L'ouvrage «Quelques événements sans signification à reconstituer», avec le DVD du film de Mustapha Derkaoui restauré, réunissant une pléiade d'intellectuels, de cinéastes et d'artistes, restitue, document à l'appui, l'histoire de ce film interdit, pendant des années, puis retrouvé et restauré à Barcelone pour revivre une deuxième naissance à Berlin. Ensuite est venue l'idée d'en faire un livre pour dire ce qui s'est passé exactement concernant cette interdiction.
Mustapha Derkaoui disait à ce propos qu'il était content que son film soit interdit au lieu d'être censuré. Sachant qu'il a été diffusé clandestinement à Casablanca et Khouribga avant de retrouver sa nouvelle naissance, avec Léa Morin qui s'est occupée de la publication du livre. «Tout a commencé suite à ma rencontre avec Mustapha Derkaoui en 2014. Alors, j'ai commencé avec une série d'entretiens avec lui sur son premier film réalisé en 1974 et qui était plus visible grâce à une copie qui circulait, car il n'est jamais sorti officiellement ni montré dans un festival. Au fur et à mesure de la recherche, on a pu identifier les négatifs originaux qui étaient à Barcelone. C'est à partir de là qu'a été lancé le projet de la restauration du film.
«Quelques événements sans signification à reconstituer» dans les cinémas
À partir de 2019, le film a connu une nouvelle vie, avec une rediffusion à la Berlinale. Il reprend, ainsi, sa place dans le cinéma au Maroc et ailleurs. Il faut dire que les archives conservées par Abdelkrim Derkaoui étaient à l'origine de ce livre», raconte Léa Morin, curatrice s'intéressant aux modernités cinématographiques minorisées ou non alignées. Des entretiens, des lettres, un essai et des discussions constituent, ainsi, cet ouvrage qui évoque un peu l'époque où le film a été tourné. Tout en donnant de l'importance à la période de Pologne où les frères Derkaoui ont fait leurs études cinématographiques.
Pour les documents, il faut dire que c'est le frère de Mustapha Derkaoui qui a pu sauver l'histoire de ce film en conservant minutieusement tout ce qui avait un rapport avec. «Comme Mustapha n'était pas très organisé, j'étais chargé de garder toutes les photos, les albums, articles pour sauvegarder notre travail», affirme Abdelkrim. L'intellectuel et critique, Mohamed Gibril a, de son côté, précisé qu'avant même de sortir le film avait constitué un véritable événement à l'époque de son tournage. «Dans cette naissance extrêmement difficile et aléatoire de films marocains, il y a eu des choses tout à fait remarquables à travers la participation d'un grand nombre d'artistes, d'intellectuels, de poètes, de plasticiens, d'écrivains... Parce que ce film, déjà dans sa production, était un acte militant.
Et les autorités avaient déjà la puce à l'oreille avant même que le film ne soit sorti. Évidemment, les raisons de l'interdiction sont claires et avaient permis au film d'être mis au frigo au lieu d'être mutilé. C'est dans ce sens que ce film a eu de grands échos auprès des cinéastes et des créateurs, car pour une fois on a vu quelque chose de vraiment libre et qui osait dire les choses librement», précise Mohamed Gibril. Pour son mot écrit à l'assistance, Mustapha Derkaoui dit : «je suis un homme très chanceux, l'interdiction a fait que le film "de quelques événements sans signification" soit un film intéressant». Un débat très fructueux s'est déclenché suite aux interventions des participants à la présentation où plusieurs volets du film ont été abordés par des cinéastes et critiques, comme Hassan Benjelloun, Moulay Driss Jaidi, Amer Cherki, Mohamed Laâroussi pour ne citer que ceux-ci. Mais, avec une conclusion de Léa Morin qui indique que «beaucoup de cinéastes qui ont été soumis à la censure n'ont pas, en général, pu continuer, alors que Mustapha Derkaoui a réalisé plusieurs films après. Il faut dire aussi que cette interdiction a eu des effets sur son cinéma».
Lire aussi : Rencontre avec le réalisateur Hassan Benjelloun