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Les prématurés, ces petits guerriers dont on ne parle pas assez

Au Maroc, les bébés qui naissent prématurément représentent 7 à 8% des naissances et si on y ajoute les bébés nés à termes, mais avec un faible poids de naissance, ce taux atteint les 18%. Dans le monde, on estime que 15 millions d’enfants naissent avant le terme chaque année, soit plus d’une naissance sur dix, et plus de 20 millions d’enfants présentent un faible poids de naissance.

Les prématurés, ces petits guerriers dont on ne parle pas assez

La prématurité est un problème de santé publique dont on ne parle pas beaucoup. Pourtant, chaque année, des millions de bébés naissent prématurément. À peine arrivés au monde, ces petits guerriers, dont le poids est souvent inférieur à 1 kg, doivent surmonter plusieurs situations aussi difficiles les unes que les autres pour rester en vie. Leurs parents, quant à eux, sont remplis d’émotions contradictoires et se sentent perdus entre le choc, la peur, le stress, l’espoir… Ils n’ont qu’une hâte : voir le bout du tunnel, prendre leur bébé dans leur bras pour démarrer enfin une vie «ordinaire» à ses côtés. Il s’agit d’une expérience totalement imprévisible qui les marquera à vie. Ils répètent d’ailleurs souvent qu’il y aura toujours un avant et un après-prématurité.

Les naissance prématurées, un problème mondial

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce problème de santé publique constitue aujourd’hui la principale cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans. À l’occasion de la Journée mondiale de la prématurité (17 novembre), l’Organisation a souligné que le taux de naissances prématurées est en hausse dans le monde. On estime que 15 millions d’enfants naissent avant le terme chaque année, soit plus d’une naissance sur dix, et plus de 20 millions d’enfants présentent un faible poids de naissance. Au Maroc, la situation suit plus ou moins la tendance mondiale. «Les statistiques disponibles montrent que 7 à 8% des bébés au Maroc naissent prématurés. Mais lorsqu’on parle des populations vulnérables, on doit également inclure les bébés nés à terme, mais avec un faible poids de naissance. Cette population représente 11% des naissances au Maroc. Ce qui veut dire que les nouveau-nés qui naissent avec un faible poids de naissance inférieur à 2,5 kg représentent à peu près 18% des naissances marocaines. Ce taux est énorme et nécessite une attention particulière pour mettre au point des filières, des programmes et protocoles de prise en charge adaptés dans le but de réduire la mortalité et la morbidité que présente cette population», déclare au «Matin» Pr Amina Barakat, chef de service de médecine et réanimation néonatales au sein du Centre national de référence en néonatologie et en nutrition, à l’Hôpital d’enfants de Rabat. Pr Barakat indique que dans un service de néonatologie comme celui qu’elle dirige et qui dispose de 76 places, les prématurés et les nouveau-nés de faible poids de naissance constituent à peu près 40% des admissions annuelles, soit environ 1.400 bébés admis chaque année. 

Plusieurs raisons peuvent être à l’origine d’une naissance prématurée 

Il faut savoir que plusieurs raisons peuvent être à l’origine d’une naissance prématurée et cela peut avoir des conséquences très graves sur la santé du bébé. «Une naissance prématurée est généralement décidée en raison d'un risque de décès du fœtus ou de la mère au cours de la grossesse. Les causes les plus fréquentes sont les grossesses multiples, la rupture prématurée de la poche des eaux, la béance du col de l’utérus ou une infection maternelle. La gravité de l’état du nouveau-né est proportionnelle à la précocité de l’accouchement et donc de l’âge gestationnel qui varie souvent entre 32 et 37 semaines d’aménorrhée», nous explique Dr Hassan Afilal, président de la Société marocaine de pédiatrie (SMP). «Le poumon de l’enfant peut être totalement fermé ne lui permettant pas de respirer et donc nécessite des médicaments et parfois une assistance respiratoire. L’adaptation à la vie extra-utérine peut aussi être très difficile avec un cerveau qui est immature et qui ne contrôle pas bien la respiration. Le manque d’oxygène peut avoir des conséquences gravissimes sur le devenir des nouveau-nés. Leurs intestins sont aussi intolérants parfois à l’alimentation et ne permettant pas une nutrition adaptée», développe le médecin.

La prise en charge du nouveau-né, l'élément déterminant 

Ce dernier insiste sur l’importance de la préparation de la prise en charge à la naissance et son adaptation à l’état de l’enfant. «La concertation avec l’obstétricien permet de connaître l’âge gestationnel et le poids de l’enfant, ce qui permet d’anticiper la réanimation. Malheureusement, les centres marocains ne sont pas assez nombreux pour absorber toutes les naissances prématurées et les différentes situations de détresse vitale qui existent aussi chez le nouveau-né à terme. Le matériel nécessaire et le personnel compétent ne sont pas suffisants pour faire face à toutes les situations. D’après les dernières statistiques, le Maroc ne dispose que de 350 places de réanimation néonatale, publique et privée confondues, ce qui est largement insuffisant», regrette Dr Afilal.
Et comme si la difficulté de dénicher une place dans un service de néonatologie n’était pas suffisante, les parents doivent aussi se débrouiller pour trouver les moyens afin de payer les frais de l’hospitalisation de leur bébé qui peut durer des mois. En effet, les tarifs appliqués pour la prise en charge des bébés prématurés sont très chers en raison des coûts élevés des soins et du matériel utilisés. Dans le secteur privé, le prix d’une nuitée passée au service de réanimation varie entre 5.000 et 10.000 DH, selon les cliniques, tandis qu’une nuit aux soins intensifs coûte entre 2.500 et 4.500 DH. «Les couvertures par les différentes caisses sociales et assurances sont bien en dessous du véritable coût de la réanimation néonatale. Cela engendre un manque à payer énorme qui reste à la charge des parents qui n’ont pas toujours les moyens. La couverture sociale ne permet pas actuellement de couvrir les frais et la seule solution est de réviser le tarif national de référence qui ne laisserait pas les parents seuls dans une situation désespérée financièrement en plus du traumatisme psychologique qu’engendre le doute sur l’avenir neurologique et vital de leur enfant», souligne Dr Hassan Afilal.

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Questions à Amina Barakat, chef de service de médecine néonatale à l’Hôpital des enfants de Rabat

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans la prise en charge des bébés prématurés ?
Les difficultés de prise en charge des prématurés sont liées à plusieurs facteurs. Le premier facteur est lié à la qualité de la prise en charge en amont. En effet, quand une femme risque de faire un accouchement prématuré, il y a un nombre de protocoles qu’il faut mettre en place tels que la prévention de l’infection grâce à une antibiothérapie adaptée, la maturation pulmonaire en administrant à la mère la corticothérapie ou encore une neuro-protection fœtale grâce au sulfate de magnésium. Ces protocoles ont montré leurs preuves dans la réduction de la mortalité et des maladies graves chez ces nouveau-nés. Le problème que nous rencontrons est que ce genre de protocole n’est malheureusement suivi que dans 10 à 15% des cas. Pour améliorer la prise en charge de ces bébés, il faut absolument généraliser l’utilisation de ces protocoles lors des menaces d’accouchement prématuré.

Le deuxième problème que soulève cette population est la qualité du transfert. Normalement, lorsqu’une femme est en menace d’un accouchement prématuré, surtout lorsqu’il s’agit d’une grande prématurité inférieure à 34 semaines d’aménorrhée, l’idéal est qu’elle accouche dans un niveau tertiaire, c’est-à-dire dans un hôpital qui dispose d’un service de réanimation et soins intensifs néonatals. Ceci suppose un bon suivi de grossesse et une orientation préalable qui permettra de faire le transfert du bébé dans «l’utérus de la femme». Malheureusement, ce n’est souvent pas le cas. On se retrouve généralement avec des bébés prématurés en détresse vitale qui naissent dans des structures où il n’y a pas de service de néonatologie et qui sont obligés d’être transférés à un niveau tertiaire. Ce transfert devrait normalement respecter un certain nombre de recommandations et de bonnes pratiques à savoir le maintien des chaînes de chaleur, d’asepsie, de sucre et d’oxygène au besoin, mais également la chaîne de communication. Il faut toujours veiller à informer le niveau supérieur de l’arrivée du bébé pour se préparer à le prendre en charge dès son arrivée. Et il faut aussi communiquer avec la famille et leur expliquer les raisons de ce transfert et à quoi faut-il s’attendre par la suite.
L’autre problème est lié à la rareté des unités et des services de néonatologie au Maroc. Il s’agit d’un grand problème sur lequel le ministère de la Santé se penche actuellement. Il est fondamental et urgent de définir une filière néonatale et de déterminer le circuit que doit parcourir un nouveau-né en précisant les responsabilités de chaque niveau. Il est également urgent de mettre en place des unités de différents niveaux pour permettre une prise en charge adaptée du nouveau-né et éviter les transferts inutiles et l’encombrement des niveaux tertiaires.

Est-ce que ces difficultés peuvent avoir un impact sur la santé du bébé sur le long terme ?
À l’évidence, les nouveau-nés prématurés et les nouveau-nés de faible poids de naissance sont une population à risque de présenter des séquelles neuro-développementales. Les bébés les plus vulnérables sont ceux qui sont les plus immatures ou qui ont eu des circonstances périnatales avec des morbidités sévères. Ils vont nécessiter un suivi assidu à long terme. C’est pour cette raison que nous avons créé au niveau du centre national de référence en néonatologie de Rabat, le CAMPS (Centre d’aide médico-psycho-sociale). C’est un centre qui réunit des compétences multidisciplinaires (pédiatres, psychologues, rééducateurs, orthophonistes, psychomotriciens, ORL, ophtalmologues…) pour faire le suivi des enfants prématurés en particulier, et leur assurer une prise en charge multidisciplinaire, après avoir quitté le service de néonatologie.

Est-ce que la pandémie Covid-19 a eu un impact sur la prise en charge de ces bébés ?
En dehors du stress qu’elle a engendré pour l’ensemble des professionnels de la santé, la pandémie Covid-19 n’a rien changé à notre activité puisque nous avons gardé les mêmes attitudes et conduites. La capacité litière n’a pas été restreinte et nous avons continué à travailler avec la même cadence qu’avant la pandémie. Nous avons, en revanche, mis en place des protocoles pour la prise en charge des nouveau-nés de mamans qui étaient touchées par la Covid-19 pendant la grossesse ou au proche de l’accouchement. Il nous est également arrivé de prendre en charge des nouveau-nés atteints de la maladie. Heureusement, ils se sont tous bien améliorés. C’était une autre difficulté qu’il fallait surmonter rapidement, on peut dire aujourd’hui, avec le recul, que nous nous en sommes bien sortis. Et à ce propos, je souhaite rendre hommage à l’ensemble de l’équipe soignante du Centre de néonatologie et de la maternité du CHU.

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Le Maroc sur la voie de la généralisation de la méthode «mère kangourou»


À l’occasion de la Journée mondiale de la prématurité, célébrée le 17 novembre dernier, l'OMS a recommandé de pratiquer la méthode «Soins mère kangourou» (SMK) immédiatement après la naissance d'un enfant prématuré ou de faible poids de naissance. Cette méthode consiste à hospitaliser les mamans avec leurs bébés qui ne souffrent pas de pathologies sévères de façon à ce que ces derniers soient mis sur la poitrine de la mère et restent en contact peau contre peau. Ils sont nourris au sein à volonté. «Avec le respect des règles de chaleur et d’hygiène, cette méthode, recommandée par l’OMS, contribue à la bonne santé et au bien-être des prématurés. Elle réunit tous les ingrédients nécessaires pour le développement et la croissance de ces enfants dans les meilleures conditions. L’un des points forts de cette technique réside dans la facilité de sa mise en place et les coûts faibles de ces soins», explique Pr Amina Barakat. Cette dernière souligne que cette méthode est aujourd’hui l’une des techniques utilisées à l’échelle nationale pour la prise en charge des nouveau-nés prématurés ou de faible poids de naissance. En 2016, le centre de médecine et réanimation néonatale du CHU Ibn Sina à l’Hôpital des enfants de Rabat a mis en place une unité SMK, grâce à la mobilisation de l’équipe soignante au sein du centre. «Cette unité d’une capacité de 11 lits nous a permis de gérer des centaines de nouveau-nés de faible poids de naissance en présence de leurs mamans. La réussite de cette initiative nous a conduits avec l’appui de l’Unicef et sous les directives de la Direction de la population relevant du ministère de la Santé, à mettre en place une étude pilote dans la région de Béni Mellal-Azilal-Khénifra dans la perspective de la généraliser. Cette initiative a connu un grand succès et trois nouvelles unités ont été mises en place dans les villes de Béni Mellal, Azilal et Demnate à partir de mars 2022. Une unité SMK a aussi ouvert à Tétouan», déclare Pr Barakat. «Le succès de ces unités nous a amenés à partager cette expérience avec les décideurs et représentants des douze régions du Maroc, à l’occasion des journées de prématurité célébrées la semaine dernière. Ensemble, nous avons mené une réflexion pour définir les moyens de généraliser cette initiative dans différentes structures à l’échelle nationale en l’adaptant aux particularités de chaque région. Nous avons mis en place un protocole de suivi qui unit les douze régions afin d’aboutir à une généralisation progressive des “soins mère kangourou”. L’objectif à travers toute cette dynamique est de créer une conscience néonatale pour la prise en charge de cette population vulnérable, de former des compétences qui s’intéressent à la thématique et surtout de mettre en place des soins de qualité», ajoute-t-elle.
Il est à souligner que les «soins mères kangourou» permettent de diminuer la mortalité des nouveau-nés de faible poids de naissance, réduire les séquelles sur leur santé et améliorer leurs scores de développement aussi bien staturo-pondéral que psychomoteur. Ils permettent aussi d’éviter la triste séparation de la mère et l’enfant que nous considérons comme une maladie. La présence de la mère et la disponibilité du lait maternel permettent de garantir deux facteurs primordiaux incontournables du succès de la prise en charge des bébés prématurés.
 

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