Menu
Search
Samedi 04 Mai 2024
S'abonner
close
Accueil next Économie
lock image Réservé aux abonnés

Les rendements oléicoles sont-ils menacés ? Le point avec Rachid Benali

Au-delà d’une pluviométrie timide, ce sont plus largement les effets du changement climatique qui ont des conséquences directes sur la culture des olives. Le tableau n’est toutefois pas totalement sombre. Les professionnels de la filière et les pouvoirs publics prennent leurs dispositions pour limiter les dégâts.

No Image
Filière star de l’arboriculture, l’oléiculture occupe une place de choix dans le tissu agricole national. Elle représente 68% de la superficie arboricole du Maroc. «La production nationale accuse une baisse d’environ 60% par rapport à une année normale», confie Rachid Benali, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de l’olive (INTERPROLIVE), au journal Le Matin. Ce constat dans le Royaume est le reflet d’une tendance mondiale. La production a baissé aux quatre coins du monde, entraînant automatiquement un amoindrissement des stocks et ainsi, une hausse des prix.

Pour préserver un certain équilibre, les professionnels de la filière olive ont pris les devants pour ce qui concerne l’huile d’olive : ils ont demandé au ministère de tutelle de bloquer les exportations pour stabiliser les prix sur le marché local, explique le président de l’INTERPROLIVE. «Nous en sommes au quart de ce que nous exportons habituellement», détaille Rachid Benali.

Des pluies salvatrices, mais...

Malgré une diminution du rendement, les dernières précipitations qu’a connues le Royaume redonnent du baume au cœur aux oléiculteurs. D’abord parce que les pluies du mois de mars sont très bénéfiques pour l’olive, précise la même source. Elles ont aussi permis de se passer d’irrigation, influençant directement à la baisse le prix de revient. Mais la pluie à elle seule ne suffit pas à assurer le rendement d’une culture. Les températures et leur amplitude pèseraient aussi dans la balance, à en croire la Fédération. En l’espace de trois jours, le mercure pouvait atteindre 20 degrés pour grimper à 40 le lendemain et revenir à 20 le jour suivant. Des fluctuations à même de causer beaucoup de dégâts à la plante.

S’il est difficile pour l’heure d’établir des projections claires, il n’y a pas de raison que la situation ne soit pas meilleure que l’année précédente, fait savoir l’INTERPROLIVE. À l’automne 2023, la production d’olives avait atteint 1,07 million de tonnes, similaire à celle de la campagne précédente, et ce malgré la sécheresse persistante des deux dernières campagnes agricoles, indiquait alors le ministère de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts. Elle accusait une baisse de 44% par rapport à la production de l’automne 2021.

Carton jaune pour les exportations

Les aléas climatiques du printemps dernier semblent se transposer aujourd’hui. La sécheresse persistante des trois dernières campagnes provoque un stress hydrique. À cela s’ajoutent les pics de chaleur qui sévissent lors de la floraison des vergers oléicoles dans différentes régions, impactant directement et fortement les rendements. En octobre 2023, le ministère de tutelle partageait ses ressentiments : «À l’échelle internationale, la production prévisionnelle de l’huile d’olive est fortement impactée négativement par des conditions climatiques extrêmes, notamment, chez les pays méditerranéens. Cette situation prévalant sur le marché mondial n’est pas en faveur d’un développement harmonieux de la commercialisation de l’huile d’olive nationale».

Dans ce contexte, les défis sont alors multiples : valoriser la production nationale localement, assurer l’approvisionnement normal et régulier du marché national, stabiliser les prix à la consommation, et assurer la viabilité et la pérennité de toute la chaine de valeur de la filière oléicole. C’est à l’automne que «le gouvernement a décidé de soumettre à licence d’exportation les olives à l’état frais ou réfrigéré, les olives transformées, l’huile d’olive et l’huile de grignons d’olives». Sauf autorisation, donc, il est interdit d’exporter ces produits. La mesure est valable jusqu’à fin 2024.

Entretien avec Rachid Benali, président de la Fédération interprofessionnelle marocaine de l’olive : Nous avons beaucoup d’espoir pour l’an prochain car les dernières pluies sont arrivées à une période idoine

Les rendements oléicoles sont-ils menacés ? Le point avec Rachid Benali



Le Matin : Comment évaluez-vous l’impact du changement climatique sur le secteur de l’oléiculture en termes de qualité du produit, de rendement et d’exportation ?

Rachid Benali :
Il n’y a pas réellement d’impact au niveau de la qualité, et nous n’avons pas de souci majeur à ce niveau-là, que nous parlions d’huile d’olive ou d’olive de table. Ce qui n’est pas le cas du rendement qui est en baisse un peu partout. Le Maroc n’est pas un cas isolé. La production mondiale a chuté et les prix ont flambé partout dans le monde en particulier parce que l’Espagne, qui englobe 50% de la production mondiale, a vu sa production chuter des 2/3. Au Maroc, nous en sommes au même niveau, soit à peu près moins 60% par rapport à une année normale, et ce depuis deux ans. Dans le monde, la production baisse, de même que les stocks et les prix flambent automatiquement.

Pour ce qui est de l’export du produit marocain, définissons tout d’abord la notion de «produit» qui est l’olive. Il prend deux formes une fois transformé : olive de table ou huile d’olive. Pour ce qui est de l’olive de table, nous maintenons nos niveaux habituels mais difficilement parce que nous faisons face à une concurrence féroce de la part de l’Égypte qui s’attaque à la production mondiale de manière vigoureuse en faisant baisser les prix de manière catastrophique. Dans ce pays, les facteurs de production sont nettement plus bas, près du tiers du prix normal. Les prix des intrants sont bas également. Avec le Nil, la disponibilité en eau n’est pas un problème. Idem pour l’énergie. Le coût de la main d’œuvre équivaut au tiers de ce qu’elle représente au Maroc. Tous ces facteurs font que l’Égypte opère une entrée agressive sur nos marchés traditionnels au niveau de l’olive de table. Et nous sommes en perte de vitesse à sa faveur.

Au niveau de l’huile d’olive à présent, nous avons pris des dispositions particulières cette année. Notre fédération a demandé au ministère de stopper les exportations non valorisées, et les prix ont flambé malgré tout. Il s’agit d’une démarche volontaire. Nous avons consciemment voulu bloquer les exportations pour stabiliser les prix sur le marché local. Et nous en sommes au quart de ce que nous exportons habituellement.

Le Maroc subit une sécheresse depuis environ six ans. Pensez-vous que les dernières pluies seront profitables au secteur ?

Nous avons beaucoup d’espoir pour l’année prochaine parce que ces pluies sont arrivées à une période idoine. Les pluies du mois de mars sont très bénéfiques pour l’olive. Elles nous permettent également de baisser quelque peu le coût de revient étant donné que nous avons arrêté l’irrigation durant une certaine période. Malheureusement, une chaleur terrible s’en est suivie. Les températures élevées ont des effets sur l’olive. Heureusement, elle n’était pas en période de floraison, mais on ne peut toujours pas prévoir ce qui va se passer par la suite. Nous faisons par ailleurs face à un autre phénomène cette année : plusieurs variétés d’olives dans différentes régions du Maroc n’ont rien produit, et nous ignorons pour quelle raison. Il faut attendre les résultats d’analyses, mais nous craignons ces phénomènes quelque peu nouveaux car les effets du changement climatique affectent grandement la plante. Nous sommes passés par des moments très difficiles. Le mercure affichait par exemple 20 degrés dans un bassin de production et 40 degrés le lendemain, puis 17 ou 18 degrés le jour suivant. Ces amplitudes de températures peuvent causer beaucoup de dégâts à la plante. Pour l’heure, nous ne pouvons pas réellement nous prononcer pour l’année prochaine, mais il n’y a pas de raison que la situation ne soit pas meilleure que l’année précédente.

L’assurance agricole couvre les risques de sécheresse. Les agriculteurs y ont-ils eu recours et leur a-t-elle été salutaire ?

L’assurance existe et c’est une très bonne chose. Mais le problème réside dans les facteurs de blocage. Premièrement, l’assurance n’assure que le fruit. Le problème auquel nous avons dû faire face ces dernières années avec la sécheresse est qu’elle engendre deux phénomènes principaux : soit il n’y a pas de floraison, soit il existe une fleur asséchée qui ne donne pas de fruit. Ces deux cas ne sont pas pris en considération par l’assurance et les oléiculteurs ne peuvent pas en bénéficier. Elle n’assure pas la production en amont. Encore une fois, elle n’assure que le fruit. Mais l’assurance existe sur le segment de l’arboriculture et elle nous protège d’autres aléas comme le vent fort, la grêle, ... Nous faisons face aussi à une autre problématique : la faiblesse du taux de remboursement. Il ne couvre pas les charges. C’est la raison pour laquelle la majorité des producteurs d’olives n’y souscrivent pas. Nous avons un programme «arboriculture» dédié au niveau de la MAMDA (Mutuelle agricole marocaine d’assurance), qui couvre une superficie de 50.000 hectares par an mais nous n’en réalisons que 10.000 ou 15.000, toutes arboricultures confondues, sachant que l’olivier en occupe les deux tiers.

Lisez nos e-Papers