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Anesthésie-réanimation : le torchon brûle entre médecins et infirmiers

La décision ferme de Khalid Aït Taleb de faire exécuter les actes d’anesthésie et de réanimation par des infirmiers, même en l’absence du médecin spécialisé, a provoqué l’ire des médecins. Si pour le ministère, cette décision est nécessaire en raison de la pénurie des médecins anesthésistes et réanimateurs, ces derniers mettent en garde contre les risques que cela pourrait avoir pour les patients. De leur côté, les infirmiers ne semblent pas s’opposer à cette décision et estiment avoir les aptitudes nécessaires pour réaliser de tels actes, d’autant plus qu’ils ont l’habitude de le faire, disent-ils.

Anesthésie-réanimation : le torchon brûle entre médecins et infirmiers
La grande majorité des urgences peut être traitée en quelques heures, le temps d’arriver à une structure où une équipe multidisciplinaire peut les prendre en charge.

Le manque d’effectifs dans le secteur de la santé se fait durement sentir. En anesthésie-réanimation, le Maroc compte seulement 200 médecins, ce qui se répercute sur la programmation des actes de chirurgie et, par conséquent, prive les citoyens de leur droit d’accéder aux soins nécessaires. Face à cette situation, le ministre de la Santé et de la protection sociale, Khalid Aït Taleb, a appelé, dans une circulaire datée du 7 septembre, les infirmiers en anesthésie et réanimation relevant du secteur à «assurer de manière temporaire les interventions urgentes programmées par le médecin en chef ou le chirurgien, et qui ne peuvent être reportées, même en l’absence d’un médecin anesthésiste-réanimateur».

La décision a fait réagir la Fédération nationale des médecins anesthésistes du Maroc (FNAM) qui, dans un communiqué publié le 9 septembre, estime que «le sous-effectif dont souffre cette spécialité dans le secteur public ne justifie en aucun cas d’annoncer des décisions qui sont en contradiction avec les recommandations internationales et les études scientifiques et qui peuvent mettre en danger les citoyens».
Du côté de l’Association marocaine des infirmiers anesthésistes et réanimateurs (AMIAR), la circulaire du ministre constitue plutôt «une forme de reconnaissance pour les efforts des infirmiers anesthésistes». Dans une déclaration accordée au «Matin», le président de l’AMIAR rejette catégoriquement la position de la FNAM tout en précisant que les infirmiers anesthésistes sont formés et capables d’accomplir les différents actes anesthésiques, y compris ceux qui sont compliqués. D’ailleurs, «cela fait des années que nous intervenons dans ce type d’actes et sans la présence d’un médecin anesthésiste et aucun problème n’a eu lieu à cet égard», tient-il à souligner. Mieux encore, le représentant des infirmiers anesthésistes affirme que ceux-ci «ont carrément formé et accompagné des médecins qui venaient d’obtenir leur diplôme». Sans langue de bois, Abdelilah Asaissi est presque sûr que le nombre de médecins anesthésistes est inférieur à 200 au Maroc, d’où l’intérêt, selon lui, de «ne pas bloquer les infirmiers dans leur travail, d’autant plus qu’ils ont fait leurs preuves dans le domaine».

La sécurité du citoyen prime !
Sur le plan purement scientifique, «l’anesthésie est un acte médical et une science pré et post-opératoire nécessitant des compétences spécifiques, outre celles qu’on retrouve chez les infirmiers», souligne Jamal Eddine Kohen, président de la FNAM, dans une déclaration accordée au «Matin». Concrètement, explique-t-il, l’anesthésie englobe une évaluation et une prise en charge avant l’opération, une prescription avec la réalisation de l’anesthésie la plus adaptée possible et la plus sécurisante, ainsi que la surveillance avec des niveaux différents pendant l’opération. À cela s’ajoute, note-t-il, la surveillance rapprochée post-opératoire, avec l’obligation de rester vigilant devant les éventuelles complications nécessitant une prise en charge et une réanimation pendant ou après l’opération. «Il faut également être en mesure de prendre en charge de façon assez particulière les complications éventuelles tardives», précise-t-il. Et de souligner que pour réaliser toutes ces actions, il est nécessaire d’être doté de compétences très spéciales avec une mise en application des connaissances qui relèvent des compétences du médecin réanimateur-anesthésiste formé dans ce sens.

Même son de cloche auprès du Pr Ghassan El Adib, chef de service anesthésie & réanimation à l’Hôpital mère et enfant à Marrakech et ancien président de la Société marocaine d’anesthésie et de réanimation. Tout en reconnaissant les efforts des infirmiers anesthésistes qui «ont démontré qu’ils sont des héros au temps de la Covid-19», notre interlocuteur estime qu’ils ne sont pas formés pour l’accomplissement de certains actes sécuritaires d’anesthésie. «Ils ne sont formés ni pour effectuer l’évaluation médicale pré-chirurgie et identifier certaines morbidités, ni pour gérer certaines complications», souligne-t-il. Les deux spécialistes tiennent à souligner que la santé du patient prime et que rien ne justifie «des concessions sur la sécurité de la prise en charge de l’acte anesthésique et sur l’équité des soins accordés dans les secteurs public et privé».

Que dit la loi ?
Le ministre de la Santé et de la protection sociale insiste, dans sa circulaire, sur la nécessité «absolue» pour les infirmiers de se conformer à la décision et à accomplir des actes d’anesthésie, même en l’absence d’un médecin spécialiste. Il ajoute que le refus d’assistance à une personne en danger est un délit réprimé par le Code pénal. De l’avis du Dr Adib, la lettre du ministre engendre des problèmes de poursuite judiciaire pour l’infirmier et le chirurgien et les expose à un véritable risque. En cas de problème, clarifie-t-il, «ceux-ci ne peuvent pas être protégés par une lettre du ministre. Ils seront soumis à l’article 6 de la loi 13.43 stipulant que l’infirmier en anesthésie-réanimation accomplit des actes d’anesthésie ou de réanimation des patients, sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin anesthésiste-réanimateur». En revanche, Dr Adib met l’accent sur l’importance de la définition de la notion d’urgence citée dans la circulaire du ministre. «Cette notion diffère d’une situation à l’autre, d’un médecin à l’autre et d’une urgence à l’autre», note-t-il. Et de préciser que la grande majorité des urgences peuvent être traitées en quelques heures, le temps d’arriver à une structure où une équipe multidisciplinaire peut les prendre en charge.

Ce qui serait à envisager…
En plus de la pénurie des ressources humaines, dont le nombre baisse d’année en année, il semble qu’il existe un autre problème tout aussi inquiétant, à savoir celui de la gouvernance. Sur ce volet, Dr Adib estime qu’il serait plus judicieux de «fermer les structures hospitalières qui ne sont pas fonctionnelles ou sécurisées, rassembler les équipes et investir dans un système ambulancier, régulé et efficace, incluant le partenariat avec la région et le privé pour amener les malades dans des délais optimaux». L’idée à retenir est que les actes de chirurgie peuvent être effectués en équipe. Dr Kohen note à cet égard qu’il était temps de trouver des solutions réalistes et adaptées pour chaque région. «On n’a pas forcément besoin d’avoir un grand hôpital partout au Maroc, mais qui ne fonctionne pas, alors qu’on peut faire un regroupement régional des ressources humaines et matérielles tout en assurant un accès sécurisé, optimisé et adapté dans les meilleurs délais», explique-t-il. Et d’ajouter que ceci permettra d’assurer à la fois la continuité des soins et l’accès équitable à des soins dans les normes recommandées.

Sur un autre registre, les deux spécialistes mettent l’accent sur la nécessité de rendre la spécialité attractive. Dr Adib confirme à cet égard que le Maroc disposait de 400 médecins avant l’apparition de la Covid-19. «Le nombre a diminué à cause notamment de la migration vers le privé, l’émigration à l’étranger, des abandons de poste, des décès et des retraites», souligne-t-il. Pour pallier cette situation, le spécialiste suggère de motiver le personnel et de rémunérer en fonction des performances. De son côté, Dr Kohen pense qu’il est urgent de procéder à la contractualisation à travers le projet partenariat public-privé. La problématique impose aussi, selon lui, une vraie réflexion pour la mise en place d’une stratégie concertée avec les acteurs professionnels et sociaux et que les solutions émanent des régions. La réforme attendue du système national de santé apportera sans doute des solutions.

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