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La triste réalité des hôpitaux publics de psychiatrie au Maroc

La situation est alarmante à l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil. Les 145 patients ne sont pris en charge que par un seul psychiatre. On y souffre d’un manque inquiétant de ressources humaines et de médicaments. A contrario, et avec une facture journalière de 2.000 DH, les patients des cliniques privées sont nettement mieux pris en charge. «Matin TV» a visité les deux types de structures, pas pour comparer l’incomparable, mais pour attirer l’attention sur une triste réalité, celle des hôpitaux publics de psychiatrie au Maroc.

Impossible de quitter l’hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil sans être profondément bouleversé par la situation. Le regard des pensionnaires, tantôt absent et hagard, tantôt suspicieux et anxieux, en dit long sur leur souffrance. Le patient X, un jeune homme âgé de 33 ans, marié, père d’un enfant de 8 ans et infographiste de formation, est l’un d’entre eux. Cela fait pratiquement sept ans qu’il est régulièrement admis dans cet hôpital à cause d’une maladie liée à l’addiction à la drogue. M. X, qui n’a pas souhaité dévoiler son nom, est souvent interné par sa famille, quand il a des comportements violents. Le seul psychiatre qui officie dans cet hôpital, Dr Khalid Ouqezza, accompagné de quelques infirmiers, l’aide à se calmer en le plaçant d’abord dans le pavillon des personnes à risque. Une fois stabilisé, il est ramené au pavillon des malades qu’on prépare à la sortie. Il y reçoit le traitement nécessaire et quitte l’hôpital dès que l’on s’assure qu’il n’est plus violent. C’est au sein du service dédié à l’addictologie qu’il est pris en charge. En principe, le cas de ce patient nécessite un suivi du processus de guérison dans l’un des centres d'addictologie qui sont d’ailleurs peu nombreux. À défaut, sa situation s’aggrave et il redevient violent puis il est encore ramené à ce même hôpital. Un cercle vicieux !

L’addiction à la drogue n’est que l’une des causes d’admission à l’hôpital psychiatrique. Dr Oukezza nous explique que la plupart des patients, dont la majorité sont des jeunes, sont admis pour cause de schizophrénie. Une maladie qui se caractérise par une distorsion de la pensée et de la perception et une perte du contact avec la réalité. «Elle concerne aujourd’hui 1% de la population», selon Dr Mohamed Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste. Les symptômes de la maladie apparaissent à l’âge de l’adolescence et sa prise en charge est lourde. Dr Ouqezza, qui est d’ailleurs lui-même le directeur de l’hôpital Arrazi de Tit Mellil, nous affirme que d’autres maladies sont de plus en plus prises en charge au sein de l’établissement. Il s’agit, entre autres, des troubles bipolaires et de l’anxiété. Ces patients trouvent des difficultés à accéder aux soins, malgré les efforts du personnel soignant, dont effectif est très réduit, pour optimiser les conditions de prise en charge de ces patients dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Absence de conditions favorables à la guérison

Le manque d’effectifs dans les hôpitaux publics est une réalité qui rend la prise en charge des maladies psychiatriques handicapantes. Mais cela ne constitue que la partie visible de l’iceberg. Le manque d’hygiène et d’activités compliquent également la situation. Le patient, censé se reposer dans un endroit calme et tranquille, se voit obligé de partager la chambre et les espaces sanitaires avec au moins un autre patient. C’est du moins ce que nous avons constaté sur place. On note aussi une quasi-absence d'activités. L’hôpital ne dispose que d’une salle de jeux et une autre pour regarder la télé.

Par opposition à cette ambiance de prison que nous avons constatée à l'hôpital, la clinique privée est un paradis qui n'est malheureusement pas accessible à tous. Dans cette structure, chaque patient est amené à exercer plusieurs activités, ce qui facilite sa guérison. La clinique dispose aussi de différentes spécialités. Sans grande surprise, le nombre de malades hospitalisés dans cette clinique est faible par rapport à celui observé dans le public. Ceci est tout à fait normal au vu du coût élevé de l’hospitalisation dans le privé et qui varie de 2.000 à 3.000 DH par jour. Un prix que Dr Tyal justifie par la qualité de la prise en charge et la disponibilité des soignants qualifiés.

Les médicaments, un autre combat

Les familles des patients hospitalisés pointent du doigt l’absence de certains médicaments au niveau de l’hôpital, alors que ceux-ci sont censés être mis à leur disposition gratuitement. «Ma fille souffre d’un trouble psychiatrique depuis 7 ans et cela fait pratiquement trois mois qu’elle n’a pas pris son traitement», s’inquiète une maman. Même inquiétude chez une autre maman qui, elle, doit rapidement et immédiatement donner à son fils le traitement nécessaire car, à défaut, il risque de devenir violent. Pour vérifier les déclarations de ces deux mamans, nous avons décidé de visiter les locaux de stockage des médicaments. À première vue, ceux-ci étaient bel et bien disponibles et en grande quantité. Mais que se passe-t-il alors ?

Le directeur de l’établissement, Dr Ouqezza, nous a expliqué que certains médicaments sont disponibles, mais d’autres peuvent effectivement être en rupture. «Le problème est qu’il est difficile de remplacer un médicament en rupture de stock par un autre, au risque de perturber le traitement», note-t-il. Les familles des patients approchés par «Le Matin» déplorent également les coûts jugés élevés des médicaments. «Les médicaments peuvent coûter jusqu’à 1.000 DH, voire plus, sachant qu’il y a une injection qui se fait par mois et qui coûte entre 2.500 et 3.000 DH», explique Dr Ouqezza.

Une maladie psychiatrique peut-elle guérir ?

Dr Ouqezza est quasi convaincu que «quand il y a une vulnérabilité génétique ou un problème biologique, la maladie psychiatrique devient parfois chronique et donc avec plusieurs efforts, on peut avoir un taux important de stabilisation, et non pas de guérison, avec un suivi régulier pour éviter tout risque de rechute». Pour lui, la guérison concerne plutôt les troubles anxieux et parfois réactionnels, notamment suite à un stress ou un problème majeur. Dr Thyal estime, de son côté, que les solutions existent pour soigner les maladies mentales, même celles qui sont très lourdes. «Ce n’est pas simple, mais il y a toujours des solutions», note-t-il, avant de préciser que les personnes souffrant de maladies lourdes sont stabilisées grâce à des traitements et la plupart d’entre elles peuvent guérir. Pour lui, il est impératif de donner la possibilité au citoyen de se faire aider dans l’environnement qu’il faut et avec les moyens et les aides nécessaires. Par ailleurs, les deux médecins insistent sur l’importance de l’implication des familles des patients, qui sont les éléments les plus importants dans le processus de prise en charge. Des associations sont mobilisées pour cette cause, mais beaucoup reste à faire.

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Ces chiffres qui choquent

En affirmant qu’il fait de la santé mentale l’une des priorités de son département, le ministre de la Santé et de la protection sociale, Khalid Aït Taleb, a annoncé des chiffres inquiétants :

• 343 psychiatres et 214 psychologues, dont 200 exerçant dans le secteur privé.

• 1.335 infirmiers psychiatriques.

• 16 pédopsychiatres.

• 14 assistants sociaux.

• 64 médecins formés à la prise en charge des addictions.

• 197 orthophonistes.

• 36 psychomotriciens.

Ces chiffres sont très en deçà des niveaux nécessaires pour assurer la prise en charge de la maladie mentale pour un pays comme le Maroc. L’accès aux soins demeure encore plus critique si l’on se réfère aux derniers chiffres dévoilés par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), dans son rapport annuel 2021. Ce dernier fait état d’une situation inquiétante dans les hôpitaux de santé mentale marocains, dont la capacité d’accueil est de 2.136 lits seulement pour 150.000 personnes souffrant de maladies mentales. Un chiffre en croissance depuis 2016, puisqu’en quatre ans, le Maroc a compté 50.000 nouvelles personnes atteintes de troubles mentaux, selon l’estimation communiquée à cette occasion.

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Quelle assurance pour les malades ?

Les soins et les médicaments nécessaires au traitement des malades placés sous surveillance d’un médecin de la santé publique sont à la charge de l’État, conformément au dahir promulgué le 30 avril 1959 dans ce sens. En revanche, l’hospitalisation dans une clinique privée coûte entre 2.000 et 3.000 DH par jour. Ce coût élevé couvre, selon les spécialistes, les différentes activités mises en place par les cliniques pour assurer, non seulement la stabilisation de l’état du patient, mais aussi et surtout la guérison du malade mental. En ce qui concerne le remboursement des frais, la réalité est choquante : une source bien informée nous confirme que de rares compagnies d’assurance ont commencé depuis quelques années à rembourser les frais d’hospitalisation, à hauteur de 40% maximum des frais déclarés. La famille du patient, une fois qu'il est admis dans la clinique, se voit obligée de payer la totalité des frais et demander par la suite le remboursement, mais encore faut-il que la compagnie d’assurance à laquelle le patient est affilié prenne en charge ce type de pathologie. Selon les spécialistes, ces carences doivent être corrigées, non pas en baissant les prix de l’hospitalisation dans les cliniques privées, mais en renforçant le mécanisme de l’assurance.

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L’addiction à la drogue, le grand danger

La santé mentale est souvent impactée par l’abus de drogues et de psychotropes. Ce phénomène ne cesse de s’amplifier au Maroc, à cause notamment des activités illicites des trafiquants qui varient les dangers : LSD, ecstasy, méthamphétamine, champignons hallucinogènes... Un autre type de drogue encore plus dangereux est de plus en plus consommé par les jeunes est le protoxyde d'azote, habituellement utilisé en anesthésie, chirurgie et odontologie comme adjuvant. Ce gaz incolore est vendu aux jeunes aux abords des établissements scolaires dans des capsules métalliques grises. Les effets qu’il provoque sont très rapides : sensation d’euphorie, hilarité, fou rire incontrôlable ou encore état onirique. Quelques mois après le début de consommation, des effets comme les troubles de la marche sont observés chez les jeunes. Il faut rappeler à ce propos les efforts des autorités relevant de la Direction générale de Sûreté nationale pour combattre ce fléau.

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