L’AMI s’adresse aussi bien aux opérateurs nationaux qu’internationaux. Ils auront pour mission de sélectionner les startups marocaines selon des critères prédéfinis et de les accompagner dans leur développement. Autre point : ils seront également chargés de gérer et de distribuer les subventions destinées à ces startups telles que la bourse de vie, la bourse d’incubation ou encore les prêts d’honneur. Que vise cette nouvelle initiative ? «Offrir un accompagnement structuré et personnalisé aux startups à chaque étape de leur développement tout en renforçant leurs compétences entrepreneuriales et en les aidant à atteindre leurs objectifs», explique la tutelle.
Durant la même période, soit en octobre dernier, le département en charge de la Transition numérique annonçait qu’un total de 240 millions de dirhams avait été alloué pour les achats auprès des startups marocaines ou celles disposant d’une base de production au Maroc dans le secteur éducatif.
Cette somme représente le budget sur lequel se sont entendus la tutelle, son confrère de l’Éducation nationale et la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG). L’annonce avait été faite lors de la 6e édition de l’African Digital Summit organisé par le Groupement des annonceurs du Maroc (GAM).
Lors de cette manifestation, un énième appel au soutien aux jeunes entreprises innovantes marocaines a été lancé par le ministère. Un appel «à faire confiance aux startups locales considérées comme des moteurs essentiels de l’innovation, de la croissance et de la transformation numérique du Maroc». L’occasion de rappeler à l’assemblée, s’il le fallait encore, que l’un des objectifs de la stratégie «Digital Morocco 2030» est de soutenir les startups tout au long de leur parcours «en leur garantissant un financement pérenne, un accompagnement ciblé et des infrastructures d’incubation renforcées».
La multiplication de ces appels pourrait en dire long sur l’environnement dans lequel semblent péniblement évoluer les jeunes acteurs de l’innovation dans un Maroc qui se veut champion numérique. À lire les différentes analyses qui se sont intéressées à ce sujet, chez nous et hors de nos frontières, le chemin d’une startup vers le succès et la pérennité de son activité est sinueux malgré la mise en place de différents programmes incitatifs.
La startup marocaine n’a pas besoin que d’argent
Sur 100 pays, le Maroc s’est classé 92e dans le Global Startup Ecosystem Index (GSEI) 2024. Il est au 11e rang en Afrique. L’étude, publiée par le cabinet de recherche Startup Blink, mesure les écosystèmes sur la base de trois mesures : le nombre de startups, leur qualité et leur environnement commercial. «L’écosystème des startups du Maroc offre une base abordable et stable pour les entrepreneurs et les startups qui souhaitent cibler le marché nord-africain. Avec une population jeune et talentueuse axée sur la technologie et la connectivité, le Maroc a le potentiel d’être un pôle d’innovation solide dans la région», expliquent les auteurs.Le think tank Startup Blink évoque Gitex Africa dans son rapport, «le plus grand événement technologique de la région attirant PME, startups, codeurs, investisseurs et universitaires pour de nouvelles opportunités». Il rappelle aussi que «les entrepreneurs marocains ont bénéficié d’un certain soutien du gouvernement avec des défiscalisations pour les startups et l’initiative Maroc PME pour promouvoir les petites et moyennes entreprises». Il évoque, par ailleurs, d’autres initiatives telles que MoroccoTech, le Fonds Innov Invest ou encore l’Impact Lab.
Ceci demeure, semble-t-il, insuffisant. Startup Blink estime que l’écosystème national des startups reste confronté à des obstacles importants qui limitent la croissance : «Problèmes économiques et sociaux (dont le faible accès à l’éducation et aux soins de santé), l’inégalité genre et un financement et une législation de démarrage inadéquats». Le même son de cloche revient en partie chez les chercheurs marocains qui se sont penchés sur ce sujet à l’image de Mohammed Al Maache et Mimoun Derraz, respectivement professeur et doctorant à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Mohammed 1er d’Oujda. Ils déplorent notamment que peu d’incitations fiscales soient accordées aux startups dans leur étude nommée «Les grands piliers d’un écosystème des Startups marocaines dynamique et innovant : État des lieux et recommandations». Elles ne disposent pas d’un cadre fiscal qui leur soit propre et qui soutienne leur croissance. Ils insistent aussi sur la potentialité du marché et l’adéquation entre les besoins de ce dernier et le service ou produit que souhaite vendre une jeune entreprise innovante.
Au niveau du capital humain, «le programme d’études des jeunes marocains n’est pas fait pour stimuler l’entrepreneuriat», indiquent-ils. Il est aussi question de culture, une donnée difficilement quantifiable. Les deux universitaires plaident pour la banalisation d’une attitude positive envers l’échec et de la «riscophilie» (l’amour du risque). Des aspects de la culture entrepreneuriale, nous disent-ils, «qui doivent être instaurés et préservés et non pas rejetés». Ainsi, «les entrepreneurs doivent être encouragés, soutenus et récompensés pour leur prise de risque». En somme, si la volonté des pouvoirs publics semble bien réelle, bien du chemin reste encore à faire en termes de réglementation dans son sens large.
Entretien avec le président de la Fédération des technologies de l’information, de télécommunication et de l’offshoring (APEBI)
Redouane El Haloui : «La PME Tech marocaine ne demande pas d’argent, mais des marchés»
Le Matin : Avec le changement à la tête de la tutelle, à savoir le ministère de la Transition numérique, doit-on s’attendre à un changement dans la stratégie «Digital Morocco 2030» ?
Redouane El Haloui : Il faut d’abord préciser que la tutelle, c’est celle du Chef du gouvernement, qui préside le Comité national de développement numérique. Lors de la réunion tenue en avril dernier, les acteurs de la stratégie ont validé tous les points qui étaient encore en suspension depuis deux ans. Le ministère a pour sa part un rôle d’exécution. Aujourd’hui, nous sommes tous en accord avec cette stratégie. Il s’agit, à présent, d’exécuter ce qui est inscrit. Elle est composée de chiffres et d’indicateurs avec des objectifs précis.
À la question de savoir comment s’annonce la suite au niveau opérationnalisation avec l’arrivée de la ministre, je peux simplement dire à ce jour qu’il y a eu une ministre qui a travaillé et co-construit cette stratégie avec l’ensemble des acteurs. Un travail colossal a été fourni pour fédérer autour de cette stratégie et qui a abouti à sa signature le 25 septembre dernier. Avec le changement à la tête du département de la transition numérique, nous sommes convaincus que l’actuelle ministre aura une vision opérationnelle et qu’elle va exécuter cette feuille de route dans laquelle nous sommes engagés pour atteindre les objectifs qui sont mentionnés dans la stratégie digitale.
Ces objectifs, pour la partie outsourcing et digital export, indiquent notamment de passer à 270.000 emplois d’ici 2030. Il y en existe d’autres qui se rapportent par exemple à la connectivité et à l’amélioration de la couverture réseau pour couvrir 1.800 localités. Nous avons la partie talent avec 100.000 talents numériques, le volet startup avec un objectif à atteindre de 3.000 startups et d’une à deux licornes d’ici 2030.
Pourquoi le secteur ne dispose-t-il toujours pas d’observatoire ?
Ce mot est «lâche». De quoi parle-t-on exactement ? D’un observatoire d’innovation, de compétences, de connectivité ? Aujourd’hui, il existe un comité national pour le développement numérique créé par décret. Selon moi, ce comité assure déjà un rôle de suivi. La notion d’observatoire est plus liée aux compétences. À ce sujet, l’adéquation entre l’offre de formation et les besoins des professionnels est inscrite noir sur blanc dans la stratégie. C’est un point très important parce que l’avenir est incertain.
L’intelligence artificielle (IA) est en train de bousculer les métiers. Il est important pour nous, Maroc, d’être en mesure de savoir quels sont les métiers qui arrivent de manière à travailler d’une manière agile avec l’ensemble des acteurs de la formation. Nous ne pouvons donc pas parler d’observatoire de manière globale. C’est une notion trop large qui englobe le numérique, la connectivité, les startups, la PME, l’offshoring... Si on creuse un peu plus dans le segment des PME Tech par exemple, nous trouverons les distributeurs, les éditeurs de logiciels, les intégrants... C’est une véritable nébuleuse.
Un opérateur télécom n’est ni une PME Tech ni une startup.
Tous ont des centres d’intérêt différents. Mais nous avons un dénominateur commun, c’est le numérique, cet outil digital. Essayons de piloter ce qui a été décidé. Nous avons besoin de connectivité, de Data Centers et de compétences. Ce qui est inscrit dans la stratégie pour ce qui est de l’observatoire n’est pas urgent. Mettons d’abord en place des actions concrètes. Commençons à parler «terre à terre». Après, nous pourrons prendre de la hauteur.
Trouvez-vous normal que dans un pays qui se veut être numérique que nous ne soyons pas capables d’acheter des applications sur Play Store et App Store ? Un compte bancaire en devises avec une dotation de 15.000 dirhams, est-ce suffisant ? Aujourd’hui, les gens veulent Netflix, des plateformes de streaming... nous ne pouvons pas continuer à bricoler.
Prenons l’exemple de la Chine qui a développé WeChat. Les Chinois peuvent absolument tout payer avec : eau, électricité, hôtel, billet d’avion... Pourquoi le citoyen marocain devrait-il passer par un compte en devises ? Nous avons en plus de cela des contraintes de réserves de devises, alors que nous avons le digital. C’est un outil très puissant avec lequel nous pouvons faire des miracles à même de simplifier la vie du citoyen.
«Digital Morocco 2030» requiert le développement des compétences dans le numérique. Au-delà d’augmenter le nombre de diplômés, il est aussi question de reconversion professionnelle. Sommes-nous en manque criant de ressources humaines dans le secteur ?
Il est important de comprendre le contexte de l’époque que nous vivons. L’Internet a rendu l’information accessible. Il l’a démocratisée. Après l’Internet est venu le tour des smartphones. L’information est devenue d’autant plus proche. Puis nous avons interconnecté le monde avec les réseaux sociaux. Ceci a créé des opportunités business aussi parce que cela a rapproché le commerce et a permis de vendre sur toute la planète. En somme, la Terre s’est rétrécie. Le monde est aussi devenu plus complexe. Des opportunités business engendrent d’autres opportunités business. Les besoins s’en vont en grandissant. Il y a eu donc un besoin énorme de développer des solutions et des applications.
L’IA est en train de simplifier ces outils et va permettre, à terme, de générer du code et des applications. Dans le même temps, et c’est paradoxal, le métier d’informaticien devient de plus en plus complexe. Il est celui qui va mettre en œuvre ces solutions, mais il devra pour cela composer avec énormément d’outils sur le marché.
Il y aura toujours de nouveaux besoins qui seront de plus en plus complexes, mais qui vont faciliter la vie de l’être humain. Nous aurons donc des ingénieurs dont la compétence va se complexifier. Ils devront être bons en cybersécurité, en développement, sur les métiers des clients avec lesquels ils travaillent...
Nous avons donc besoin de compétences aujourd’hui. Mais on ne les connaît pas encore. Et c’est la raison pour laquelle nous insistons énormément sur l’adéquation entre toutes les offres de formation et les besoins des professionnels. Il est donc important d’avoir une gouvernance qui va permettre de piloter les besoins. Les acteurs de la formation doivent être sensibilisés à tous ces profils nouveaux qui vont entrer en scène. Nous avons besoin de coaches en ligne en intelligente artificielle, de développeurs... L’enseignement supérieur et l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) doivent être à l’écoute des professionnels. La gouvernance doit être intelligente pour être efficace. Il n’est plus possible, aujourd’hui, d’avoir un diplômé bac+5 qui ne trouve pas de travail.
Au chapitre de l’outsourcing et du digital export, le Maroc a enregistré un bond de 12 places entre 2021 et 2023 dans le Kearney Global Services Location Index ainsi qu’un record sur les recettes à l’export avec 17,9 milliards de DH en 2023, soit une progression 14% en un an. Sommes-nous bien partis pour continuer sur cette lancée ?
J’en profite pour revenir sur ce que nous disions avant sur les besoins en compétences. Il est tout aussi important de former des compétences dans le numérique que de former des entrepreneurs.
Rappelons que la Stratégie digitale a été faite pour les citoyens et qu’il faut mettre à leur disposition des outils qui vont faciliter leur quotidien. Mais elle a aussi été faite pour les entreprises pour qui le digital est un véritable levier de productivité. Si nous y réfléchissons de manière vertueuse, nous devons nous poser la question de qui va créer ces outils. La réponse est simple : ce sont les PME Tech marocaines.
Pourquoi ? La majorité des pays qui sont passés par cette phase-là ont pris conscience qu’une fois que la transformation digitale sera actée chez eux, ils devront penser à exporter leur savoir-faire. Il est important d’investir dans la PME Tech. Il faut aussi savoir que cette dernière ne demande pas d’argent. Elle demande des marchés. Nous ne devons plus déléguer aux entreprises multinationales. Ainsi seulement nous pourrons créer de la valeur.
Il ne faut pas prendre le risque qu’elles disparaissent. Cela fait 35 ans qu’elles existent et se battent. Elles ont toujours eu une imagination débordante pour pouvoir s’en sortir. Aujourd’hui, nous avons une occasion en or avec cette stratégie de pouvoir vraiment propulser ce secteur et créer de véritables champions nationaux. Voulons-nous développer l’outsourcing ? Alors, n’oublions pas qu’il y a les PME qui ont déjà des portefeuilles clients, qui font du chiffre d’affaires et qui sont innovantes. Si elles bénéficient d’un bon accompagnement, elles peuvent être aussi surprenantes qu’une startup. Le modèle startup existe depuis plus de 20 ans, mais je me pose une question : ne s’est-il pas essoufflé ? Dans un monde multipolaire où l’argent ne coule plus autant à flots qu’avant, dans un monde où l’investisseur mesure plusieurs fois les risques avant d’investir, aurons-nous réellement la capacité d’avoir une ou deux licornes d’ici 2030 ? Je me dis qu’en tant qu’investisseur, si on me propose de passer par une PME Tech bien ancrée dans son segment, j’investis, j’augmente sa force commerciale et sa visibilité et peut-être que ma mise sera multipliée par trois, quatre ou cinq. Nous devrons vraiment nous pencher sur ce modèle.
L’APEBI a créé, aux côtés de sept autres pays africains, la Federation of African Digital Businesses (FADB). Quel rôle joue-t-elle dans la réalisation des objectifs de la stratégie «Digital Morocco 2030» ?
Cette Fédération a été créée à l’initiative de l’APEBI, chef de file, en concertation avec les sept autres pays. Arrêtons-nous sur les chiffres : objectif de création de 270.000 postes en 6 ans, soit le double de ce dont nous disposons aujourd’hui. Comment allons-nous nous y prendre ?
L’implication du secteur privé fait défaut. Il y a un véritable effort de promotion à faire de la part des pouvoirs publics marocains et ces derniers doivent embarquer le secteur privé dans leur démarche.
Développer des affaires de manière pragmatique et stratégique nous fait encore défaut. Si le secteur privé se démène pour y arriver seul, cela peut altérer la confiance de l’investisseur étranger qui va automatiquement se poser cette question : cet entrepreneur marocain qui cherche de nouveaux marchés sans appui des autorités de son pays est-il réellement bien traité et considéré chez lui ?
Nous avons les moyens financiers et nous sommes capables de développer des opportunités business. Nous vendons le Maroc. Mais nous devons nous dire que le Maroc est une seule entreprise et que nous devons tous travailler ensemble.
L’idée de créer cette Fédération africaine a vu le jour en 2018. Nous avons utilisé le Gitex comme une plateforme, un tremplin, pour lancer cette initiative. Le siège se trouvera au Maroc. Cette structure sera un catalyseur pour nous positionner comme un véritable hub.
Nous avons conclu un partenariat en septembre dernier avec SmartAfrica, la plus grande ONG africaine présidée par le Chef de l’État rwandais, Paul Kagame, et qui regroupe 33 pays. Tous réfléchissent aux défis du contenu africain, notamment sur tous les aspects digital, numérique, e-gov, connectivité, Data Center. Ce sont des opportunités business pour nous.