Au cours des deux jours, l'effervescence était palpable, marquée par plus de 2.000 rencontres bilatérales (B2B) et inter-étatiques, ainsi que neuf panels thématiques et cinq présentations nationales. Les discussions ont couvert des thèmes fondamentaux pour l'avenir des deux régions : de la souveraineté alimentaire et sanitaire à l'énergie, en passant par les mines, les infrastructures de transport et la logistique.
Le premier jour a mis en avant les leviers du développement durable : agriculture, sécurité alimentaire, énergie propre, entrepreneuriat féminin et innovation technologique. Une session particulièrement remarquée, dirigée par la Première Dame de Turquie, Emine Erdoğan, a rassemblé des femmes d’affaires africaines et turques autour du thème du leadership féminin, soulignant leur rôle moteur dans la croissance inclusive.
Le deuxième jour, le ton s’est fait plus technique : financement des infrastructures, industrialisation locale, transformation numérique et santé ont dominé les échanges. Des responsables d’agences d’investissement, des représentants de banques régionales et des dirigeants de multinationales ont débattu de la meilleure manière d’adapter les partenariats public-privé aux réalités africaines. Entre deux sessions, les signatures de protocoles d’accord se sont multipliées, scellant de nouveaux partenariats dans les domaines du transport aérien, de la formation, du textile ou encore du médical.
Les principaux messages véhiculés par les dirigeants étaient clairs : le partenariat doit être fondé sur les principes d'égalité et de bénéfice mutuel. L'Afrique, un continent au potentiel économique immense (plus de 1,5 milliard d'habitants et un revenu national brut dépassant 3,5 billions de dollars), est considérée par la Turquie comme un acteur clé de l'économie mondiale future. Les objectifs commerciaux sont ambitieux : le volume des échanges, qui a déjà été multiplié par sept pour atteindre 40 milliards de dollars fin 2024, est désormais ciblé à 50 milliards de dollars d'ici 2028, avec une vision à long terme de 75 milliards de dollars. Au-delà du commerce, les appels se sont concentrés sur la nécessité d'investissements axés sur la création d'emplois, le transfert de technologie et le soutien à l'industrialisation en Afrique.
Les voix de la clôture : ambitions, solidarité et transformation comme mots d’ordre
Le Président turc Recep Tayyip Erdoğan a clôturé le forum en saluant une édition fructueuse et porteuse d’espoir. Il a exprimé sa grande satisfaction de voir le TABEF, lancé en 2016, devenir un espace d’action et de résultats tangibles. «Ce forum est devenu un lieu où les décisions se transforment en projets», a-t-il affirmé, appelant à renforcer la coopération sur les bases du respect mutuel et du modèle gagnant-gagnant. Le Chef de l’État turc a souligné les liens historiques entre son pays et le continent africain, mettant en avant les progrès réalisés : 15 milliards de dollars d’investissements directs, avec plus de 2.000 projets réalisés totalisant 97 milliards de dollars, créant ainsi plus de 100.000 emplois pour les citoyens africains.
Le Président Erdoğan a également abordé la dimension humaine et politique du partenariat, insistant sur le fait que la Turquie avait toujours partagé son expérience sur la base de l'égalité et du respect mutuel, sans jamais porter «l’humiliation et la tache du colonialisme». Évoquant ses plus de 50 visites sur le continent, il a partagé une observation poignante : «Bien que la couleur de nos visages et de nos yeux soit différente, la couleur de nos larmes est la même». La Turquie, a-t-il insisté, ne vient pas en Afrique en donneur de leçons, mais en partenaire sincère, animé par une fraternité ancienne. «Si tu veux aller vite, vas-y seul. Si tu veux aller loin, allons-y ensemble», a-t-il lancé, citant un proverbe africain devenu le fil conducteur de son discours. Annonçant la tenue, en 2026, du 4ᵉ Sommet de Partenariat Turquie-Afrique, Erdoğan a affirmé vouloir inscrire cette coopération dans une logique de long terme, structurée autour de la santé, de l’éducation, de la logistique et des infrastructures.
Dr Ömer Bolat : «Nous visons 50 milliards de dollars de volume commercial d'ici 2028»
Dans un discours dense, le ministre turc du Commerce, Ömer Bolat, a retracé les deux décennies de politique africaine de la Turquie. De 12 ambassades en 2003 à 44 aujourd’hui, de 5 milliards d’échanges commerciaux à près de 40 milliards en 2024, la progression est spectaculaire. «Nous avançons sur la base de l’égalité, du respect mutuel et de la création d’avantages réciproques», a-t-il déclaré. Le responsable turc a insisté sur les objectifs quantifiés du commerce bilatéral : «Le volume des échanges Turquie-Afrique a été multiplié par 7. Cette année, nous atteignons, si Dieu le veut, 40 milliards de dollars, et nous visons 50 milliards de dollars de volume commercial d'ici 2028». Le ministre a également insisté sur les domaines prioritaires identifiés au forum : sécurité alimentaire, santé, énergies renouvelables, industrialisation, innovation et entrepreneuriat féminin. Il a également rappelé le rôle central du secteur privé, moteur du partenariat Turquie-Afrique.
Nail Olpak : «Notre mission est de construire ensemble des coopérations durables»
Le président du DEİK a dressé un bilan record : des milliers d’entretiens d’affaires, une participation sans précédent de délégations ministérielles et un engagement renouvelé pour porter le volume du commerce Turquie-Afrique à 75 milliards de dollars dans les prochaines années. Pour atteindre ces sommets, il a insisté sur le développement des infrastructures logistiques, l'augmentation des opportunités de financement et des services bancaires, et l'intensification de la coopération dans des domaines transformateurs tels que la technologie, les startups et l'innovation. Il a fièrement mentionné le succès de la Turquie dans les services, notant que 60.000 des 350.000 étudiants internationaux en Turquie sont des «frères africains».
Paul Mashatile : «Le continent africain détient 30% des minéraux mondiaux»
M. Mashatile a exposé les quatre priorités de l'Afrique, insistant notamment sur la nécessité de renforcer la capacité de réponse aux catastrophes, de soutenir les pays à faible revenu, d'accélérer la transition énergétique, et de mobiliser les minéraux critiques pour une croissance inclusive. Le Vice-Président a mis en lumière la richesse du continent, qui détient 30% des minéraux mondiaux (y compris le platine, l'or et le cobalt), avec pour ambition d'intégrer pleinement ces ressources dans l'économie. Il a également appelé à une meilleure exploitation de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qu’il considère comme la clé pour une intégration commerciale profonde. M. Mashatile a par ailleurs encouragé les entreprises turques à investir dans l’énergie, les infrastructures et les technologies, tout en soutenant la formation et l’emploi des jeunes. «Nos partenariats doivent s’accompagner de transfert de compétences et de création d’emplois durables», a-t-il insisté.
S'exprimant comme la voix du secteur privé africain, Dre Amany Asfour, présidente du Conseil des affaires de l’Afrique, a clairement articulé les attentes africaines. Elle a affirmé que le partenariat avec la Turquie devait être «basé sur l'investissement, le transfert de technologie, la valorisation et l'industrialisation». Pour elle, l’enjeu est clair : transformer les ressources africaines sur place pour générer de la richesse locale. «Nous exportons pour 5,7 milliards de dollars de fèves de cacao, alors que l’industrie du chocolat pèse 217 milliards. Il est temps de transformer nos ressources en produits “Made in Africa”»,a-t-elle martelé.
À cette occasion, elle a appelé le secteur privé turc à investir dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine, un marché de 1,4 milliard de personnes. Elle a également lancé un appel urgent pour des investissements dans la santé, citant que 70% des patients en Afrique meurent faute d'équipements médicaux essentiels. Son défi final aux dirigeants africains fut de viser non pas une Afrique «libérée de la maladie, de la pauvreté et de l’analphabétisme», mais une Afrique «en bonne santé, riche et bien éduquée».
Francisca Tatchouop Belobe, commissaire de la Commission de l'Union africaine (UA) pour le développement économique, le commerce, le tourisme, l'industrie et les mines, a souligné la jeunesse et le dynamisme de l'Afrique, qui atteindra 40% de la population mondiale d'ici 2050. Elle a rappelé que l'UA travaillait sans relâche pour la prospérité du continent via l'Agenda 2063. Mme Belobe a, en outre, souligné la qualité du dialogue Turquie-Afrique, fondé sur la confiance et la continuité, tout mettant en lumière l'énorme potentiel de la ZLECAf, qui est destinée à devenir la plus grande zone de libre-échange du monde, avec un marché projeté à 6,7 billions de dollars d'ici 2035. «Ce que l’Afrique attend, ce n’est pas la charité, mais des partenariats structurants qui créent de la valeur locale et soutiennent la transformation industrielle», a-t-elle asséné. Dans ce sens, elle a invité les investisseurs turcs à s’engager dans les chaînes de valeur régionales, notamment dans les énergies propres, la transformation minière et l’agro-industrie, tout en veillant à l’inclusion des femmes et des jeunes dans ces dynamiques.
