milliards de dollars d’ici 2030, la circulation efficace des capitaux devient une nécessité stratégique. Pourtant, nuance la ministre, le continent fait face à des obstacles structurels, réglementaires et technologiques qui freinent cette dynamique essentielle. «L'Afrique, avec ses 54 pays aux régulations et devises variées, reste un espace économique fragmenté. Cette réalité complique la libre circulation des capitaux et se traduit par des défis majeurs.

80% des transactions intra-africaines se font par des devises étrangères

Malgré des initiatives prometteuses comme le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), conçu pour faciliter les paiements transfrontaliers, environ 80% des transactions intra-africaines passent encore par des devises étrangères, augmentant ainsi les coûts et les délais», détaille Alaoui. À cela s'ajoute le coût prohibitif des transferts d’argent. Le fait est qu’envoyer 200 dollars en Afrique subsaharienne coûte en moyenne 8%, selon la Banque mondiale, contre 6% à l'échelle mondiale. Aux yeux de l’argentière du Royaume, ce fardeau freine les échanges économiques et réduit l’impact des envois de fonds de la diaspora, qui représentent tout de même 95 milliards de dollars en 2022. Face à ces défis, plusieurs solutions émergent pour améliorer la fluidité des capitaux. En effet, le PAPSS, soutenu par la Banque africaine d'import-export (Afreximbank), permet désormais des paiements transfrontaliers en devises locales, promettant une économie annuelle de 5 milliards de dollars.

Fintechs africaines : Un potentiel de 40 milliards de dollars d’ici 2025

Parallèlement, les fintechs africaines, à l’instar de Flutterwave, M-Pesa et Chipper Cash, redéfinissent l’accès aux services financiers en connectant des millions de personnes, y compris dans les zones rurales. Ce marché, en pleine expansion, devrait croître de 20% par an et atteindre 40 milliards de dollars d’ici 2025. Aux yeux de la ministre, ces avancées ne suffisent pas à surmonter les défis liés à la faiblesse des infrastructures numériques et à l’hétérogénéité des régulations. Concrètement, près de 50% de la population africaine n’a pas accès à Internet, freinant l’adoption des solutions numériques. En outre, les investisseurs internationaux, influencés par des perceptions de risque élevées, continuent de se détourner de l’Afrique. En 2023, le continent n’a attiré que 3% des investissements mondiaux en infrastructures, un chiffre insuffisant pour répondre à ses besoins. «Pour transformer ces contraintes en opportunités, des initiatives intégrées sont nécessaires», juge Alaoui.
Selon la ministre, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en simplifiant les cadres réglementaires et en promouvant les échanges intra-africains, joue un rôle clé dans la réduction des barrières. De plus, l’adoption des monnaies numériques de banques centrales (MNBC), déjà explorée par des pays comme le Nigeria, peut accélérer les paiements transfrontaliers tout en favorisant l’inclusion financière. Toutefois, estime la ministre, la fluidité des capitaux ne se limite pas à des aspects techniques. Elle est un levier stratégique pour transformer les économies africaines. En améliorant l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 90% des entreprises africaines, elle stimule la croissance et l’emploi. Elle est également essentielle pour orienter les capitaux vers des projets d’énergie renouvelable et d’infrastructures durables, nécessaires à une transition écologique réussie. «Pour que cette vision devienne réalité, l’Afrique doit conjuguer investissements dans les infrastructures numériques, harmonisation des cadres réglementaires et adoption d’outils innovants. Cela passe par un engagement collectif à construire un écosystème intégré où les capitaux circulent efficacement, soutenant ainsi une croissance équitable et durable pour tout le continent», explique la ministre des Finances qui précise au passage que la fluidité est bien plus qu’une exigence technique. Elle est la clé d’un avenir où chaque transaction, chaque innovation et chaque opportunité atteignent leur plein potentiel.
Pour que la circulation des capitaux soit efficace et bénéfique, elle doit s’appuyer sur des bases solides. «La solidité représente la fondation sur laquelle repose toute économie résiliente : une régulation rigoureuse, des équilibres macroéconomiques maîtrisés et une gouvernance exemplaire», estime la ministre. Selon elle, la solidité d’un système financier repose sur sa capacité à absorber les chocs, à inspirer confiance et à soutenir une croissance équilibrée.

La dette limite les capacités d’investissement en Afrique

Alaoui estime, par ailleurs, que les équilibres macroéconomiques constituent un autre pilier fondamental. En 2023, le service de la dette publique en Afrique a atteint 163 milliards de dollars, un fardeau qui limite les capacités des gouvernements à investir dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures et l’éducation.

Pour la ministre, la solution clé réside dans l'amélioration de la mobilisation des ressources domestiques. Avec un ratio recettes fiscales/PIB moyen de 16%, contre une moyenne mondiale de 25%, il existe un potentiel considérable à exploiter. En parallèle, la résilience climatique est une dimension souvent sous-estimée, mais essentielle de la solidité économique. Avec une augmentation de 75% des catastrophes climatiques en Afrique entre 2014 et 2023, les économies africaines doivent se doter de mécanismes de gestion des risques climatiques. Cela inclut l'émission d'obligations vertes, qui, bien que représentant 588 milliards de dollars au niveau mondial en 2023, n’ont atteint que 2 milliards de dollars en Afrique.

En renforçant les cadres pour financer des projets d’infrastructures vertes, les pays africains peuvent à la fois protéger leurs économies et attirer des investisseurs soucieux de durabilité. De même, ajoute Alaoui, le financement des grands projets africains reste un défi central. Chaque année, le continent doit combler un déficit de financement de 108 milliards de dollars pour les infrastructures et de 250 milliards de dollars pour répondre à ses besoins climatiques, selon la Banque africaine de développement. Pourtant, les instruments financiers adaptés, comme les obligations vertes, sont sous-utilisés. En 2023, ces instruments ont représenté 588 milliards de dollars à l’échelle mondiale, mais seulement 2 milliards de dollars ont été émis en Afrique.

3,2 milliards de dollars mobilisés par l’IFC au secteur financier africain

Sérgio Pimenta, vice-président Afrique à l’IFC (Société Financière internationale), qui intervenait à l’AFIS, confirme la complexité d’accès aux capitaux par le continent. «En cette période d'incertitudes sans précédent, le secteur financier africain joue un rôle clé pour la croissance et la prospérité du continent. D'une part, l'Afrique est confrontée au retrait des banques internationales, à des taux d'intérêt historiquement élevés, et à une volatilité des échanges commerciaux et des devises qui perdure», constate le responsable de l’IFC. D'autre part, soutient-il, la numérisation, l'innovation et l'émergence de nouveaux acteurs transforment positivement le secteur financier. Abordant les opérations de capital-investissement, Pimenta estime qu’il y a deux angles de vision. Celui des alarmistes qui soulignent le fait que la valeur totale des opérations de capital-investissement en Afrique est tombée à son niveau le plus bas depuis plus de cinq ans, soit 5,9 milliards de dollars en 2023. Ces derniers, poursuit le responsable à l’IFC, citeront des sondages qui mettent en avant une baisse à deux chiffres de l'attractivité du secteur financier du continent pour les investisseurs internationaux. L’autre angle de vision regroupe les confiants, ceux qui estiment que l'investissement privé en Afrique reste robuste et proche du record historique de 2021, malgré des conditions de marché difficiles, soit 6,3 milliards de dollars en 2022, d’après les chiffres de la Banque européenne d’investissement (BEI). Les confiants, ajoute Pimenta, soutiendront qu’une intégration régionale accrue offrirait une opportunité significative pour renforcer la résilience économique et favoriser une croissance inclusive.
Face à ces défis et opportunités, des décisions audacieuses et des stratégies à long terme sont nécessaires, recommande le vice-président Afrique de l’IFC. Selon lui, aujourd'hui plus que jamais, l'Afrique doit mobiliser ses capacités financières pour répondre à ses besoins, car les mesures prises aujourd'hui s'avéreront décisives pour les années à venir. Pimenta affirme que l’IFC fait résolument partie des confiants. «Nous croyons fermement en la résilience de l'Afrique et en sa capacité à innover. Le continent possède tous les atouts pour être à la pointe de l'innovation numérique, de l'agriculture durable et des solutions d'infrastructures vertes», insiste Pimenta. À travers ses investissements et ses services-conseils, l’IFC affirme soutenir l'industrie financière régionale pour mobiliser des capitaux privés essentiels aux priorités de développement du continent telles que la sécurité alimentaire, la création d'emplois, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, l’égalité des genres et l'inclusion financière.
Concrètement, Pimenta, révèle qu’au cours de cette année 2024, la filiale de la Banque mondiale a engagé près de 3,2 milliards de dollars de financements à long terme dans le secteur financier dans le continent, dont 1,9 milliard en compte propre et un peu plus de 1,2 milliard en mobilisation. Ce montant «significatif» de mobilisation témoigne de l’importance accordée aux partenariats dans la réalisation des priorités de développement du continent. Pimenta souligne, en outre, que la reconstitution record de 100 milliards de dollars des ressources de l'Association internationale de développement (IDA) constitue une opportunité significative pour le secteur financier africain. «Grâce à son guichet pour le secteur privé, des sources de financement mixtes et concessionnels peuvent être mobilisées pour soutenir davantage les priorités de développement du continent», fait-il remarquer.
De même, poursuit-il, «nous prévoyons également d’introduire de nouveaux outils pour accroître la mobilisation du secteur privé. Par exemple, lors de notre dernier exercice fiscal, IFC a co-investi dans des obligations régionales. Nous avons aussi joué un rôle d'investisseur de référence dans des fonds où la mobilisation a été déterminante pour leur succès». À ses yeux, lever des fonds n’est qu’une partie de l’équation. Son explication : «Nous devons nous assurer que ces fonds soient utilisés à bon escient». Dans ce contexte, l’IFC entrevoit trois grandes priorités stratégiques pour permettre à l’industrie financière africaine de jouer pleinement son rôle dans le développement du continent. Il s’agit de renforcer le financement agricole pour stimuler la sécurité alimentaire, intensifier les efforts pour accroître l'accès au financement des micro, petites et moyennes entreprises et lever des fonds pour atténuer les effets du changement climatique et s’y adapter. Pour rappel, l’AFIS est une plateforme d’échange et de réflexion. Ce sommet annuel réunit chaque année plus de 1.000 leaders de l’industrie financière, regroupant des acteurs tels que des banquiers, assureurs, représentants de fintechs, opérateurs de marchés de capitaux et de mobile money, ainsi que des décideurs politiques et régulateurs venant d’Afrique et du monde entier.

MPME : le déficit de financement s’aggrave

C’est Pimenta qui le confirme. Le risque élevé et le coût pour les institutions financières d’accompagner les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) ont créé un déficit de financement d’environ 331 milliards de dollars en Afrique subsaharienne et de 187 milliards de dollars en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Cependant, nuance tout de même le patron de l’IFC pour l’Afrique, l'adoption du numérique, l'amélioration de l'analyse des données, l’utilisation de modèles commerciaux innovants et le développement de partenariats avec les fintechs ont permis aux prestataires de services financiers d’élargir l’accès des MPME aux services bancaires à une vitesse exponentielle.
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