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Fuite des infirmiers : le phénomène prend des proportions inquiétantes

​L’exode du personnel de la santé, notamment les infirmiers, n’est pas un phénomène récent. Mais depuis quelques années, il ne cesse de prendre de l’ampleur. Face aux multiples problèmes qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur profession et aux offres alléchantes des pays étrangers, surtout après la pandémie Covid-19, le nombre d’infirmiers qui quittent le Maroc est de plus en plus important. Une situation inquiétante qui met en danger notre système de santé national, malgré les efforts du gouvernement pour combler le déficit en ressources humaines

Fuite des infirmiers : le phénomène prend des proportions inquiétantes

Alors que le système sanitaire national souffre d’un manque cruel en ressources humaines, le nombre de cadres de santé qui fuient le pays ne cesse d’augmenter. Chaque année, des centaines de professionnels décident de tout laisser derrière eux pour tenter leur chance à l’étranger : médecins, chirurgiens, pharmaciens… mais aussi des infirmiers. Ces derniers sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à franchir le pas. A une question sur un groupe d’infirmiers marocains sur Facebook, la majorité de ces infirmiers a affirmé qu’elle «rêvait» d’exercer le métier à l’étranger, d’autres disent avoir même entamé les procédures d’immigration. Il s’agit généralement de jeunes infirmiers avec quelques années d’expérience. C’est le profil le plus demandé par les pays d’accueil. Mais cela n’empêche pas les plus âgés d’exprimer leur envie de partir aussi. Mais pourquoi sont-ils si nombreux à vouloir quitter le Maroc ? «Durant mes 40 ans de carrière, j’ai vu plusieurs collègues partir travailler à l’étranger. Mais il faut reconnaître que depuis quelques années, ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Les raisons sont multiples : les conditions de travail qui laissent à désirer, le manque de reconnaissance de la part des responsables, le sentiment de discrimination lorsqu’il s’agit de choix pour les postes de responsabilité, la difficulté d’évoluer dans sa carrière, le manque d’issue pour l’amélioration des conditions de vie… Nous avons beau être patients et garder espoir, très peu de choses changent, certaines empirent même. J’ai réellement peur pour l’avenir de mes enfants ici. Je n’aimerai pas qu’ils subissent le même sort», confie N., 58 ans, infirmière diplômée d’État grade principal. «Personnellement, j’ai toujours voulu exercer mon métier à l’étranger. J’ai même fait une demande d’immigration en 1989, mais je me suis mariée entre temps et j’ai laissé tomber. Aujourd’hui, c’est un peu tard malheureusement, mais si jamais l’occasion se présente, je n’hésiterai pas une seconde», confie-t-elle. 

30.000 infirmiers et un déficit deux fois plus important !

Certes, ce phénomène ne date pas d’hier, mais il commence à prendre des proportions alarmantes. En effet, l’exode massif des infirmiers risque d’avoir des conséquences graves sur le système de santé national. «Ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur depuis 5 ans à cause de la multiplication des problèmes que rencontrent les infirmiers et techniciens de santé pour exercer leur profession au Maroc. Même si on ne dispose pas de chiffres officiels, on sait que nous perdons chaque année des centaines de professionnels, vu le nombre de démissions, de mise en disponibilité ou même d’abandon de poste. Cette situation ne fait qu’aggraver le déficit en infirmiers au Maroc qui est estimé à un peu plus de 65.000, pour atteindre le seuil minimum fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de répondre aux besoins de la population. Le nombre actuel d’infirmiers ne dépasse pas les 30.000», alerte Mustapha Jaa, secrétaire général du Syndicat indépendant des infirmiers et techniciens de santé (SIITS).

Afin de combler le déficit en ressources humaines dans le secteur de la santé, le gouvernement a mis en place un nouveau plan en juillet dernier. Doté d’une enveloppe budgétaire de plus de 3 milliards de dirhams, ce programme vise à augmenter nettement le nombre des professionnels de la santé à l’horizon 2030 et de tripler le nombre de lauréats des instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé à l’horizon 2025. Mais pour le secrétaire général du SIITS, il ne suffit pas d’augmenter le nombre de professionnels de santé, il faut surtout les fidéliser pour qu’ils exercent leur métier dans leur pays. «Il faut savoir que les infirmiers que nous perdons chaque année sont généralement des professionnels qui ont cumulé des années d’expérience, parfois dans des spécialités très spécifiques au Maroc, entre 5 à 15 ans, voire plus. C’est une énorme perte pour notre système de santé. Le gouvernement doit mieux comprendre les raisons qui poussent les infirmiers et techniciens de santé à fuir leur pays et agir rapidement pour les convaincre de rester. Il faut par exemple leur laisser l’opportunité de poursuivre leurs études, avoir un master ou un doctorat pour évoluer dans leur carrière. Il faut aussi s’attaquer à d’autres problèmes comme le manque de reconnaissance, l’absence de justice salariale, les indemnités de prise de risques, la surcharge de travail, la création de l’Ordre des infirmiers…», détaille Mustapha Jaa. «La plupart des infirmiers qui partent à l’étranger sont attirés par tous les avantages que leur offrent les pays d’accueil, à savoir des salaires qui varient entre 25.000 DH et 35.000 DH avec des primes et des indemnités, la possibilité de poursuivre leurs études, une reconnaissance pour leurs efforts, plus de moyens pour travailler dans de bonnes conditions, un cadre de vie agréable et sûr…», développe-t-il.

Des salaires et conditions de vie nettement meilleurs

Le secrétaire général du SIITS souligne, par ailleurs, que les infirmiers qui quittent le Maroc s’installent généralement dans des pays européens, en particulier en Allemagne, aux États-Unis, dans les pays du Golfe, mais surtout au Canada. Ce pays a, en effet, multiplié les demandes de recrutement de professionnels de santé depuis la pandémie de Covid-19. De nouveaux programmes ont été spécialement mis en place pour séduire les médecins et infirmiers étrangers. «Il est aujourd’hui plus “facile” pour les cadres de santé d’accéder au Canada. Moi, qui suis arrivé en 2016, j’ai mis cinq années pour que ma candidature soit acceptée. Mais grâce aux programmes disponibles actuellement, il suffit d’avoir quelques années d’expérience et de remplir des critères simples pour décrocher son visa. La plupart des recruteurs prévoient tout, pour épargner à leurs futurs employés les problèmes qu’un nouvel arrivant peut rencontrer. Il s’occupe du logement, de l’école pour les enfants et même parfois leurs vêtements et fournitures scolaires», témoigne A., jeune infirmier diplômé d’État au Maroc et établi au Québec depuis 6 ans. «Je ne regrette absolument pas ma décision de m’être m’installé ici. Je travaille aujourd’hui dans de bonnes conditions. En plus, mes supérieurs, les citoyens et même l’État ne cessent de démontrer leur reconnaissance envers les professionnels de la santé. J’ai aussi un bon salaire qui me permet de vivre confortablement, de me divertir, de voyager… et le plus important quand on commence à avancer dans l’âge et qu’on fonde une famille, c’est de ne pas se soucier de l’accès à des soins de qualité et une bonne éducation. Et c’est justement le cas ici au Canada».

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