Selon cette analyse, l’accord Maroc/États-Unis devait faire du Royaume une plateforme régionale, diversifier ses exportations, y attirer l’investissement américain et, partant, stimuler l’emploi dans le pays. Sur le papier, l’architecture de l’accord était complète : biens, services, investissements, propriété intellectuelle. Mais, dans les faits, la dynamique commerciale s’est pratiquement installée à sens unique. Le graphique associé à l’analyse de Brookings est, à cet égard, explicite. Depuis la fin des années 1990, et plus encore après l’entrée en vigueur de l’accord, les importations marocaines en provenance des États-Unis progressent rapidement. Les exportations, elles, suivent une trajectoire nettement plus modérée. L’écart ne se résorbe jamais. Il s’élargit.
En 2023, les importations marocaines en provenance des États-Unis frôlaient les 6 milliards de dollars, contre environ 1,5 milliard de dollars d’exportations, confirmant un différentiel qui s’installe dans le temps et un déséquilibre davantage structurel que conjoncturel. Selon les experts de Brookings, la nature des échanges explique en grande partie ce résultat. En effet, les exportations marocaines vers les États-Unis se sont progressivement concentrées sur des secteurs à forte intensité capitalistique, notamment les engrais phosphatés et les produits chimiques. À l’inverse, les secteurs historiquement intensifs en main-d’œuvre – à l’instar du textile et de l’habillement – ont cédé du terrain. Cette évolution a eu un impact direct et néfaste sur l’emploi, en particulier l’emploi féminin.
De même, souligne le Think Tank, la structure productive marocaine n’a pas connu la montée en gamme attendue. Par exemple, en 2021, les exportations de haute technologie ne représentaient que 6% des exportations totales, un niveau inférieur à celui observé vingt ans plus tôt.
L’investissement direct américain au Maroc s’inscrit dans la même logique. Les entreprises américaines privilégient des secteurs intensifs en capital comme les énergies renouvelables, les infrastructures, l’aéronautique et les technologies liées à l’environnement. Ces investissements renforcent ainsi la spécialisation existante et soutiennent la production. Mais ils génèrent un impact limité sur l’emploi de masse et la transformation structurelle.
L’analyse de Brookings insiste sur un point central : l’asymétrie des engagements. Le Maroc a procédé à des réductions tarifaires plus importantes que celles consenties par le pays de l’Oncle Sam. «Washington, doté d’une base industrielle beaucoup plus compétitive, a pleinement tiré parti de l’Accord», remarque le Think Tank. Les chiffres du commerce bilatéral sont révélateurs.
En 2005, le surplus commercial américain avec le Maroc était marginal. En 2024, il atteint 3,4 milliards de dollars. Le graphe accompagnant l’analyse traduit cette réalité : la courbe des importations s’élève nettement au-dessus de celle des exportations, année après année.
Brookings souligne également la fragilité politique de ce type d’accord. Il rappelle, à ce propos, que la décision américaine d’avril 2025 d’imposer un droit de douane généralisé de 10% sur les importations marocaines – en contradiction avec les dispositions de l’Accord – en est l’illustration. «Elle rappelle que les Accords bilatéraux ne neutralisent pas les rapports de force. Ils les institutionnalisent», font observer les experts du Think Tank américain.
Pour Brookings, l’expérience marocaine montre que l’accès préférentiel au marché américain ne garantit ni compétitivité ni transformation structurelle puisque, sans base productive solide et sans diversification sectorielle, les gains restent limités. Le Think Tank estime, par ailleurs, que le cas du Maroc illustre les limites des Accords bilatéraux Nord-Sud conclus entre économies de taille et de niveau de développement très différents. Ils tendent à produire des résultats déséquilibrés, même sur le long terme.
Dans leur réflexion, les experts s’interrogent : «À l’heure où l’intégration régionale africaine s’accélère, ce constat pose une question stratégique claire : le libre-échange bilatéral peut-il être un levier de développement sans transformation profonde de l’appareil productif ?» L’expérience marocaine suggère, selon le Think Tank, que la réponse est loin d’être évidente.
