En plein débat sur la nécessité de réformer le Code de la famille, l’affaire de détournement de fonds de l’agence de Tiznit remet sur la table la question relative à la garde des enfants en cas de divorce. Faisant l'objet d'un chantage, la directrice de ladite agence a dû céder en payant des sommes conséquentes à son maître-chanteur, et ce par peur de perdre la garde de sa fille pour cause de relation illicite. L’affaire a suscité différentes réactions sur les réseaux sociaux : entre ceux qui défendent le droit à la femme de vivre sa vie comme elle le veut et ceux qui estiment qu’une relation illicite en fait d’elle un mauvais exemple pour son enfant. Mais, une chose est sûre c’est que cette affaire n’est pas un cas isolé.
De l’avis de Jalal Hakimi, avocat au barreau de Casablanca, s’engager dans une relation illicite pourrait bel et bien priver la femme de son droit à la garde de son enfant. Et d’expliquer que la rectitude et l’honnêteté sont deux éléments requis sur le plan juridique pour permettre à la femme de bénéficier de son droit à la garde. Mais qu’en est-il du mariage de la mère ? C’est là où le vrai débat surgit ! Eh oui, une mère peut perdre le droit à la garde si elle décide de refaire sa vie dans le «halal» en se remariant. «En cas de divorce, le remariage de la mère constitue une cause de déchéance du droit à la garde des enfants si le nouvel époux n’est pas un parent de l’enfant avec lequel il a un empêchement à mariage ou s’il n’est pas son représentant légal», explique Jalal Hakimi.
Paradoxalement, le fait que le père de l’enfant se remarie une nouvelle fois, de son côté, ne lui enlève pas le droit de garde. Force est de reconnaître ainsi que l’esprit d’égalités pour la garde des enfants après le divorce n’est pas respecté. Des voix s’élèvent pour un changement imminent de la situation. Contactée par «Le Matin», Aatifa Timjerdine, vice-présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), estime que cette problématique doit être traitée le plutôt possible, car si l’homme a le droit de refaire sa vie, cela doit être aussi le cas pour la femme. La militante associative estime aussi qu’il est temps de revoir la Moudawana dans sa globalité tout en adoptant une approche moderniste, tenant compte des évolutions qu'a connues la société marocaine ces dernières années. Ce point de vue a été partagé par Mohamed Abdelouahab Rafiqui, président du centre Almizane pour la médiation. Pour lui, la Mudawana doit être remaniée en profondeur du fait que le modèle familial ne ressemble plus à celui des générations précédentes. Concernant la dévolution de la garde de l’enfant en cas de remariage de la mère, Abdelouahab Rafiqui pense qu’il est injuste de ne pas permettre à l’enfant de vivre avec le nouveau mari de sa mère et de lui autoriser de vivre avec la nouvelle femme de son père. Notre interlocuteur alerte aussi sur le fait que des hommes abusent de cette loi et l’utilisent pour faire pression à leurs ex-femmes.
La parité est de mise…Les requêtes concernant la garde des enfants après le divorce émanent aussi des pères qui appellent à l’instauration de la garde au nom aussi de la parité. «En cas de divorce, le père se voit contraint de se contenter des quelques heures de droit de visite qui lui sont accordées par le tribunal ce qui est porteur d’une grande injustice», regrette un papa au «Matin». Pour lui, il est temps de penser à instituer la garde alternée d'autant que les motivations sur lesquelles on se basait pour accorder systématiquement la garde aux mères ne sont plus de mises. «La femme marocaine a beaucoup évolué sur le plan professionnel. Elle travaille et ne dispose plus nécessairement du temps lui permettant de se consacrer dûment à son enfant», souligne un autre papa.Une précision d’importance : Outre la garde de l’enfant, d’autres sujets posent aussi problème en cas de divorce comme la détermination de la pension alimentaire pour les enfants et la tutelle légale. En effet, si le législateur a accordé la garde des enfants à la mère suite au divorce, il a en revanche laissé la tutelle légale aux pères. D’ailleurs, une mère divorcée ne peut pas ouvrir un compte bancaire pour son enfant, ni lui demander un passeport ou un visa, par exemple, sans l’accord du père. Cela laisse le champ libre au père pour faire encore plus de pression sur elle par le biais de ce pouvoir. Des problématiques auxquelles il va falloir s’attaquer rapidement préserver l’intérêt et l’équilibre de l’enfant. À noter que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait annoncé, vers la fin de 2021, qu’un projet de modification du Code de la famille est en cours de préparation. Mais pour le moment, rien n’a changé. La Moudawana devra, certes évoluer, mais pas dans un sens qui renforcerait les droits des uns au détriment de ceux des autres, mais dans un sens qui tient compte avant tout de l’intérêt de l’enfant.
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Avis de Leila Naim, docteur en psychologie de comportement et coach«En cas de divorce, la garde des enfants est généralement le problème le plus difficile à gérer pour les deux ex-époux. Sur le plan psychologique, les parents doivent, coûte que coûte, éviter d’intégrer l’enfant dans les conflits. L’idéal serait qu’ils privilégient le mode de garde alternée qui permet à l’enfant de grandir à côté de sa maman, mais aussi de son papa. Les deux parents doivent l’accompagner dans son évolution, car il ne s’agit pas finalement de punir un parent parce qu’il a fait le choix de refaire sa vie. Il faut savoir qu’après le divorce, chacun des parents a le droit de refaire sa vie sans culpabilisation et que l’enfant n’a pas besoin de parents parfaits, mais plutôt de parents épanouis. Au Maroc, malheureusement, on ne cherche pas à réussir la période du divorce et c’est ce qui pourrait avoir des impacts très sérieux sur les enfants. Des impacts qui vont l’accompagner durant toute sa vie modifiant sa vision des choses, ses décisions et son comportement».