Le Matin : Quelles sont les mesures ou les voies juridiques permettant aux investisseurs étrangers d’investir au Maroc en toute quiétude ?
Saad El Mernissi : L’un des éléments principaux qui est pris en compte par un investisseur pour la réalisation de son investissement à l’étranger est la prévisibilité. Ainsi, sur le plan juridique, il doit être en mesure d’évaluer les risques auxquels il s’expose en cas de litige éventuel. Les rapports et les classements internationaux font souvent ressortir les lacunes de notre système judiciaire notamment concernant la durée des procédures et la difficulté dans l’exécution des jugements. De plus, ces difficultés sont renforcées lorsque l’investisseur provient d’un système juridique différent et que les documents contractuels sont souvent rédigés en français ou en anglais.
C’est pour cette raison que l’arbitrage en tant que mode alternatif de résolution des différends offre aux investisseurs la possibilité notamment du choix de la langue, du droit applicable, des arbitres et même des règles de procédure.
Il existe également une autre possibilité de régler un différend en recourant à la médiation. La médiation conventionnelle est encadrée par la loi dans notre pays et permet que l’accord trouvé entre les parties est force de jugement une fois validée par un juge. Le recours à la médiation est trop souvent négligé par les opérateurs économiques qui considèrent que, comme le médiateur ne dispose pas du pouvoir de trancher le litige, il constitue une perte de temps. Il est à noter que dans les pays où le recours à la médiation est usuel, le litige est résolu dans près de 70% des cas.
Comment le Maroc s'inscrit dans la région MENA et en Afrique ?
Nous sommes en retard par rapport à la région MENA et à l’Afrique sur le développement de l’arbitrage. En ce qui concerne la zone MENA, l’activité d’arbitrage s’organise essentiellement à Dubaï qui dispose d’une institution d'arbitrage très efficace et qui est située au sein de la place financière de Dubaï (DIFC). Celle-ci a des prérogatives que nous ne pourrons jamais avoir au Maroc dans le cadre d'un centre d'arbitrage. En effet, celle-ci dispose d’un caractère quasi extraterritorial notamment du fait que les juridictions émiraties chargées de l’exécution ou de l’annulation des sentences arbitrales rendent leurs décisions en langue anglaise alors que la langue nationale est l’arabe.
Il est à noter que la France a également instauré la possibilité au niveau de la Cour d’appel de Paris de traiter les sujets liés à l’arbitrage également en anglais afin de conforter la position de Paris comme place d’arbitrage international.
En Afrique francophone, il y a un très gros travail d'harmonisation du droit des affaires grâce à l’Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Sur ce point, il y a deux volets. Le premier est purement législatif et réglementaire qui consiste en l’unification du droit des affaires. Le deuxième concerne la Cour de justice (CCJA), qui est une juridiction de dernier ressort en cas de problématique d'interprétation de ce droit des affaires unifié, mais qui est également une institution d'arbitrage pour l’ensemble des pays de l’OHADA. Ainsi dans le cadre des investissements marocains en Afrique et des investissements africains au Maroc, nous allons nous retrouver face au poids d'une institution qui regroupe 17 pays devant laquelle nous aurons du mal à valoriser les institutions d’arbitrage marocaines, car il s’agit d’une institution.
Il y a aussi la création de centres qui sont extrêmement dynamiques dans certains pays qui enregistrent une très grande croissance économique. C'est le cas notamment du Rwanda avec le centre d'arbitrage de Kigali qui a bénéficié d’un appui important des autorités notamment par la mise en place d’un recours obligatoire à l’arbitrage du centre de Kigali pour tous les contrats qui étaient signés, avec l'État rwandais ou avec des institutions publiques rwandaises.
Il y a également un très grand développement de l’arbitrage au Nigéria et Lagos est devenu la place d’arbitrage de référence dans la région. Ces cas peuvent être inspirants.
Dans quelle mesure peut-on dire que la signature de la convention de New York de 1958 sur l’arbitrage est un avantage pour le Maroc ?
Pour développer le commerce international, le Maroc a été l’un des premiers pays signataires de cette convention. Elle permet la reconnaissance des sentences arbitrales qui ont été rendues à l’étranger. Il est aussi signataire de la Convention de Washington en ce qui concerne le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Et cela constitue c'est une garantie pour les investisseurs. Sur ce point, il est important de préciser que parmi les premières questions que les investisseurs étrangers nous posent est de savoir comment s’organise l’arbitrage au Maroc et si ce dernier est signataire de la convention de New York.
Quelle est votre évaluation de la pratique de l’arbitrage commercial international au Maroc ?
C’est difficile de répondre à cette question de façon succincte. Il est à noter que le Maroc dispose d’une législation qui répond aux standards internationaux. Elle s’inspire tout d'abord de la loi type de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et également de législations de pays offrant un cadre favorable à l'arbitrage. Donc sur les grands principes, nous disposons d’un cadre cohérent. Mais au-delà des grands principes, certaines dispositions procédurales constituent des freins au développement de l’arbitrage. C’est le cas par exemple de la problématique de l’exécution des sentences arbitrales dite procédure d’exéquatur, et ce qu’il s’agisse de sentences arbitrales internes ou de sentences arbitrales internationales. À ce niveau, il faut rappeler que nous avons une spécificité dans la législation marocaine qui fait que cette procédure est une procédure contradictoire. Ce qui n'est pas le cas dans la plupart des pays qui ont une législation adaptée à l'arbitrage.
À votre avis, quel est l’apport de la loi 95-17 sur l’arbitrage par rapport à l’ancienne ?
Sans entrer dans les détails, objectivement, il n’y a pas eu d’énormes changements. Cette loi a surtout un apport psychologique en regroupant les dispositions sur l’arbitrage dans un code spécifique et non plus au sein du Code de procédure civile et pour ne plus laisser penser que les règles de procédure s’appliquant devant les tribunaux étatiques sont applicables en matière d’arbitrage. Il n’y a rien de majeur dans cette loi par rapport à l’ancienne de 2007 et qui avait déjà fixé les grands principes de l'arbitrage.
Lors de la procédure de l’exéquatur des sentences arbitrales, les juges marocains adoptent-ils une approche restrictive ou large de la notion de l’ordre public ?
Cela dépend des cas. Et c'est toute la problématique de la notion de l’ordre public qui n’a pas de définition légale. Ce qui pourrait avoir pour conséquence de rediscuter du fond de l'affaire, ce qui n'est pas l'objectif de l’exéquatur. Cette dernière étant en principe une simple validation du juge qui doit vérifier les éléments par des critères qui sont fixés par la loi pour décider si la sentence arbitrale équivaut à un jugement, car elle a donné toutes les garanties qu'auraient pu donner un jugement devant une juridiction étatique. Une fois que le juge a vérifié que la clause est valable, que les arbitres ont été valablement nommés, qu’ils ont répondu aux points qui ont été sollicités par les parties et que le principe du contradictoire a été bien respecté, reste l'ordre public. Les discussions sur l’ordre public peuvent conduire à de longs débats et dès lors que la procédure d’exequatur est contradictoire, cela rallonge de façon substantielle l’exécution des sentences arbitrales. Nous qui sommes dans la promotion de l'arbitrage, nous nous retrouvons avec des exéquaturs qui durent des mois, voire des années alors que toute la procédure arbitrage n’aura pris que quelques mois. Pour rappel, la loi prévoit, à défaut de règlement d'arbitrage, que la procédure arbitrale ne doit pas dépasser un délai de six mois entre l'acceptation du dernier arbitre et la sentence, ce qui est relativement court pour une affaire commerciale.
La liste des arbitres prévue par décret ne constitue-t-elle pas un frein ?
C’est un sujet dont on ne voit pas encore l’impact et qui n’est pas une pratique à l'international. Là, il faut rappeler que le décret n° 2-23-1119 fixant les modalités d’établissement de la liste des arbitres ainsi que les conditions d’inscription et de radiation y afférentes publié au BO du 23 mai 2024, prévoit la mise en place d'une commission qui sera en charge des inscriptions sur cette liste.
On comprend que les arbitres qui figureront sur cette liste seront ceux qui seront choisis par les juges lorsque ces derniers auront à nommer un arbitre en cas de désaccord des parties et de l’absence d’un règlement d’arbitrage prévoyant le mécanisme de la nomination des arbitres.
Toutefois, la référence à une liste d’arbitres peut induire des questions d’interprétation qui pourrait suggérer que toute personne agissant comme arbitre dans une procédure arbitrale dit figurer sur cette liste. Il est donc nécessaire de clarifier ce point afin de déterminer si l’activité d’arbitre est libre ou réglementée. Si on estime que l'arbitrage est une chose trop importante pour que le choix des arbitres soit laissé uniquement aux parties, il est nécessaire d’en faire une profession réglementée avec un ordre. Il est important de noter que ce n’est pas le choix qui a été fait par les pays qui disposent d’une législation la plus favorable à l’arbitrage.
On comprend que les pouvoirs publics souhaitent protéger les opérateurs économiques du risque de la nomination d’un arbitre incompétent ou partial. Il est vrai que certaines procédures arbitrales ont été entachées de vices de procédure et de manque d’indépendance des arbitres par rapport au litige ou aux parties. C’est principalement le cas dans l’arbitrage ad hoc qui n’est pas géré par une institution d’arbitrage et qui représente la très grande majorité des procédures d’arbitrage dans notre pays.
Au niveau de la Cour marocaine d’arbitrage, nous avons mis en place un règlement qui offre le maximum de garanties aux parties et notamment une liste d’arbitres que nous avons sélectionnés et dans laquelle nous choisissons les arbitres en cas de désaccord entre les parties ou de défaillance d’une des parties. Nous disposons également de mécanismes procéduraux afin de limiter le recours en annulation contre les sentences émises dans le cadre des arbitrages soumis à notre règlement. Ainsi, nous avons mis en place la nécessité de recourir à un acte de mission qui permet de cadrer la mission des arbitres et nous procédons à la revue des sentences avant qu’elles soient adressées aux parties et qu’elles deviennent donc définitives.
À votre avis, ne peut-on pas réglementer la profession d’arbitre à l’image des professions libérales ?
À cette question, je vais répondre à titre personnel. Je ne suis pas favorable à cette option car plus on réglemente l’arbitrage, plus on le judiciarise. L'arbitrage est censé être un système de justice privée dans lequel il y a un choix des parties et dans lequel il y a une certaine autonomie.
Comment faire pour que le secret d'affaires soit protégé durant une procédure arbitrale de commerce international, notamment lors d'échanges massifs de documents confidentiels ?
La procédure arbitrale protège ce principe. Il faut juste savoir que la confidentialité en arbitrage au niveau de la loi marocaine n'est prévue que pour les arbitres. Elle est pénale. Donc si un arbitre, qui a siégé dans le cadre d'une une procédure arbitrale révèle une chose qu'il a apprise, il est soumis aux dispositions du Code pénal sur le secret professionnel. Pour les parties, il n’y a pas pareille disposition. Si on est dans un arbitrage institutionnel, le règlement peut prévoir le caractère confidentiel de la procédure d’arbitrage . Si ce n'est pas le cas, il faut prévoir cet engagement entre les parties. Évidemment, cet engagement n’est pas pénal. Il s’agit d’un engagement contractuel. Si une partie révèle une information qui a été communiquée pendant la procédure, elle s’expose à des dommages-intérêts. Quand on demande quel est l'avantage de l'arbitrage, tout le monde répond que c’est la confidentialité. Aussi, il faut vérifier cela avant de s’engager. Et si on est dans un arbitrage ad-hoc, il faut la prévoir. C’est le rôle de l’arbitre. Il faut noter qu’à partir du moment où l’on rentre dans le système judiciaire, il n’y a plus de confidentialité. L'arbitrage est confidentiel jusqu'au moment où les parties décident de s'exécuter sans passer devant un juge.
Existe-t-il des incitations par le gouvernement pour encourager l'arbitrage commercial international au Maroc ?
À ma connaissance, il n’y a pas de démarche particulière. L'arbitrage étant une justice privée, il est rare que ce soit porté par l'État. C'est un sujet porté par les Chambres de commerce, les institutions d'arbitrage, éventuellement les ordres professionnels.
Dans tous les programmes d'amélioration de la justice, il y a toujours un point qui qui vise l'arbitrage et la médiation conventionnelle mais il est compréhensible qu’il existe d’autres priorités que l’arbitrage pour le ministère de la Justice.
Pourquoi le recours à l’arbitrage ne trouve pas l’engouement nécessaire à son développement au Maroc ?
Je pense que cela est dû, entre autres, au manque de relais. Je pense aux prescripteurs, aux conseils des entreprises, qui, par méconnaissance ou par rejet du principe, n’orientent pas forcément les parties vers l'arbitrage. Il arrive aussi que l’on se retrouve en face d’un conseil de l’une des parties qui souhaite avoir recours à toutes les mesures dilatoires qu'on peut utiliser devant une juridiction étatique. Ce n’est pas l'esprit de l'arbitrage.
On le voit de plus en plus au niveau de la Cour marocaine d'arbitrage. Il y a tellement de demandes de récusation des arbitres pour des motifs très futiles. Et lorsque l’institution rejette la demande de récusation, il y a un recours devant la justice.
On fait également de plus en plus face à des procédures au pénal qui sont faites sur faux et usage de faux. Les dispositions du Code de l’arbitrage prévoient que lorsque l’une des parties saisit les juridictions pénales, on suspend la procédure de l’arbitrage. Nous avons des cas de suspensions qui durent depuis près de trois ans. C’est une pratique qui n’existait pas auparavant.
Comment prêcher la bonne parole auprès des PME pour la promotion de l'arbitrage commercial ?
Chez les PME, il y a un frein psychologique. Elles pensent que l'arbitrage est pour les grandes entreprises ou pour les multinationales. Et malheureusement parfois aussi à cause de la méconnaissance de leurs conseils, les PME n’optent pas pour l’arbitrage. Or pour ces dernières, c'est un très bon système de règlement des différends. D'ailleurs, de très grandes entreprises ont mis en place avec leurs fournisseurs qui sont parfois des PME des clauses d'arbitrage systématique pour régler les litiges, et ce pour éviter des contentieux devant la justice étatique et qui sont très longs et coûteux.
Saad El Mernissi : L’un des éléments principaux qui est pris en compte par un investisseur pour la réalisation de son investissement à l’étranger est la prévisibilité. Ainsi, sur le plan juridique, il doit être en mesure d’évaluer les risques auxquels il s’expose en cas de litige éventuel. Les rapports et les classements internationaux font souvent ressortir les lacunes de notre système judiciaire notamment concernant la durée des procédures et la difficulté dans l’exécution des jugements. De plus, ces difficultés sont renforcées lorsque l’investisseur provient d’un système juridique différent et que les documents contractuels sont souvent rédigés en français ou en anglais.
C’est pour cette raison que l’arbitrage en tant que mode alternatif de résolution des différends offre aux investisseurs la possibilité notamment du choix de la langue, du droit applicable, des arbitres et même des règles de procédure.
Il existe également une autre possibilité de régler un différend en recourant à la médiation. La médiation conventionnelle est encadrée par la loi dans notre pays et permet que l’accord trouvé entre les parties est force de jugement une fois validée par un juge. Le recours à la médiation est trop souvent négligé par les opérateurs économiques qui considèrent que, comme le médiateur ne dispose pas du pouvoir de trancher le litige, il constitue une perte de temps. Il est à noter que dans les pays où le recours à la médiation est usuel, le litige est résolu dans près de 70% des cas.
Comment le Maroc s'inscrit dans la région MENA et en Afrique ?
Nous sommes en retard par rapport à la région MENA et à l’Afrique sur le développement de l’arbitrage. En ce qui concerne la zone MENA, l’activité d’arbitrage s’organise essentiellement à Dubaï qui dispose d’une institution d'arbitrage très efficace et qui est située au sein de la place financière de Dubaï (DIFC). Celle-ci a des prérogatives que nous ne pourrons jamais avoir au Maroc dans le cadre d'un centre d'arbitrage. En effet, celle-ci dispose d’un caractère quasi extraterritorial notamment du fait que les juridictions émiraties chargées de l’exécution ou de l’annulation des sentences arbitrales rendent leurs décisions en langue anglaise alors que la langue nationale est l’arabe.
Il est à noter que la France a également instauré la possibilité au niveau de la Cour d’appel de Paris de traiter les sujets liés à l’arbitrage également en anglais afin de conforter la position de Paris comme place d’arbitrage international.
En Afrique francophone, il y a un très gros travail d'harmonisation du droit des affaires grâce à l’Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Sur ce point, il y a deux volets. Le premier est purement législatif et réglementaire qui consiste en l’unification du droit des affaires. Le deuxième concerne la Cour de justice (CCJA), qui est une juridiction de dernier ressort en cas de problématique d'interprétation de ce droit des affaires unifié, mais qui est également une institution d'arbitrage pour l’ensemble des pays de l’OHADA. Ainsi dans le cadre des investissements marocains en Afrique et des investissements africains au Maroc, nous allons nous retrouver face au poids d'une institution qui regroupe 17 pays devant laquelle nous aurons du mal à valoriser les institutions d’arbitrage marocaines, car il s’agit d’une institution.
Il y a aussi la création de centres qui sont extrêmement dynamiques dans certains pays qui enregistrent une très grande croissance économique. C'est le cas notamment du Rwanda avec le centre d'arbitrage de Kigali qui a bénéficié d’un appui important des autorités notamment par la mise en place d’un recours obligatoire à l’arbitrage du centre de Kigali pour tous les contrats qui étaient signés, avec l'État rwandais ou avec des institutions publiques rwandaises.
Il y a également un très grand développement de l’arbitrage au Nigéria et Lagos est devenu la place d’arbitrage de référence dans la région. Ces cas peuvent être inspirants.
Dans quelle mesure peut-on dire que la signature de la convention de New York de 1958 sur l’arbitrage est un avantage pour le Maroc ?
Pour développer le commerce international, le Maroc a été l’un des premiers pays signataires de cette convention. Elle permet la reconnaissance des sentences arbitrales qui ont été rendues à l’étranger. Il est aussi signataire de la Convention de Washington en ce qui concerne le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Et cela constitue c'est une garantie pour les investisseurs. Sur ce point, il est important de préciser que parmi les premières questions que les investisseurs étrangers nous posent est de savoir comment s’organise l’arbitrage au Maroc et si ce dernier est signataire de la convention de New York.
Quelle est votre évaluation de la pratique de l’arbitrage commercial international au Maroc ?
C’est difficile de répondre à cette question de façon succincte. Il est à noter que le Maroc dispose d’une législation qui répond aux standards internationaux. Elle s’inspire tout d'abord de la loi type de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et également de législations de pays offrant un cadre favorable à l'arbitrage. Donc sur les grands principes, nous disposons d’un cadre cohérent. Mais au-delà des grands principes, certaines dispositions procédurales constituent des freins au développement de l’arbitrage. C’est le cas par exemple de la problématique de l’exécution des sentences arbitrales dite procédure d’exéquatur, et ce qu’il s’agisse de sentences arbitrales internes ou de sentences arbitrales internationales. À ce niveau, il faut rappeler que nous avons une spécificité dans la législation marocaine qui fait que cette procédure est une procédure contradictoire. Ce qui n'est pas le cas dans la plupart des pays qui ont une législation adaptée à l'arbitrage.
À votre avis, quel est l’apport de la loi 95-17 sur l’arbitrage par rapport à l’ancienne ?
Sans entrer dans les détails, objectivement, il n’y a pas eu d’énormes changements. Cette loi a surtout un apport psychologique en regroupant les dispositions sur l’arbitrage dans un code spécifique et non plus au sein du Code de procédure civile et pour ne plus laisser penser que les règles de procédure s’appliquant devant les tribunaux étatiques sont applicables en matière d’arbitrage. Il n’y a rien de majeur dans cette loi par rapport à l’ancienne de 2007 et qui avait déjà fixé les grands principes de l'arbitrage.
Lors de la procédure de l’exéquatur des sentences arbitrales, les juges marocains adoptent-ils une approche restrictive ou large de la notion de l’ordre public ?
Cela dépend des cas. Et c'est toute la problématique de la notion de l’ordre public qui n’a pas de définition légale. Ce qui pourrait avoir pour conséquence de rediscuter du fond de l'affaire, ce qui n'est pas l'objectif de l’exéquatur. Cette dernière étant en principe une simple validation du juge qui doit vérifier les éléments par des critères qui sont fixés par la loi pour décider si la sentence arbitrale équivaut à un jugement, car elle a donné toutes les garanties qu'auraient pu donner un jugement devant une juridiction étatique. Une fois que le juge a vérifié que la clause est valable, que les arbitres ont été valablement nommés, qu’ils ont répondu aux points qui ont été sollicités par les parties et que le principe du contradictoire a été bien respecté, reste l'ordre public. Les discussions sur l’ordre public peuvent conduire à de longs débats et dès lors que la procédure d’exequatur est contradictoire, cela rallonge de façon substantielle l’exécution des sentences arbitrales. Nous qui sommes dans la promotion de l'arbitrage, nous nous retrouvons avec des exéquaturs qui durent des mois, voire des années alors que toute la procédure arbitrage n’aura pris que quelques mois. Pour rappel, la loi prévoit, à défaut de règlement d'arbitrage, que la procédure arbitrale ne doit pas dépasser un délai de six mois entre l'acceptation du dernier arbitre et la sentence, ce qui est relativement court pour une affaire commerciale.
La liste des arbitres prévue par décret ne constitue-t-elle pas un frein ?
C’est un sujet dont on ne voit pas encore l’impact et qui n’est pas une pratique à l'international. Là, il faut rappeler que le décret n° 2-23-1119 fixant les modalités d’établissement de la liste des arbitres ainsi que les conditions d’inscription et de radiation y afférentes publié au BO du 23 mai 2024, prévoit la mise en place d'une commission qui sera en charge des inscriptions sur cette liste.
On comprend que les arbitres qui figureront sur cette liste seront ceux qui seront choisis par les juges lorsque ces derniers auront à nommer un arbitre en cas de désaccord des parties et de l’absence d’un règlement d’arbitrage prévoyant le mécanisme de la nomination des arbitres.
Toutefois, la référence à une liste d’arbitres peut induire des questions d’interprétation qui pourrait suggérer que toute personne agissant comme arbitre dans une procédure arbitrale dit figurer sur cette liste. Il est donc nécessaire de clarifier ce point afin de déterminer si l’activité d’arbitre est libre ou réglementée. Si on estime que l'arbitrage est une chose trop importante pour que le choix des arbitres soit laissé uniquement aux parties, il est nécessaire d’en faire une profession réglementée avec un ordre. Il est important de noter que ce n’est pas le choix qui a été fait par les pays qui disposent d’une législation la plus favorable à l’arbitrage.
On comprend que les pouvoirs publics souhaitent protéger les opérateurs économiques du risque de la nomination d’un arbitre incompétent ou partial. Il est vrai que certaines procédures arbitrales ont été entachées de vices de procédure et de manque d’indépendance des arbitres par rapport au litige ou aux parties. C’est principalement le cas dans l’arbitrage ad hoc qui n’est pas géré par une institution d’arbitrage et qui représente la très grande majorité des procédures d’arbitrage dans notre pays.
Au niveau de la Cour marocaine d’arbitrage, nous avons mis en place un règlement qui offre le maximum de garanties aux parties et notamment une liste d’arbitres que nous avons sélectionnés et dans laquelle nous choisissons les arbitres en cas de désaccord entre les parties ou de défaillance d’une des parties. Nous disposons également de mécanismes procéduraux afin de limiter le recours en annulation contre les sentences émises dans le cadre des arbitrages soumis à notre règlement. Ainsi, nous avons mis en place la nécessité de recourir à un acte de mission qui permet de cadrer la mission des arbitres et nous procédons à la revue des sentences avant qu’elles soient adressées aux parties et qu’elles deviennent donc définitives.
À votre avis, ne peut-on pas réglementer la profession d’arbitre à l’image des professions libérales ?
À cette question, je vais répondre à titre personnel. Je ne suis pas favorable à cette option car plus on réglemente l’arbitrage, plus on le judiciarise. L'arbitrage est censé être un système de justice privée dans lequel il y a un choix des parties et dans lequel il y a une certaine autonomie.
Comment faire pour que le secret d'affaires soit protégé durant une procédure arbitrale de commerce international, notamment lors d'échanges massifs de documents confidentiels ?
La procédure arbitrale protège ce principe. Il faut juste savoir que la confidentialité en arbitrage au niveau de la loi marocaine n'est prévue que pour les arbitres. Elle est pénale. Donc si un arbitre, qui a siégé dans le cadre d'une une procédure arbitrale révèle une chose qu'il a apprise, il est soumis aux dispositions du Code pénal sur le secret professionnel. Pour les parties, il n’y a pas pareille disposition. Si on est dans un arbitrage institutionnel, le règlement peut prévoir le caractère confidentiel de la procédure d’arbitrage . Si ce n'est pas le cas, il faut prévoir cet engagement entre les parties. Évidemment, cet engagement n’est pas pénal. Il s’agit d’un engagement contractuel. Si une partie révèle une information qui a été communiquée pendant la procédure, elle s’expose à des dommages-intérêts. Quand on demande quel est l'avantage de l'arbitrage, tout le monde répond que c’est la confidentialité. Aussi, il faut vérifier cela avant de s’engager. Et si on est dans un arbitrage ad-hoc, il faut la prévoir. C’est le rôle de l’arbitre. Il faut noter qu’à partir du moment où l’on rentre dans le système judiciaire, il n’y a plus de confidentialité. L'arbitrage est confidentiel jusqu'au moment où les parties décident de s'exécuter sans passer devant un juge.
Existe-t-il des incitations par le gouvernement pour encourager l'arbitrage commercial international au Maroc ?
À ma connaissance, il n’y a pas de démarche particulière. L'arbitrage étant une justice privée, il est rare que ce soit porté par l'État. C'est un sujet porté par les Chambres de commerce, les institutions d'arbitrage, éventuellement les ordres professionnels.
Dans tous les programmes d'amélioration de la justice, il y a toujours un point qui qui vise l'arbitrage et la médiation conventionnelle mais il est compréhensible qu’il existe d’autres priorités que l’arbitrage pour le ministère de la Justice.
Pourquoi le recours à l’arbitrage ne trouve pas l’engouement nécessaire à son développement au Maroc ?
Je pense que cela est dû, entre autres, au manque de relais. Je pense aux prescripteurs, aux conseils des entreprises, qui, par méconnaissance ou par rejet du principe, n’orientent pas forcément les parties vers l'arbitrage. Il arrive aussi que l’on se retrouve en face d’un conseil de l’une des parties qui souhaite avoir recours à toutes les mesures dilatoires qu'on peut utiliser devant une juridiction étatique. Ce n’est pas l'esprit de l'arbitrage.
On le voit de plus en plus au niveau de la Cour marocaine d'arbitrage. Il y a tellement de demandes de récusation des arbitres pour des motifs très futiles. Et lorsque l’institution rejette la demande de récusation, il y a un recours devant la justice.
On fait également de plus en plus face à des procédures au pénal qui sont faites sur faux et usage de faux. Les dispositions du Code de l’arbitrage prévoient que lorsque l’une des parties saisit les juridictions pénales, on suspend la procédure de l’arbitrage. Nous avons des cas de suspensions qui durent depuis près de trois ans. C’est une pratique qui n’existait pas auparavant.
Comment prêcher la bonne parole auprès des PME pour la promotion de l'arbitrage commercial ?
Chez les PME, il y a un frein psychologique. Elles pensent que l'arbitrage est pour les grandes entreprises ou pour les multinationales. Et malheureusement parfois aussi à cause de la méconnaissance de leurs conseils, les PME n’optent pas pour l’arbitrage. Or pour ces dernières, c'est un très bon système de règlement des différends. D'ailleurs, de très grandes entreprises ont mis en place avec leurs fournisseurs qui sont parfois des PME des clauses d'arbitrage systématique pour régler les litiges, et ce pour éviter des contentieux devant la justice étatique et qui sont très longs et coûteux.