Le mariage des mineurs est un fléau très complexe, notamment à cause des exceptions incluses dans certains articles du Code de la famille qui permettent d’accorder «facilement» des autorisations aux demandeurs. De plus en plus d’associations et d’organisations de défense des droits de l’Homme appellent à abroger ces articles pour changer la donne. Dans ce sens, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a réalisé, en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour la population au Maroc (UNFPA), une étude sur les justifications judiciaires approuvées pour le mariage des mineurs. Cette étude, dont les résultats ont été présentés lundi dernier à Rabat, vise, entre autres, à analyser les motifs adoptés par les juges autorisant le mariage des mineurs.
Il faut plus de rigueur dans les autorisations au mariage des mineurs délivrées par les tribunaux
«Le mariage des filles mineures est passé d'une exception à une règle en raison du taux élevé des autorisations accordées par les tribunaux pour ce type de mariage», souligne cette étude qui cite les 10 principaux motifs évoqués par les magistrats pour justifier l’approbation des demandes de mariage des mineurs.
Il s’agit de la prise en considération des mœurs et traditions, la protection de la fille orpheline, les liens familiaux avec le mari, la déscolarisation des filles, les conditions économiques et l’amélioration du niveau de vie, l’atteinte de l’âge réel du mariage estimé à 16 ans, la maturité des filles et leur capacité à assumer les responsabilités du mariage, la volonté d'éviter le mariage illégal et les relations sexuelles hors mariage et, enfin, marier l’enfant violée à son violeur.
Cette étude montre, par ailleurs, que 88,24% des juges chargés d’autoriser ou rejeter une demande de mariage des mineurs sont des hommes. Près de 45% d’entre eux sont âgés de 30 à 45 ans et près de 30% ont entre 45 et 60 ans. S’agissant du niveau d’études des juges, l’étude montre que 35,29 d’entre eux ont obtenu une licence, 41,18% disposent d’un master ou d'un diplôme équivalent, alors que 23,53% ont un doctorat. L’étude souligne, en outre, que 76,47% de ces juges ont un diplôme en droit privé et 23,53% ont un diplôme en Chariaa.
Des audiences "expéditives" pour autoriser le mariage des mineurs
L’étude du CNDH a également évalué la fréquence des audiences concernant le mariage des mineurs. Quelque «58% des participants à cette étude ont affirmé que les audiences tenues par les tribunaux de première instance pour statuer sur les demandes de mariage des mineurs ont lieu quotidiennement, 29% parlent d’une séance deux fois par semaine et 11% disent une séance par semaine», indique l’étude. Et d’ajouter que «58% des répondants ont souligné qu’il n’y a pas d’horaires fixes pour la tenue des audiences, ce qui laisse la liberté aux parents de soumettre leurs demandes pour les marier à tout moment. Ils peuvent ainsi effectuer toutes les procédures ordonnées en une journée et avoir rapidement leur accord». On apprend également que les assistants sociaux se déplacent rarement en dehors des tribunaux pour réaliser l’enquête sociale. Ainsi, 76% des participants à l’étude affirment que cette enquête a lieu au sein du tribunal alors que 23% seulement la réalisent en dehors. «Seuls 30% des assistants sociaux affirment assister aux audiences pour écouter les jeunes filles, alors que 70% ne le font pas, car il n’y a pas de textes juridiques qui leur imposent de le faire. Certains estiment aussi que leur rôle commence lorsque le magistrat leur demande de réaliser l’enquête sociale. Les résultats de l’étude montrent d’ailleurs que 53% des enquêtes sont menées par les juges et seulement 32% sont réalisées par les assistants sociaux».
Concernant l’examen médical, 76% des répondants à cette étude indiquent que seule la présentation d’un certificat médical est suffisante pour déterminer que la jeune fille est apte pour le mariage. Seuls 24% exigent un rapport détaillé. 58% des répondants assurent aussi que la réponse aux demandes de mariage des mineurs est obtenue le jour même et seulement 11% disent que la procédure peut durer plus d’une semaine. En cas de refus, 47% des parents ou tuteurs préfèrent déposer une nouvelle demande au lieu de déposer un recours contre décision auprès de la Cour d’appel. Ils savent que de cette façon, ils auront moins de frais à dépenser, mais surtout ils ont plus de chances d’obtenir un accord. En effet, l’étude montre que 70% de ces nouvelles demandes sont acceptées, tandis que 88% des juges affirment ne pas donner suite aux recours contre décision. Enfin, les auteurs de l’étude ont formulé quelques recommandations pour combattre ce fléau. Ils ont notamment appelé à supprimer l’exception qui autorise le mariage des mineurs, appelant à criminaliser ce phénomène.
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