Des dizaines de millions de diabétiques à travers le monde rencontrent des difficultés pour avoir accès à l’insuline à un prix abordable. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le diabète, célébrée hier dimanche 14 novembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que les prix élevés empêchent de nombreux diabétiques d'avoir accès à la précieuse hormone qui permet de contrôler leur maladie, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire mais aussi dans des pays où les prix des médicaments sont peu régulés comme aux États-Unis par exemple.
«Si les neuf millions de malades atteints de type 1, dont la survie dépend de l'insuline ont en général accès à l'hormone, c'est le cas pour seulement la moitié des 63 millions de malades atteints du type 2, qui en ont besoin», a souligné l’organisation onusienne. Heureusement, cette situation ne concerne pas le Maroc, à en croire le Pr Jamal Belkhadir, endocrinologue, diabétologue, président de la Ligue marocaine de lutte contre le diabète et président de la Fédération internationale du diabète Région MENA. «Cette situation n’a jamais existé dans notre pays. L’insuline, animale initialement puis humaine, est gracieusement offerte dans toutes les structures de soins du ministère de la Santé, à travers tout le territoire national», a-t-il assuré. «Cependant, la déclaration de l’OMS est très importante au moment où nous célébrons cette année le centenaire de la découverte de l’insuline.
En effet, et dans de très nombreux pays, notamment en Afrique et en Asie, l’insuline n’est pas toujours disponible. On imagine le sort de ces millions de patients dont la vie dépend de la l‘injection quotidienne d’insuline. Ces problèmes sont rencontrés dans les pays et régions pauvres et les zones de conflits», ajoute Pr Belkhadir. Et dans le cadre des efforts nationaux pour améliorer l’accès aux soins pour les patients diabétiques, l’Exécutif veut donner un coup d’accélérateur à la production locale du traitement du diabète du type 2. Le PLF 2022 prévoit, en effet, la réduction du droit d’importation de 40% à 2,5% sur la metformine hydrochloride. Cet élément constitue une préparation médicamenteuse destinée après transformation à la fabrication de médicaments utilisés dans le traitement du diabète de type 2. Son rôle est de diminuer l’insulino-résistance de l’organisme intolérant aux glucides et de diminuer la néoglucogenèse hépatique.
«La réduction du droit d’importation à cette substance de 40% à 2,5% permettrait d’assurer la production locale des médicaments antidiabétiques et par conséquent, un approvisionnement régulier du marché», lit-on dans le PLF 2022. Il est à rappeler que plus de 420 millions de personnes souffrent actuellement du diabète dans le monde, un chiffre qui a presque quadruplé ces 40 dernières années. L’OMS affirme également que cette maladie cause 1,5 million de décès chaque année, dont 80% surviennent dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Selon les projections de l’OMS, le diabète deviendra la principale cause de mortalité d’ici 2030.
Au Maroc, le ministère de la Santé affirme, dans un communiqué publié à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le diabète, que selon l’enquête nationale Stepwise, menée en 2018 chez les personnes adultes, on estime que 2,7 millions sont diabétiques, dont 49% méconnaissent leur maladie et que 2,2 millions sont pré-diabétiques.
A cela, il faudrait ajouter les 20.000 enfants atteints de diabète. «Les chiffres du diabète au Maroc sont en augmentation régulière chez les personnes âgées de plus de 18 ans. Ainsi, 1 personne sur 5 au Maroc est diabétique ou va le devenir dans le futur», déclare au "Matin", Pr Belkhadir. Par ailleurs, le président de la Ligue marocaine de lutte contre le diabète nous a déclaré qu’en conformité avec le thème de la Journée mondiale du diabète cette année : «Accès aux soins, si pas maintenant, quand ?», l’effort qui doit être accompli au niveau national, réside dans une prise en charge précoce et de qualité du diabétique, ce qui suppose notamment un dépistage précoce chez les personnes à risque. De même, la qualité de l’équilibre du diabète doit être un objectif prioritaire afin d’éviter les complications et l’augmentation des coûts pour le diabétique, sa famille et pour la société.
Recommandations de l’OMS
L’Organisation mondiale de la santé a affirmé que 90% du marché de production de l’insuline est contrôlé par seulement trois groupes pharmaceutiques (Eli Lilly, Novo Nordisk et Sanofi) ; ce qui crée un environnement peu propice à la concurrence, les prix sont insuffisamment régulés et manquent de transparence, les chaînes d'approvisionnement sont trop fragiles et les infrastructures sanitaires souvent mal adaptées. De plus, la recherche est plutôt tournée vers les marchés riches quand 80% des diabétiques se trouvent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
L'OMS, qui est en discussion avec les fabricants, recommande d'augmenter la production d'insuline d'origine humaine et d'augmenter le nombre de producteurs de l'équivalent de synthèse pour faire baisser les prix. L'Organisation recommande aussi de réguler les prix, de promouvoir la fabrication locale pour les régions les moins biens desservis actuellement et de faciliter l'accès aux outils diagnostiques et les appareils de mesure de la glycémie. Selon elle, les fabricants se sont engagés à améliorer l'accès à l'insuline de synthèse et ont accepté de participer à son programme de pré-qualification, ce qui, à terme, doit permettre d'accroître l'offre sur le marché et de faire baisser les prix de l'insuline mais aussi des tests et appareils de mesure.
Impact de la pandémie de Covid-19 sur les patients diabétiques
Selon une étude récente de l’OMS, les services de lutte contre le diabète dans 62% de ses 194 États membres ont subi des interruptions partielles ou totales pendant la pandémie de Covid-19. «Ces difficultés ne font que montrer à quel point il est important de veiller à ce que les services de lutte contre le diabète soient disponibles dans les systèmes de soins de santé primaires et qu’ils puissent résister à des perturbations semblables à celles que la pandémie a entraînées», souligne l’OMS. La pandémie de Covid-19 a exposé au grand jour la vulnérabilité des personnes diabétiques face à d’autres complications médicales, puisqu’elles ont été proportionnellement plus touchées par les formes graves de la maladie parmi les patients hospitalisés.
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Questions au président de la Ligue marocaine de lutte contre le diabète et président de la Fédération internationale du diabète Région MENAPr. Jamal Belkhadir : «Il apparaît primordial de prendre en compte la situation socioéconomique des patients diabétiques»
Quelles sont les causes de l’explosion des cas de diabète dans les pays de la région MENA comme le Maroc ?L’explosion du diabète et de l’obésité dans la Région MENA, et notamment au Maroc est liée à une pluralité de facteurs comme le vieillissement et d’expansion de la population, urbanisation rapide, avec ses corollaires de nouveaux comportements alimentaires, la sédentarité, la dégradation des cadres de vie… Aujourd’hui et au sein de ces pays, ces changements dans les comportements alimentaires ne concernent pas seulement les catégories sociales aisées, puisqu’ils se diffusent à l’échelle de l’ensemble de la société. Il s’agit de signes évidents d’une transition nutritionnelle couplée à un processus d’occidentalisation toujours plus marqué des pratiques alimentaires, particulièrement en milieu urbain. La consommation de produits sucrés et gras à haute valeur énergétique à longueur de journée est un marqueur de ces changements. Ainsi, il importe de souligner qu’une grande partie de l’augmentation de la prévalence et de la morbidité diabétique est évitable si l’on se préoccupe suffisamment de l’alimentation et de l’exercice physique.
Est-ce que les actions menées par le ministère de la Santé et la société civile permettent de lutter efficacement contre ce fléau ?
De grandes avancées ont été obtenues par le travail continu au niveau des structures du ministère de la Santé ainsi qu’au niveau des associations nationales et locales. En effet, les campagnes de dépistage du diabète sont devenues une réalité quotidienne aussi bien au niveau des centres de santé qu’au niveau des campagnes de dépistage du diabète organisées par les associations à l’échelle de tout le territoire national. Compte tenu du caractère silencieux et latent de la maladie dans la grande majorité des cas, ce dépistage constitue un moyen de diagnostic efficace pour une prise en charge précoce de la maladie et par conséquent la prévention des complications du diabète. Il est important de souligner que de grands efforts ont été menés au Maroc dans la prise en charge du diabète.
À travers le programme national de lutte contre le diabète et le plan santé 2025’’, le ministère de la Santé a toujours accordé au diabète et aux maladies non transmissibles une place importante à travers de multiples actions telles que la disponibilité et gratuité de l’insuline et des médicaments de base dans les centres de santé, les efforts de formation continue des médecins généralistes et du personnel infirmier et les efforts d’équipement des centres de santé et notamment les centres de référence du diabète pour la prise en charge des diabétiques.
Aujourd’hui, il importe de développer l’offre de soins en vue d’améliorer l’accès aux services de santé et d’accorder une place de choix à la prévention. La lutte contre le diabète n’est pas l’apanage uniquement du ministère de la Santé. Le rôle des associations scientifiques et des diabétiques constitue un axe fondamental pour le plaidoyer de la lutte contre le diabète et la défense des droits des diabétiques. Par ailleurs, ces associations participent non seulement à l’effort national de prévention et de sensibilisation des diabétiques, de leur entourage et du grand public, mais aussi des décideurs politiques. Beaucoup d’acquis ont été obtenus grâce aux efforts des associations (réduction des prix des médicaments, remboursement des réactifs et des moyens de surveillance, taxe sur les produits sucrés, etc.). Le rôle des médias à ce niveau est très important tant au niveau de la sensibilisation qu’au niveau de la vulgarisation des risques du diabète notamment chez les personnes à risque (parents diabétiques, obésité, maladie cardiaque, hypertension artérielle, diabète gestationnel, symptômes du diabète…).
Le diabète a un impact économique et social sur les patients marocains. Comment ces derniers vivent-ils cette situation ?
L’impact économique et social du diabète est énorme, affectant tout particulièrement les pays en développement. Si rien n’est fait, le diabète menace d’absorber les bénéfices du progrès économique dans le monde entier. La pandémie de la Covid-19 est venue renforcer cette très grande crainte en montrant la vulnérabilité particulière des personnes diabétiques. Il apparaît primordial de prendre en compte la situation socioéconomique des patients diabétiques. La prise en charge et l’accompagnement des patients en situation de précarité doit se faire dans une démarche réellement intégrative des composantes bio-psycho-sociales. La santé sociale des personnes en situation de précarité constitue un axe majeur pour la prise en charge et l’accompagnement. Un travail sur le bien-être social des patients pourrait améliorer l’expérience et l’ajustement à la maladie et aussi contribuer à une meilleure qualité de vie. L’objectif d’un tel travail serait alors de favoriser le réseau social des patients en les orientant vers les structures d’accompagnement, de favoriser le soutien social des patients en leur proposant un accompagnement psychosocial dans la continuité des prises en charge médicales, d’intervenir sur la perception que les patients ont d’eux-mêmes et de la maladie.