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«La Conférence mondiale sur le travail des enfants est une opportunité d’ouverture sur d’autres expériences»

L’action appelée «Transferts de fonds et le travail domestique des enfants au Maroc» promue par l'Institut national de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF) a été choisie par le secrétariat exécutif de la troisième Conférence mondiale sur le travail des enfants, pour être présentée en un affichage interactif des bonnes pratiques à cet événement.
Omar El Kindi, président de l'Association INSAF, revient sur la valeur ajoutée de cette sélection et sur le travail accompli par son association pour la lutte contre le travail des mineurs.

«La Conférence mondiale sur le travail des enfants est une opportunité d’ouverture sur d’autres expériences»
Omar El Kindi président de l'Association INSAF

Le Matin : Tout d'abord, que représente pour vous le fait d'être sélectionné pour être présenté en un affichage interactif des bonnes pratiques à la troisième Conférence mondiale sur le travail des enfants ?
Omar El Kindi : la troisième Conférence mondiale sur le travail des enfants, qui se déroulera du 8 au 10 octobre à Brasilia, a pour objectifs d'évaluer les mesures prises en matière de lutte contre le travail des enfants, d'approfondir l'échange d'expériences entre pays et régions et de consolider l'engagement des gouvernements et des partenaires sociaux pour l'accélération de l'élimination des pires formes de travail des enfants. Ce sera l'occasion d'évaluer les progrès accomplis depuis l'adoption de la Convention 182 par l’OIT concernant «l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination», ainsi que de proposer des mesures pour accélérer l'action vers l'objectif de 2016, en tenant compte des expériences les plus réussies en cours dans les cinq continents. 193 pays y sont invités en délégations comprenant des représentants du gouvernement, du patronat, des syndicats ouvriers et des ONG. C’est, donc un immense forum d’échanges d’expériences et de développement de partenariats.
Figurer parmi les «expériences réussies» retenues par le Comité d’organisation supervisé par l’OIT est pour INSAF et pour le collectif associatif «Pour l’éradication du travail des petites bonnes» est une forme de reconnaissance de la capacité de réaliser des actions concrètes, efficaces et innovantes pour «lutter contre l’exploitation des filles mineures dans le travail domestique». C’est aussi pour nous une opportunité d’ouverture sur d’autres expériences et d’autres partenaires pour inspiration, synergie et stimulation de notre motivation.

L'association INSAF est plus connue pour son travail en faveur des femmes en détresse. Que faites-vous, concrètement en matière de lutte contre le travail des enfants ?
Notre Association INSAF, dont la vision est de «contribuer à l’avènement d’une société qui garantit à chaque femme et à chaque enfant le respect de leurs droits, dans un environnement digne et responsable» travaille, suivant trois axes stratégiques. Premièrement, la prévention de l’abandon des enfants nés hors mariage par la protection, le soutien, l’autonomisation et la réinsertion socioprofessionnelle des mères célibataires. Deuxièmement, la lutte pour l’éradication du travail domestique des filles mineures par leur prise en charge et leur réinsertion en famille et à l’école. Troisièmement, la sensibilisation à la défense et à la promotion des droits des femmes et des enfants, par l’organisation d’actions, nous-mêmes ou dans le cadre de collectifs associatifs.
Notre action au profit des «petites bonnes» consiste à les identifier dans leurs localités (douars) d’origine, organiser leur retrait avec leurs parents, accompagner leur retour en famille et à l’école et assurer leur suivi social et pédagogique. Parallèlement, nous organisons des actions de sensibilisation des populations et des acteurs sociaux et la mobilisation/implication des associations locales. À ce jour, nous travaillons dans les provinces Chichaoua et El Kelaâ des Sraghnas et bientôt à El Haouz. Nous avons accompagné plus de 350 filles, dont quatre ont obtenu leur baccalauréat en 2012 et cette année.

Selon vous, pourquoi le phénomène des petites bonnes persiste-t-il toujours malgré les nombreux efforts fournis pour l'éradiquer ?
Cela tient à plusieurs causes que je pourrais résumer en trois ensembles interconnectés. D’abord, des causes socio-économiques : la pauvreté, la vulnérabilité, l'analphabétisme des parents et leur ignorance des droits de l’enfant et des obligations légales. Deuxièmement des causes politiques (publiques) : l'absence de plans de développement intégrés et d’infrastructures scolaires, le désengagement (de fait) des responsables régionaux, locaux et nationaux vis-à-vis du monde rural en général, et des zones les plus pauvres, en particulier. Et enfin des causes règlementaires : l'absence de dispositions et de moyens pour la mise en œuvre des textes sur la scolarisation obligatoire et sur l’interdiction du travail des enfants de moins de 15 ans. Par ailleurs, je vous rappelle, ce que chacun sait, qu’il existe dans notre pays, bientôt 60 ans après l’indépendance, un marché florissant des «petites bonnes» soutenu par une forte demande urbaine (de famille à grande majorité aisée et instruite) et par un réseau d’intermédiaires (samsara), et dont près de 80 000 fillettes en sont victimes.

Parlez-nous un peu de l'étude concernant le travail des enfants que vous avez réalisée ?
L’étude commanditée, fin 2010, par le collectif associatif «Pour l’éradication du travail des petites bonnes» avait pour objet de dresser un état des lieux de la norme en matière de protection de l’enfant au niveau international et national, une étude quantitative et qualitative de terrain. Elle a permis de confirmer l’inquiétante ampleur du «phénomène», l’immense détresse des «petites bonnes» et la préoccupante contradiction entre les quelques textes existants, dont certains depuis 1963 (un demi-siècle !), et la pratique qui en est faite dans la vie réelle.
Cette étude a permis, également, au collectif d’élaborer un mémorandum qui revendique, en plus d’une politique publique intégrée pour réduire les causes, de prendre en charge les milliers de fillettes actuellement en situation de travail domestique, par la promulgation d’une loi spécifique qui comprend le retrait des «petites bonnes», leur protection, leur réinsertion et la «réparation» des effets de leur exploitation, souvent depuis l’âge de 8 ans et, parfois moins.
Nous partageons l’avis de celles et de ceux qui nous disent que des progrès ont été réalisés en matière de législation. Cependant, nous pensons que ce qui nous fait défaut et qui constitue un facteur aggravant est l’absence de politique intégrée de lutte contre le travail des enfants, en général, et des «petites bonnes», en particulier.

D'après vous, doit-on appliquer des sanctions contre les familles des enfants qui travaillent ou contre les employeurs ?
Les familles des «petites bonnes» subissent, aujourd’hui, une double peine. Elles vivent, pour la grande majorité, dans le dénuement et la privation de tout et sont amenées à «louer» leurs fillettes. Ce serait leur faire injure que de croire qu’elles ont moins de sentiments d’amour et de tendresse que vous et moi. Nous pourrons les juger quand l’État aura rempli tous ses devoirs vis-à-vis d’elles. À titre d’exemple, savez-vous que dans la province de Chichaoua, sur les 19 communes où nous avons travaillé, le phénomène a tout simplement disparu ? C’est donc possible et les familles y sont préparées. Quant aux familles «employeuses», elles doivent être sensibilisées, puis punies. Par contre, «mon avis personnel» est qu’il faut les condamner à contribuer matériellement à la «réparation» des dégâts causés aux fillettes. Il ne sert à rien de mettre une mère de famille en prison pour avoir employé une mineure. Il faut lui infliger une amende qui alimente une caisse de «réparation» pour financer les centres d’accueil après retrait et les prestations qui suivent le long du processus de réinsertion. Il appartiendra aux juristes de trouver la forme juridique qui convient. Par contre, les intermédiaires qui font commerce de la «traite des filles mineures» doivent être punis, avec la plus grande sévérité. Je ne suis pas pour la privation de liberté ; mais dans le cas des «samsara», je suis tenté de réclamer leur emprisonnement, en plus des sanctions pécuniaires.

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