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Pourquoi Fitch s’attend à une forte hausse du taux directeur à 3%

À la veille du prochain Conseil de Bank Al-Maghrib, le 20 décembre 2022 à Rabat, Fitch Solutions anticipe une nouvelle hausse, cette fois plus forte, du taux directeur de 100 points de base, pour le porter à 3% cette fin d’année. Quatre raisons majeures pousseraient BAM à opter pour cette décision : une Banque centrale européenne plus belliciste, des pressions inflationnistes et des performances économiques plus fortes que prévu, ainsi que la baisse des réserves de change qui pèsent davantage sur le dirham.

Pourquoi Fitch s’attend à une forte hausse du taux directeur à 3%
Selon Fitch, BAM relèvera ses prévisions de taux de croissance pour 2022 lors de sa prochaine réunion, ce qui lui donnera plus de latitude pour augmenter le taux directeur.

Bank Al-Maghrib (BAM) poursuivra-t-elle son resserrement monétaire ? La réponse est attendue le 20 décembre 2022, lors de la prochaine réunion du Conseil de la Banque centrale. Pour Fitch Solutions, il faut s’attendre à une nouvelle hausse, cette fois-ci plus forte, du taux face notamment à une inflation record. «Nous prévoyons que Bank Al-Maghrib relève encore le taux de 100 points de base (bps) lors de la réunion de son conseil en décembre pour le porter à 3% cette fin d’année, en raison notamment d’une Banque centrale européenne (BCE) plus belliciste (étant donné que l’euro a le poids le plus élevé dans le système monétaire géré du Maroc) et de pressions inflationnistes soutenues», soulignent les économistes de Fitch Solutions au journal «Le Matin». Rappelons qu’à la veille du dernier Conseil de Bank Al-Maghrib, tenue le 27 septembre, Fitch Solutions avait prédit le relèvement du taux directeur de 50 bps à 2%, la première hausse en 14 ans !

Fitch identifie quatre éléments fondamentaux qui pousseraient BAM à réviser encore le taux directeur à la hausse

Premièrement, une BCE plus «hawkish» (belliciste) mettra plus de pression sur BAM pour augmenter les taux d’intérêt. «L’inflation élevée et persistante oblige la BCE à être plus belliciste dans la hausse des taux d’intérêt. Notre équipe Europe prévoit que la BCE augmentera son taux de dépôt à 2,00% d’ici la fin de 2022. Nous pensons que cela mettra davantage de pression sur BAM pour qu’elle relève le taux directeur afin de préserver son système monétaire étant donné que le dirham marocain est géré par rapport à un panier de devises, pondéré à 60% pour l’euro», détaillent les experts de Fitch. En effet, la Banque centrale européenne, soucieuse de juguler une inflation persistante, devra relever ses taux d’intérêt de 50 points de base cette semaine, après avoir augmenté depuis juillet ses taux d’intérêt de 200 points de base, portant ainsi le taux de dépôt de -0,5 à 1,5%, selon Reuters.

Deuxièmement, les experts de Fitch Solutions estiment que Bank Al-Maghrib resserrera sa politique monétaire pour contenir les pressions inflationnistes. «L’inflation au Maroc s’est établie à 8,3% en glissement annuel en septembre, au-dessus de nos projections, en raison des prix élevés des matières premières. Cela nous a incités à réviser nos prévisions d’inflation moyenne pour 2022 de 6,4 à 6,6% en 2022», expliquent les économistes de Fitch. Bien qu’ils pensent que l’inflation ralentira à 3,8% en 2023, elle restera toujours nettement supérieure aux prévisions de BAM de 2,4% pour l’année. En outre, une devise plus faible au premier semestre 2023 ainsi que des prix mondiaux des matières premières toujours élevés continueront de soutenir la croissance des prix en 2023. «Tout compte fait, nous pensons que des pressions inflationnistes soutenues pousseront BAM à devenir plus belliciste et accéléreront le resserrement monétaire en augmentant les taux d’intérêt de 100 points de base lors de sa réunion de décembre 2022», soutiennent-ils.

Troisièmement, une reprise des performances économiques placera BAM dans une position plus confortable pour relever les taux d’intérêt lors de sa réunion de décembre. «La croissance économique est une préoccupation majeure de BAM pour sa politique monétaire. D’ailleurs si durant le premier semestre, elle avait maintenu l’orientation accommodante de la politique monétaire, c’est pour le soutien de l’activité économique. Cela dit, le PIB du deuxième trimestre 2022 s’est établi à 2,0% en glissement annuel, dépassant les attentes de la banque centrale de 0,9%. Nous prévoyons ainsi que le PIB réel du Maroc augmentera de 1,5% en 2022, au-dessus des prévisions de BAM de 0,8% pour l’année», décortiquent les experts de Fitch. De ce fait, ils s’attendent à ce que BAM relève ses prévisions de taux de croissance pour 2022 lors de sa prochaine réunion, ce qui lui donnera plus de latitude pour augmenter le taux directeur.

Quatrièmement, la baisse des réserves de change du Maroc exercera une pression supplémentaire sur BAM pour augmenter le taux directeur. Ces réserves ont fortement chuté, passant de 35,6 milliards de dollars au début de l’année à 31,0 milliards de dollars au 14 octobre, marquant une baisse de 13,1%. «Cela est principalement dû à la faiblesse persistante du dirham et à l’aggravation du déficit commercial due à la flambée des importations», estiment les analystes de Fitch. Le dollar fort pèsera davantage sur le dirham, induisant sa plus forte dépréciation depuis au moins les années 1990. «Nous prévoyons que les pressions à la baisse sur le dirham persisteront jusqu’à la fin de 2022, le dirham marocain s’affaiblissant d’un prix au comptant de 10,99 DH/dollars le 20 octobre à 11,15 DH/dollars d’ici la fin de 2022, le dollar américain restant fort. En conséquence, nous pensons que BAM se sentira obligé d’augmenter le taux directeur pour renforcer les réserves de change et soutenir son système monétaire géré», ajoutent-ils. Pour rappel, lors du dernier Conseil de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri avait souligné que des «mouvements très importants» à l’import concernant les produits céréaliers, énergétiques et demi-produits, seraient derrière la dépréciation du dirham depuis quelques mois, en dépit de la bonne performance des recettes de voyage et des MRE (Marocains résidant à l’étranger).  

>> Lire aussi : Crédit : pourquoi les banques n'ont pas relevé leurs taux

Entretien avec Abdelghani Youmni, économiste, spécialiste des politiques publiques : «Une nouvelle hausse du taux directeur ne doit pas dépasser 0,5 point, l’inflation n’étant pas monétaire, mais budgétaire»

À la lumière des dernières évolutions de la conjoncture nationale et internationale, l’économiste Abdelghani Youmni estime que le Conseil de Bank Al-Maghrib, qui se tiendra le 20 décembre 2022, ne devra pas relever le taux directeur de plus de de 0,5 points. Selon son analyse, l’inflation au Maroc n’est pas monétaire, elle est surtout importée et énergétique. Ainsi, le spécialiste des politiques publiques estime que pour agir sur l’inflation, il faudra plutôt baisser les prix à la pompe. Deux dirhams de baisse, c’est au moins 1,5 point d’inflation en moins sous quatre à six mois, surtout si la pluviométrie est au rendez-vous. Augmenter le taux directeur, à lui seul, n’est pas le bon remède, au contraire il aura des effets négatifs sur les décisions d’investissements des opérateurs économiques et sur le pouvoir d’achat des ménages.

Le Matin : Le 27 septembre dernier, pour prévenir tout désancrage des anticipations d’inflation et assurer les conditions d’un retour rapide à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix, le Conseil de Bank Al-Maghrib avait décidé de relever le taux directeur de 50 points de base à 2%. Aujourd’hui, soit deux mois après, quelles sont les premières conséquences de cette décision ?
Abdelghani Youmni :
Dans un contexte d’inflation monétaire, l’augmentation des taux d’intérêt est une riposte pour exercer un effet sandwich sur la sur-liquidité monétaire, absorber l’épargne et réduire la distribution du crédit. Pourtant souvent les gens confondent inflation et cherté de vie, inflation importée et inflation monétaire. Paradoxalement, cette fois-ci et contrairement aux années 1990, nous n’avons pas les mêmes types d’inflations partout.

La décision de Bank Al-Maghrib de n’augmenter le taux directeur que de 0,5 point et revenir à celui de 2019 de 2% a été judicieuse, car Abdellatif Jouahri estime à raison que notre inflation est importée dans les hydrocarbures surtout, gaz et pétrole, les produits finis et au sein des intrants de notre demande intérieure. Sa décision est qu’il ne faut pas trop augmenter le taux directeur au risque de ne pas pouvoir juguler l’inflation tout en causant l’affaiblissement des investissements publics, privés et la consommation des ménages. Aujourd’hui et deux mois après, les effets ne peuvent pas être visibles, car nous n’avons fait qu’une amorce dans l’augmentation du taux directeur et l’inflation continue à grimper et à devenir structurelle. Elle a atteint 14% pour les biens de consommation de base et approche les 6,5% pour l’année 2022. Quant au coût/bénéfice sur l’investissement, l’emploi et, la croissance économique, il est difficile de l’évaluer. La seule certitude est que, d’après une étude du Haut-Commissariat au Plan (HCP), le pouvoir d’achat des ménages s’est effrité de 3,5% et que l’indice de confiance passe de 65,5 en 2021 à 47,4 en 2021.

La prochaine réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib se tiendra le 20 décembre 2022. À la lumière des dernières évolutions de la conjoncture nationale et internationale, pensez-vous que le taux directeur sera maintenu inchangé ou relevé à nouveau ?
Les crises économiques ont souvent des causes multiples, mais convergent vers les mêmes maux. Puis, s’il est vrai que les mouvements forcés de reconfiguration de la mondialisation, la crise énergique et les tensions géopolitiques ont impacté le pouvoir d’achat et le coût de la vie de l’ensemble des pays de la planète, il est aussi utile de considérer l’inflation comme la résultante de deux crises concentriques. Dans la première, la guerre en Ukraine a provoqué une flambée de prix alimentée par les pénuries en blé, soja... et en hydrocarbures, par les pressions spéculatives et les bras de fer entre pays gaziers et pétroliers et puissances occidentales. La deuxième est la hausse des coûts de production, de logistique et de fret amplifiée par les restrictions sanitaires en Chine.

Pour le Maroc, il faudra agréger un autre facteur, celui de l’inflation conséquence de l’augmentation du taux directeur du dollar, ce qui a mécaniquement déprécié le dirham face au dollar et l’a apprécié face à l’euro. Dans le détail, la décision de la Banque centrale européenne (BCE), le mois dernier d’augmenter le taux directeur de l’euro de 0,75 point a légèrement restauré les équilibres. Nous sommes revenus en ce début décembre à 1 dollar pour 10,50 dirhams au lieu de 10,75 et de 1 euro pour 11,12 dirhams au lieu de 10,80, l’effet sur les prix à la pompe sera positif et progressif.

Faut-il alors maintenir le taux directeur inchangé ?
À mon avis, il faudra peut-être le relever de 0,5 point, mais pas plus, sachant que cela n’aura aucun effet sur l’inflation, car pour la faire baisser, le curseur n’est pas monétaire, mais budgétaire, n’est pas macro-économique, mais micro-économique. Pour compléter ce portrait, il faudra baisser le prix du litre du gasoil et de l’essence à la pompe, soit de manière naturelle soit en adoptant la stratégie payante ailleurs, celle du bouclier tarifaire ou de la taxe flottante. Deux dirhams de baisse, c’est au moins 1,5 point d’inflation en moins sous quatre à six mois, surtout si la pluviométrie est au rendez-vous. Le taux directeur n’est pas le bon remède, au contraire il aura des effets négatifs sur les décisions d’investissements des opérateurs économiques, de la production immobilière et de l’investissement dans la pierre par les ménages.

Quels sont les risques si Bank Al-Maghrib décide autrement ?
En théorie, le resserrement de la politique monétaire permet un fléchissement de l’inflation et l’évitement de son enracinement. En pratique, c’est plus complexe, l’inflation reste maîtrisable, mais s’il atteint les deux chiffres, l’intervention de Bank Al-Maghrib deviendra un impératif afin d’éviter la double peine de la dépréciation du dirham et la perte du pouvoir d’achat du dirham.
Notons aussi que le Maroc, pays dit frontière, doit éviter le risque d’endettement extérieur pour ne pas accumuler les vulnérabilités et œuvrer pour ramener l’inflation vers un taux cible. Par-delà les opinions, les statistiques montrent que sur les 60 dernières années, le taux moyen d’inflation a été de 4,5%, le Maroc n’est pas un pays inflationniste comparé à la Turquie ou à l’Égypte.

Quelles perspectives pour l’année 2023, notamment au niveau de la politique monétaire et l’objectif de la stabilisation des prix ainsi que le maintien de la robustesse du dirham face aux turbulences sur les marchés de change et des matières premières ?
Les perspectives pour l’année 2023 ne dépendent pas uniquement du taux directeur, car la politique monétaire n’est qu’une jambe de l’économie marocaine qui, en plus de la non-convertibilité du dirham et de la faible épaisseur du marché financier, n’exerce pas un effet significatif sur la croissance économique et la création d’emplois ainsi que sur la sauvegarde du pouvoir d’achat des ménages.
L’euro ne doit pas continuer à perdre du poids face au dollar, cela aggrave notre facture énergétique et accroît le risque du choc inflationniste surtout associé à un cours du baril de pétrole dépassant les 90 dollars. Il n’est que partiellement vrai que les turbulences des marchés de change pourraient fragiliser la robustesse du dirham. Notre monnaie est robuste, car non convertibles et non exposée aux marchés financiers et à la spéculation. Encore plus massifs que la gestion macro-prudentielle, le Maroc avec la diversification, le décollage de l’industrie, les recettes des phosphates multipliées par cinq en quinze ans et les transferts des Marocains du monde, tous ces éléments lui permettent de sanctuariser sa balance commerciale, sa balance des paiements et de préserver le dirham d’une chute infernale comparable, par exemple, à la lire libanaise ou le dinar tunisien. 

 

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