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Une partie du tissu productif risque la disparition (Fatima Zahra Bouzoubaa)

Alors que le débat public se concentre sur l’attraction de nouveaux investissements, Fatima Zahra Bouzoubaa, Directrice exécutive investissement et développement chez Valoris Capital, met en lumière un angle mort majeur : des centaines d’entreprises marocaines arrivent à un tournant générationnel critique. Sans transmission anticipée ni gouvernance modernisée, une partie du tissu productif risque la disparition, un choc économique bien plus profond que les variations conjoncturelles. C'est ce qu'elle a estimé lors de son passage sur le plateau de « L’Info en Face ».

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Fatima Zahra Bouzoubaa souligne que le capital est potentiellement au service de la croissance, mais que sa mise en mouvement dépend de deux facteurs clés : la confiance et la prévisibilité. « Un investisseur rationnel évalue un couple rendement-risque. Et dans le risque, la prévisibilité joue un rôle fondamental », rappelle-t-elle. Selon la directrice, une part importante des liquidités disponibles reste orientée vers des actifs jugés plus sûrs, tels que l’immobilier ou le marché financier, au détriment de l’économie productive.

Si certains secteurs économiques sont jugés porteurs, ils ne bénéficient pas encore d’un climat d’investissement suffisamment rassurant. Ce n’est pas faute d'attractivité. Mais la perception du risque, notamment la lenteur des délais administratifs, ou l’instabilité réglementaire, incite les investisseurs à la prudence.

Le capital existe, mais son efficacité fait débat

L’idée selon laquelle le Maroc souffre d’un manque de capital est pour elle discutable. Elle avance plusieurs chiffres pour illustrer son propos : « Les actifs bancaires représentent environ 100% du PIB, ce qui est dans la moyenne de l'OCDE. Le financement inter-entreprises avoisine 30% du PIB, même s’il est souvent sous la forme de délais de paiement non heureux. » En parallèle, l’amnistie fiscale a permis de libérer une part importante de liquidités, dont une partie s’est orientée vers la Bourse et l’immobilier.

Mais tout cela ne suffit pas à nourrir durablement l’économie réelle. La question n’est donc pas seulement celle de la quantité de capital, mais de sa qualité et de son efficience. « Ce qui manque aujourd’hui, c’est l’efficacité de ce capital, son fléchage vers les bons projets, les bons secteurs, avec un impact mesurable en termes de création de richesse et d’emplois de qualité », insiste-t-elle.

Le chantier de la transparence, une exigence collective

Un autre levier fondamental de la confiance est la transparence fiscale, comptable, et de gouvernance. Sur ce point, Bouzoubaa n’élude rien : « Il faut s’acquitter de l’impôt dû. On profite tous d’infrastructures financées par les deniers publics. Si on crée de la valeur, il faut qu’une partie retourne à la collectivité. » Elle reconnaît cependant que l’administration fiscale exerce une pression accrue sur les entreprises les plus visibles, ce qui pose un problème d’équité.

La transparence ne se résume pas à une inflation de normes. Il ne s’agit pas de légiférer pour le plaisir de légiférer, mais d’assurer un cadre clair, équitable, et suffisamment souple pour encourager l’initiative.

L’enjeu caché : la transmission des entreprises familiales

Au-delà du flux d’investissements neufs, un autre sujet stratégique mérite l’attention : celui de la transmission des entreprises familiales. « Beaucoup d’entreprises arrivent à leur troisième génération. Sans planification de la relève, le risque de disparition est réel », avertit Bouzoubaa. Selon les études disponibles, plus de 50% des entreprises d’une certaine taille seraient concernées par des enjeux de reprise ou de gouvernance.

Ce phénomène invisible mais massif mobilise aujourd’hui une part importante des fonds d’investissement. « Même quand on parle de capital développement, c’est souvent l’antichambre de la transmission. Il s’agit de restructurer, professionnaliser, valoriser, parfois avant même d’envisager une cession. »

L’innovation et la recherche : le parent pauvre de l’investissement privé

L’une des faiblesses structurelles de l’investissement au Maroc demeure la faible part consacrée à la recherche, à l’innovation et au capital humain. « C’est une question de maturité et de perception des priorités », juge Bouzoubaa. Trop souvent, les dirigeants d’entreprises peinent à dégager des marges de manœuvre pour financer des projets de long terme, quand ils sont pris à la gorge par des difficultés de trésorerie ou une concurrence déloyale.

L’experte défend néanmoins une logique d’investissement plus stratégique, citant en exemple l’UM6P ou l’IRESEN, deux institutions à capitaux publics ayant réussi à nouer des partenariats avec des acteurs privés ou internationaux pour financer la recherche appliquée.

Subventions, fiscalité, incitations : mieux allouer les ressources

La multiplication des dispositifs publics (Fonds Mohammed VI, nouvelle charte de l’investissement, CRI, subventions à l’investissement) soulève une autre interrogation, celle de la cohérence et de l’efficacité. Sur ce point, Bouzoubaa se montre nuancée : « Certains secteurs n’existeraient pas sans subventions. Mais il ne faut pas en faire un réflexe automatique. Toute aide publique doit s’accompagner d’une exigence de résultats et de transparence. »
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