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À bâtons rompus avec Yasmina Ksikes, l’alchimiste des saveurs marocaines aux États-Unis

Le patrimoine marocain peut compter sur les enfants du pays pour le faire rayonner au-delà des frontières. Parmi ses ambassadeurs, Yasmina Ksikes, la cheffe que tout le monde courtise à Los Angeles pour sa cuisine généreuse et ensoleillée. Née à Rabat en 1976, elle grandit à Casablanca avant de mettre le cap sur le pays de l’oncle Sam en 1996. Petite, Yasmina se rêvait styliste ou chef de cuisine. Elle intègre le milieu de la mode pendant quelques années, mais l’envie de faire de l’art culinaire son métier n’est jamais très loin. Elle met le pied à l’étrier en intégrant le restaurant français de son mari à Chicago, avant de s’installer à Los Angeles en 2013. La fraîcheur des produits et le soleil de la côte ouest lui rappellent sa terre natale. Nostalgique, elle se crée son petit Maroc en commercialisant quelques produits du terroir, puis elle passe derrière les fourneaux pour faire voyager les papilles des célébrités américaines, dont Barack Obama, en perpétuant l’héritage séculaire transmis par sa grand-mère. Le succès est au rendez-vous donnant naissance à son concept de cuisine nomade qu’elle baptisera «Lalla Mina». Mordue d’art sous toutes ses formes, Yasmina Ksikes a pris part à la première édition du concept «Into The Wild», initié par le Festival Oasis dans la ville de Dakhla. «Le Matin» s’est entretenu avec l’ambassadrice du terroir marocain à cette occasion.

Le Matin : La cuisine marocaine a-t-elle réussi à séduire les papilles des Américains ?
Yasmina Ksikes
:
La cuisine marocaine plaît beaucoup aux États-Unis pour son côté diversifié et ses saveurs complexes. Les Américains sont séduits par les associations des goûts et des couleurs, ça les change par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de manger, ils découvrent aussi une cuisine riche en histoire. Plus je passe du temps aux États-Unis, plus je me rends compte à quel point j’aime la cuisine de mon pays. On prend souvent cette cuisine pour acquise, car on a grandi dedans, mais quand on va ailleurs, et quand on voit les réactions positives des gens en dégustant nos spécialités, nous nous rendons compte de la chance que nous avons. Pour l’honorer, j’opte pour des produits de saison, ce qui me permet d’offrir une cuisine fraîche et variée. Ma cuisine se veut familiale, chaleureuse et généreuse. Je n’ai pas suivi de formation pour devenir chef, c’est un mélange de mon héritage, de ma générosité et de mon amour pour la cuisine marocaine et ça plaît énormément outre-Atlantique.

De quelle manière valorisez-vous les produits du terroir ?
J’ai une grande histoire d’amour avec le citron confit, puisque l’histoire du restaurant «Lalla Mina» a commencé avec cet ingrédient que ma grand-mère m’a appris à préparer. Je le vendais sur le marché et il avait beaucoup de succès, car les Américains s'intéressent de plus en plus aux aliments fermentés qui sont bénéfiques pour la santé. Ils sont également sensibles aux histoires qui gravitent autour de ses produits et recettes. Je transmets, à ma manière, ce que ma grand-mère m’a transmis et les gens aiment cette manière de partage intuitive. Pour l’anecdote, j’ai des jarres de citrons confits qui ont 5 à 10 ans d’âge. Le bouche-à-oreille a fait que j’ai commencé à recevoir des appels de grands chefs à la recherche d’un citron confit de qualité. Parmi ces demandes, celle d’un chef très connu qui avait besoin de cet ingrédient typique pour concocter son menu prévu pour Michelle Obama et ses filles. Ledit chef a ainsi déboursé la somme de 450 dollars pour un seul citron confit, vieux de 10 ans, livré en FedEx pour arriver à temps pour son dîner VIP.

Quels sont les points forts de la gastronomie marocaine par rapport aux autres cuisines du monde ?
La complexité et la symbiose des mélanges des épices, sans oublier les ingrédients atypiques qui font que la cuisine marocaine séduit instantanément et marque les esprits. Notre gastronomie est considérée comme saine et reflète une histoire métissée de l’héritage séculaire du pays. À l’instar de la cuisine italienne, la gastronomie marocaine est restée une cuisine de grand-mère, authentique et généreuse. Plus on essaye de la rendre complexe et sophistiquée, moins on lui rend service. Il faut préserver cette cuisine du terroir tout en mettant encore plus en valeur le produit local.

La cuisine marocaine manque-t-elle d’ambassadeurs à l’international ?
Plusieurs jeunes chefs marocains ne veulent pas se spécialiser dans la cuisine marocaine et estiment que son côté traditionnel la rend moins créative et ennuyeuse. Ces préjugés les poussent à opter pour une cuisine fusion ou asiatique. Je trouve cela dommage, car notre cuisine est loin d’être barbante et elle a un grand potentiel qui séduit à l’international, on se doit de continuer à la promouvoir dans le monde. On devrait prendre exemple sur les chefs italiens qui restent souvent fidèles à leur héritage. Un chef d’Italie ne fera jamais un ravioli à l’asiatique bien au contraire, il va valoriser sa gastronomie au travers de recettes transmises de génération en génération. En conclusion, oui, nous manquons d’ambassadeurs pour notre cuisine à l’étranger. Il en faut plus et je les encourage à revenir aux sources pour puiser leur inspiration dans nos recettes ancestrales qui n’ont rien à envier aux autres spécialités du monde.

Peut-on revisiter un plat traditionnel sans le dénaturer ?
C’est tout à fait possible ! Prenons l’exemple d’un tajine de bœuf aux coings, on peut revoir sa présentation pour que l’on puisse le consommer d’une manière pratique, sans désacraliser sa recette. La cuisine, tout comme les activités artistiques, doit être pratiquée de manière intuitive tout en évitant de tomber dans la facilité en reproduisant ce qui se fait ailleurs. En se laissant guider par sa propre créativité, on peut revisiter un plat traditionnel, sans le dénaturer, avec notre propre touche en tant que Marocains. La passion, l’audace et l’attachement à ses origines, ces ingrédients ensemble peuvent offrir une nouvelle vision de notre cuisine séculaire, sans forcément la transformer.

Quel est le plus beau compliment entendu au sujet de votre cuisine ?
Je suis une grande fan du réalisateur David Lynch. J’ai le plaisir de le recevoir régulièrement, une à deux fois par mois. Un jour, à la fin de son dîner, il m’a interpellé puis pris la main pour me faire le plus beau compliment : «Merci de m’avoir nourri de ton histoire. C’était l’un des plus beaux repas que j'ai jamais eu, j’ai vraiment voyagé». Autre moment touchant, quand mon fils de 7 ans me dit «c’était très bon !», quand il savoure ce que je lui prépare. Sa réaction vaut tous les compliments du monde !

Les spécialités marocaines sont souvent qualifiées de riches et gourmandes. Peut-on manger marocain sans exploser le compteur des calories ?
Une cuisine marocaine à la fois gourmande et saine, telle est la mission que je me suis fixée. Notre gastronomie a l’avantage d’être riche en saveurs grâce aux accords des épices et herbes, elle n’a pas besoin de plus. Le tajine de poulet au citron confit à titre d’exemple, je le prépare sans aucune matière grasse ajoutée. Lorsqu’on utilise des produits frais et locaux, nul besoin d’additifs ni de superflus, car la cuisine marocaine est initialement équilibrée, tout est une question de dosage et de goûts personnels.

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