Le Matin : Que vous inspire ce déplacement, compte tenu du caractère stratégique du partenariat entre Rabat et Paris, mais aussi compte tenu de l’évolution récente des relations entre les deux pays ? Certains milieux parlent même d’une crise latente, mais aucune déclaration officielle, des deux côtés, n’est venue confirmer ou infirmer cela. Que pourriez-vous nous dire à ce propos ?
Catherine Colonna : La relation avec le Maroc est exceptionnelle, au sens propre du terme. Pour donner des exemples concrets qui parlent d’eux-mêmes, je vous donnerai les chiffres suivants : nous avons plus de 46.000 étudiants marocains en France – la première nationalité – et 46.000 élèves dans les établissements français au Maroc ! Bien souvent, les étudiants marocains étudient dans des filières particulièrement sélectives. Nous comptons par ailleurs plus de 1.000 filiales d’entreprises françaises au Maroc. «Partenariat d’exception» : c’est bien la formulation qu’il convient d’utiliser pour qualifier la qualité de notre relation si particulière !
Ces derniers mois, il est vrai que beaucoup ont parlé d’un coup de froid et se sont plu à faire des commentaires négatifs sur nos relations. Depuis ma prise de fonctions, je me suis attachée à nouer des relations de confiance avec mon homologue, Nasser Bourita, nous échangeons fréquemment et sincèrement. Nous avons toujours su nous parler franchement et faire avancer ensemble les dossiers sensibles que nous avons en commun.Aujourd’hui, ma visite fait suite aux échanges entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président de la République, Emmanuel Macron. Je suis très heureuse d’être reçue en fin de matinée par le ministre des Affaires étrangères, de la coopération Africaine et des Marocains résidant à l’étranger pour évoquer notre partenariat, mais aussi les questions d’actualité internationale, comme la guerre d’agression de la Russie en Ukraine, la sécurité alimentaire en Afrique, les défis environnementaux et énergétiques. Notre entretien s’annonce très riche. Nous sommes tous les deux aussi déterminés à renforcer notre relation bilatérale, tous les deux sur la même longueur d’onde ! Nous évoquerons également la visite d’État que le Président de la République effectuera en réponse à l’invitation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
L’octroi des visas a été un des points de divergence en 2021 entre le Maroc et la France. La décision de la France de le réduire de 50% a été jugée par le Maroc «injustifiée». Cela pose des problèmes liés aux études, à l’hospitalisation, au business… en France. Cette question des visas sera-t-elle traitée lors de votre visite ? À quand un retour à la normale ?
C’est évidemment un sujet important, qui a fait l’objet de nombreux échanges entre nous. Je me réjouis que nous revenions à une pleine coopération consulaire. C’est important pour ramener les échanges humains entre nos deux pays au niveau reflétant l’imbrication profonde de nos deux sociétés. Ces échanges sont et resteront le socle de notre relation bilatérale, le moteur premier de son approfondissement continu.
La présence économique de la France dans le Royaume ne cesse de se renforcer. Mais Paris a perdu ces dernières années sa prééminence au profit d’autres pays. Comment expliquez-vous cela ? Peut-on s’attendre lors de de votre visite à l’annonce de nouveaux partenariats économiques ?
Il faut replacer les choses dans leur contexte. Et le contexte économique actuel est inédit : c’est un contexte de crises multiples, dans lequel nous avons à faire face à la Covid, la guerre de la Russie en Ukraine, la hausse des prix de l’énergie, etc. Ces crises violentes mettent en lumière les unes après les autres les fragilités de l’économie mondiale. Dans ce monde incertain, le maître mot, c’est la résilience. Le Maroc diversifie ses partenariats commerciaux, c’est ce que nous faisons tous, c’est ce qu’il faut faire, c’est normal et sain pour l’économie de nos pays.
Donc il s’agit moins de classement, de regarder qui est premier ou deuxième selon les moments, que de résilience dans un monde en perpétuelle évolution. Nos relations sont exceptionnelles et la France reste le premier partenaire du Royaume à bien des égards : elle est par exemple le premier investisseur étranger au Maroc. Il y a, je le répète, 1.000 filiales françaises implantées au Maroc, qui génèrent près de 100.000 emplois directs. Les échanges commerciaux et les collaborations continuent de s’intensifier, dans l’ensemble des secteurs de l’économie marocaine. Notre relation est une relation moderne et équilibrée, nous y gagnons des deux côtés de la Méditerranée !
Concrètement, dans quels domaines coopérons-nous ? D’abord, dans des domaines bien connus : l’industrie automobile, l’aéronautique, le ferroviaire, les énergies renouvelables, la ville durable. Mais nous souhaitons aussi impulser une dynamique nouvelle dans des secteurs tels que la décarbonation de nos économies, qui est au cœur du plan de relance français et du plan «France 2030», comme du nouveau modèle de développement marocain, la mobilité verte, l’innovation et le développement technologique. Enfin, l’ouverture vers l’Afrique est une ambition commune à nos deux pays. Mais nous ne sommes pas en compétition, loin de là. Il y a donc beaucoup de convergences, et beaucoup de potentiel. Nous continuerons à nourrir ce volet économique, volet fondamental pour nos deux pays. Les questions économiques occuperont, bien évidemment, une place importante lors de la visite d’État du Président de la République.Après la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur le Sahara, beaucoup de pays ayant eu des positions peu claires sur cette question ont adopté des positions soutenant le plan d’autonomie sans équivoques. Mais la France s’est fait remarquer par le maintien de la même position qui n’a pas évolué depuis 2007. Qu’est-ce qui explique cela selon vous ? Et peut-on espérer un soutien plus franc et plus fort à la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud, compte tenu des changements géopolitiques dans la région ?
La position de la France n’est pas équivoque. Elle est claire et elle est constante. Nous soutenons le cessez-le-feu. Nous soutenons les efforts de médiation de l’envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Sahara, la reprise des négociations entre les parties en vue d'une solution juste et réaliste, et l’action de la Minurso pour prévenir les tensions sur le terrain et garantir la stabilité de la région, conformément à la résolution 2602 du Conseil de sécurité des Nations unies. C’est d’autant plus important que le cessez-le-feu a été rompu.
Quant au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007, nous n’avons pas attendu la décision de tel ou tel pays pour le soutenir. Notre position est claire et connue. Depuis le départ, c’est une position clairement favorable au Maroc, que nous répétons partout. C’est une position que nous nous employons depuis quinze ans à expliquer et à propager dans toutes les enceintes, avec tous nos partenaires. Et je dois dire que nous avons été souvent isolés sur ce sujet, y compris au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, où le Maroc sait qu’il peut compter sur l’appui et le soutien de la France. Donc, il faut être clair : c’est la France qui a permis et qui permet que le consensus sur ce sujet s’étende. L’urgence, désormais, alors que les tensions refont surface, est de parvenir à une solution politique juste, durable, mutuellement acceptable, qui respecte l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. L’urgence, c’est de calmer les tensions, c’est d’éviter tout dérapage. Et le Maroc peut évidemment compter sur la France.>> Lire aussi : Visas Schengen, mission française, Sahara... Entretien avec Hélène Le Gal>> Lire aussi : France : L’Elysée dévoile la composition du nouveau gouvernement