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Polémique sur le retrait des tests salivaires: Voici les arguments des biologistes et des pharmaciens

Les tests salivaires fabriqués au Maroc ont été vite retirés des pharmacies sous la pression des biologistes. Ces derniers évoquent des raisons légales et scientifiques alors que les pharmaciens insistent sur leur droit de commercialiser ce type de produits. Mais en fin de compte, les tests rapides se vendent toujours sur internet à des prix plus élevés tandis que les tests PCR pratiqués par les biologistes demeurent toujours inaccessibles pour un large public. Quant au ministère de la Santé, il garde le silence pour l'instant.

Polémique sur le retrait des tests salivaires: Voici les arguments des biologistes et des pharmaciens

En juin dernier, la Direction du Médicament et de la Pharmacie, relevant du ministère de la Santé, a accordé un ceritficat d'enregistrement au produit de la société marocaine Gigalab. Il s'agit d'un test rapide antigénique salivaire pour le dépistage du Covid-19, facile à utiliser, vendu en une boîte unitaire (un seul test) et une boîte de 25 tests à un prix qui varie entre 80 et 100 DH. Ces tests ont rencontré un vif succès auprès des citoyens en raison de leur coût accessible et leur utilisation simple et facile.

Le 7 juillet dernier,  la Chambre syndicale des biologistes a adressé une communication à la directrice du Médicament et de la Pharmacie, Bouchra Meddah, signalant une entorse à la loi avec la mise en vente dans les pharmacies des tests salivaires de Gigalab.

Les biologistes ont souligné dans leur missive que les tests salivaires ne sont pas autorisés à la vente dans le privé et que les pharmaciens ne sont pas non plus habilités à réaliser les examens de biologie médicale hormis ceux spécifiés dans l'arrêté du ministère de la Santé N°1131-13 relatif à la loi 12-01.

Quelques jours après ce courrier, le 14 juillet précisément, la Direction des médicaments a ordonné le rappel de tous les lots qui ont été commercialisés par l'entreprise marocaine.

«Il a été constaté que le réactif à usage de diagnostic in Vitro Gigalab Covid-19 Ag Gold Salive de l’établissement Gigalab, a été mis en vente dans les officines à travers les établissements pharmaceutiques grossistes répartiteurs, et ce, sans autorisation du ministère de la Santé», a relevé la Directrice du Médicament dans sa missive adressée à l’Ordre des pharmaciens.

Si cette décision a gagné la satisfaction des biologistes, elle n'a pas été appréciée par les pharmaciens ni par les citoyens.

Les biologistes maintiennent que la mise sur le marchés desdits tests doit être soumise à un encadrement rigoureux pour éviter un certain nombre de risques pour le citoyen. Les pharmaciens, eux, déplorent le fait que le rappel des lots de Gigalab ait profité aux marchés parrallèles, tout en insistant sur leur droit de commercialiser les produits de ce type.

Quant aux citoyens, plusieurs voix se sont élevées pour fustiger l'opportunisme des laboratoires qui, à leur avis, ont eu peur de perdre d'importantes parts de marché à cause de l'engouement pour les tests rapides.

Pour rappel, les tests PCR pratiqués par les laboratoires coûtent entre 500 et 700 DH et le Maroc réalise ces dernier jours, à cause de l'aggravation de la pandémie, jusqu'à 40.000 tests par jour.

Younes Maâmar, personnalité publique (EX DG de l'ONE), a publié sur les réseaux sociaux un coup de gueule retentissant concernant les pratiques des laboratoires.


Afin de recueillir les différentes positions, "Le Matin" a contacté Adnane Rhazali, président de la Chambre syndicale des biologistes, et Saâdia Moutawakil, présidente du Conseil des pharmaciens du Sud. Voici leurs arguments.

Que veulent les biologistes ?

"Nous n'avons fait que demander l'application de la loi", se défend le président de la Chambre syndicale des biologistes, Adnane Rhazali.
"Nous sommes dans un Etat de droit et la loi à ce sujet est claire : seuls les produits autorisés par le ministère de tutelle peuvent être commercialisés", a-t-il insisté.

Selon lui, il s'agit d'une polémique qui n'a pas lieu d'être. "Il y a eu tout un branle-bas de combat en faisant valoir le fait qu'il s'agit d'un produit marocain. Comme tout citoyen marocain, et contrairement à ce qui a été dit, nous sommes fiers qu'il y ait des produits marocains et nous ne demandons que cela", a-t-il assuré.

"La pandémie a démontré que notre pays doit être autonome sur le plan sanitaire et nous avons les moyens de le faire. Mais ce n'est pas en inventant des polémiques de ce genre que nous allons y réussir", a-t-il ajouté.

Et d'inviter les uns et les autres à ne pas se cacher derrière de faux prétextes et de se concentrer sur l'essentiel, à savoir : faire prévaloir l'intérêt général et attendre de soumettre le déploiement de ce type de kits à un encadrement rigoureux pour éviter tout risque pour la population.

"Notre démarche n'était pas contre les tests salivaires ni contre les pharmaciens. Que les tests soient réalisés dans les pharmacies ou dans les cabinets de médecins en temps de crise peut se concevoir, sauf qu'il faut que cela soit encadré", a affirmé M. Rhazali. "Je ne dis pas que les tests salivaires ne servent à rien, je maintiens que le processus doit être encadré", a-t-il ajouté.

Il souligne dans ce sens que le test salivaire doit impérativement être effectué dans les 4 premiers jours des signes cliniques. "A partir du cinquième jour, le test n'a plus aucune efficacité puisque le virus quitte le nez pour les poumons et donc on ne peut plus le retrouver par ce moyen", a-t-il noté.

Et les profits dans tout ça ?

M. Rahazali assure que la plus grosse part des tests est réalisée par les laboratoires publics, l'Institut Pasteur et par d'autres structures à but non lucratif comme l'Hôpital Cheikh Zayed et l'hôpital Cheikh Khalifa.

Il a également affirmé que les informations et calculs qui circulent sur les réseaux sociaux sont on ne peut plus éloignés de la réalité. Le coût de revient d'un test PCR, s'il ne doit pas être refait, tourne autour de 520 DH hors impôts, sachant qu'il est facturé au citoyen à 700 DH, a-t-il fait savoir.

Il a également relevé que le cahier de charge établi par le ministère impose aux laboratoires de mettre en place un circuit dédié avec tout ce que cela engage comme coûts, soit un investissement qui se monte plus ou moins à 1 million de dirhams, du personnel dédié composé de 5 ou 6 cadres compétents (bac+5), de 4 techniciens, de 2 ou 3 secrétaires à l'accueil, sans oublier les charges de contrôle de qualité et de la gestion des déchets.

Autre élément qui alourdit la note : le coût des réactifs que les laboratoires sont obligés d'acquérir auprès des revendeurs au Maroc. "Au début de la pandémie, alors que les réactifs étaient encore rares dans le monde, nous avions sollicité l'autorisation de les importer au même tarif que le ministère de la Santé pour alléger les coûts", a indiqué Dr. Rhazali. une demande qui, apparemment, n'a pas été agréée.

Le biologiste nous a également fait part de la précision suivante : "Il faut que vous sachiez que le prix de 700 DH nous a été imposé par le ministère de la Santé". "Le ministre en a appelé à notre fibre patriotique pour qu'on facture les tests à ce prix-là alors que nous souhaitions le facturer à 1.200 DH, c'est-à-dire le même coût pratiqué pour l'hépatite C pour laquelle nous utilisons la même technique", a expliqué le praticien.

"Si l'on suit la logique purement commerciale dont certains nous accusent, peut-être qu'il nous serait plus profitable d'effectuer ces tests rapides plutôt que la PCR, car cela ne nécessite ni équipements spécifiques ni savoir-faire", a-t-il affirmé.

Il par ailleurs a rejeté les chiffres relayés sur les réseaux sociaux concernant le nombre "pharamineux" de tests quotidiens effectués dans les labos (400 tests). "Je vous assure qu'au meilleur des cas, nous traitons quelque 120 dossiers par jour, et ce durant cette période où la pandémie fait rage. En temps d'accalmie, on arrive à peine à une dizaine de dossiers", a-t-il assuré.

"Vous voulez la vérité ? Nous n'avons que faire de ces parts de marché !", a-t-il martelé. "Ce que nous aimerions, c'est que le calme revienne et que nous puissions reprendre nos activités de base.

Le Covid n'a rien à voir avec notre cœur de métier. Notre rôle est de soigner les malades, d'apporter du conseil, de faire du suivi... Mais alors que nous sommes concentrés sur le Covid, des citoyens sont en train de mourir à cause d'autres pathologies", a-t-il déploré, tout en admettant qu'il existe bien des opportunistes dans ce domaine comme dans d'autres mais qu'il ne faut pas généraliser.

Qu'en est-il des pharmaciens ?

Les biologistes sont sur la défensive, mais les pharmaciens aussi. "les biologistes doivent savoir que l'article 30 de la loi 17.04 nous permet, non pas de réaliser mais de dispenser ce type de tests", nous a déclaré Saâdia Moutawakil, présidente du Conseil des pharmaciens du Sud, en réponse à l'argument relatif à la législation avancé par les biologistes.

Elle a également souligné que les lots des tests rapides ont été rappelés pour défaut de qualité tel que justifié par le ministère.
Elle a déploré à cette occasion les propos tenus par le Conseil des pharmaciens biologistes dans une mise au point récente concernant l'utilisation des autotests salivaires du Covid-19.

"La dernière phrase du communiqué a été particulièrement insultante. J'espère qu'ils vont la retirer, ou du moins s'en excuser", a-t-elle dit.
Rappelons que le Conseil avait accusé les pharmaciens de s'être «empressés à distribuer le réactif en question" avant d'être "rappelés à l'ordre par la Direction du médicament et de la pharmacie".

"Nous avons respecté la décision du ministère et le fait que toutes les procédures doivent passer par lui en attendant l'autorisation de commercialiser les tests salivaires", a-t-elle indiqué.

"Seulement, nous avons été surpris de les voir distribués dans les marchés parallèles, ce qui est une injustice pour le patient et pour toute une profession qui s'est engagée depuis le début de la pandémie aux côtés des pouvoir publics", s'est-elle étonnée.

En effet, ces tests sont vendus sur internet trois fois plus cher que les prix proposés aux pharmacies.

Elle a également noté que "la consigne du ministère concerne un lot commercialisé par une société donnée et il paraît -nous n'en avons pas encore la confirmation- que d'autres tests ont été autorisés. Es-ce qu'ils sont sur le marché ou pas ? On ne le sait pas".

"Nous avons aussi appris que certains tests ont été dispensés uniquement dans les cabinets médicaux par un laboratoire pharmaceutique donné. Est-ce que ce laboratoire a eu l'autorisation du ministère de la Santé ? Et pourquoi au niveau des cabinets et non pas des pharmacies aussi ?", s'est elle interrogée.

Accusés d'être plutôt attirés par l'appât du gain, les pharmaciens font remarquer que la marge de bénéfices reste insignifiante puisque le prix du test antigénique en pharmacie ne dépasse pas 100 DH. "Si on supprime les 20% de la TVA, nous avons une marge de bénéfice de 10 à 15 DH. Est-ce que c'est cette marge qui va enrichir les pharmaciens ?", a relevé Mme Moutawakil. "Pour nous, il s'agit surtout de renforcer la mission de santé publique des pharmacies auprès des citoyens", a-t-elle affirmé.

"Tout le monde sait que la pharmacie est l'établissement de santé le plus proche du citoyen et constitue son premier recours. Commercialiser ce type de tests permettrait de faire un dépistage précoce pour une prise en charge précoce des patients atteints de Covid. Il permettrait ainsi d'éviter la propagation du virus puisqu’une personne dépistée pourra protéger son environnement proche", a-t-elle souligné.

"Cela éviterait aussi l'encombrement des structures médicales par des patients qui sont peut-être porteurs du virus et qui n'en ont pas encore eu la confirmation, avec tout ce que cela comporte comme risques pour les autres", a-t-elle poursuivi, ajoutant que les pharmaciens peuvent également dispenser les messages adéquats, y compris pour ce qui est de la gestion des déchets.

Ce que répond le ministère de la Santé

Pour résumer : Rien.

Les questions, nous aurions aimé les poser directement au ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, et à la directrice du Médicament, Bouchra Meddah. Mais en dépit de nos nombreuses tentatives, nos sollicitations sont restées sans réponse.

En attendant les éclairages nécessaires, nous joignons les interrogations suivantes, qui sont celles des citoyens, à celles formulées plus haut par les pharmaciens : Pourquoi ce rétropédalage du ministère concernant le certificat d'enregistrement accordé à la société Gigalab ? Que compte-il faire au sujet des tests commercialisés actuellement en ligne à des prix spéculatifs ? A quand une autorisation et un processus organisé de commercialisation des tests antigéniques rapides ? Qu'est-ce qui empêche l’État d'intervenir pour baisser les prix des tests PCR au bénéfice du citoyen ? Que répond il aux affirmations concernant les structures qui engrangent le plus de gain sur les tests PCR ?

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