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Personnes âgées : face à la vulnérabilité, le devoir d’une prise en charge humanisée

Plus de 6.200 personnes âgées sont aujourd’hui admises dans 70 centres de protection sociale au Maroc. Elles sont nourries, logées et globalement bien traitées… mais vivent une souffrance psychologique, car éloignées de leurs familles et de la vie sociale. «Le Matin» est allé à la rencontre de ces séniors dans les centres de protection sociale, ainsi que les professionnels qui les prennent en charge et le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille. Constat : la situation s’améliore, mais beaucoup reste à faire, notamment du côté des familles elles-mêmes.

Le nombre des personnes âgées au Maroc a atteint 4,5 millions en 2022, d’après les derniers chiffres du Haut-Commissariat au Plan (HCP). Ce chiffre devrait davantage augmenter pour arriver à 10 millions d’ici 2050, soit 23,2% de la population totale. Mais qu’a-t-on préparé pour cette catégorie qui exige une prise en charge médicale et sociale ? Nous avons posé la question aux différentes parties concernées notamment au sein des centres de protection sociale. Première escale, le Complexe social Dar El Kheir de Tit Mellil. Un centre très critiqué auparavant pour son insalubrité, mais qui depuis s’est beaucoup amélioré. En effet, nous avons pu constater les efforts consentis pour améliorer les conditions de prise en charge des personnes âgées. Mais que beaucoup reste encore à faire.

La souffrance physique et psychologique qui ronge les personnes âgées 

Sur le plan physique et médical, «la vieillisse se caractérise par l’apparition de différentes maladies comme les problèmes cardiaques (25%), les cancers (9,2%) et le diabète (6,2%)», souligne Dr Imad El Hafidi, président de l'Association A2G Europe Maroc (Alliance euro-marocaine de gériatrie et gérontologie) dans une déclaration accordée au quotidien «Le Matin». Dre Malika Hili, médecin généraliste au sein du Centre de santé Tit Mellil, abonde dans le même sens, mais tient, toutefois, à préciser qu’il est important d’accorder autant d‘attention aux maladies physiques qu’aux problèmes psychiques des personnes âgées. Ces problèmes, ajoute-t-elle, sont beaucoup plus fréquents ces dernières années et peuvent affecter le comportement, les habitudes de sommeil et les fonctions cognitives. «La situation devient encore plus difficile à gérer quand la personne âgée commence à souffrir de l’Alzheimer ou de la dépression», alerte-t-elle. Pour expliquer son constat, Dre Malika Hili avance que les personnes âgées sont, dans la majorité des cas, prisonnières de leurs propres histoires. «D’autres trouvent des difficultés à admettre qu’elles n’ont plus rien à fournir pour la société alors qu’elles étaient très sollicitées dans leur vie que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle», précise-t-elle. Pour la spécialise, l’entourage de la personne âgée doit jouer son rôle en matière de soutien et d’accompagnement.

Abandonner ses parents, un phénomène qui prend de l’ampleur au Maroc

Le diagnostic établi par le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille en 2022 indique que 6.229 personnes âgées sont prises en charge dans des centres de protection sociale. Le nombre de ces centres, d’après la même source, s’élève à 70 répartis sur tout le Royaume. Toutes les femmes et tous les hommes que nous avons rencontrés disent «bien vivre dans ces établissements». Ils n’arrivent, toutefois, pas à se libérer du sentiment de la déception engendré par le fait qu’ils ont été abandonnés par leurs proches. «Mon frère m’a fait sortir de mon entourage familial à cause de sa femme», nous a confié Fatima qui réside au sein du Centre social pour personnes âgées à Hay Nahda à Rabat. Âgée de 65 ans, Fatima était comptable, mais sa vie a été chamboulée après le décès de ses parents. Elle dit avoir pardonné à son frère et espère qu’il voudra un jour lui rendre visite. Son amie, Saliha, paraît plutôt dans l’acceptation de la situation. Elle est quasi convaincue qu’on peut vivre sans frère, mais pas sans amis. Le problème est très compliqué pour ceux et celles qui ont été rejetés par leurs enfants. «Ce n’est pas la vieillesse qui tue, mais le fait d’être abandonné par des enfants auxquels nous avons tout donné». Ce témoignage nous a été donné par Abdelkader. Ce vieil homme a refusé d’en rajouter espérant qu’un jour ses trois enfants se ressaisissent pour s’acquitter de leur devoir envers lui. Abdelkader n’est pas un cas unique.

Le phénomène prend de plus en plus de l'ampleur, sachant que ces centres ne sont censés prendre en charge que les «vieux» qui n’ont pas d’enfants. Mais face à des réalités souvent douloureuses, les responsables n’ont parfois pas d'autre choix que de les accueillir pour empêcher qu’ils finissent dans la rue. «Il leur est difficile de refuser qu’une vieille personne intègre l’établissement», souligne Mohamed Benjelloun Belghali, président de l’Association Dar El Kheir Walkarama. À la recherche des principales causes qui poussent une personne à abandonner ses parents, les responsables des centres citent en premier lieu les problèmes financiers. Une raison que bon nombre de Marocains n’admettent pas en avançant d’autres causes comme le manque d’éducation et la montée de l’insertion des femmes dans le marché de l’emploi. En tout cas, les parents que nous avons interviewés espèrent au moins que leurs enfants ne les oublient pas et qu'ils leur rendent visite de temps à autre. La responsable de la maison de Allal Bahraoui nous a raconté l’histoire d’un homme qu’elle a elle-même accompagné pour rendre visite à ses enfants. «Ces derniers ont refusé de le rencontrer et ça lui a causé un choc à tel point qu’il a perdu la capacité à marcher», nous a-t-elle confié les larmes aux yeux.

Dar El Kheir de Tit Mellil, un centre de prise en charge des personnes âgées qui s’est nettement amélioré

On ne pouvait pas avancer dans notre enquête sans visiter le Complexe social Dar El Kheir de Tit Mellil. Ce Centre, qu’on appelait auparavant le «mouroir», a connu beaucoup de changements. «La situation dans le Centre était vraiment catastrophique. L’espace était complètement sale, l’air irrespirable à cause des odeurs nauséabondes et la nourriture ne suffisait pas pour apaiser notre faim», se remémore l’un des anciens bénéficiaires de Dar El Kheir. Les autres bénéficiaires, approchés par «Le Matin», disent qu’ils sont beaucoup mieux aujourd’hui. Ce qui a attiré notre attention c’est qu’outre les personnes âgées, on trouve sept autres catégories de résidents : de jeunes filles et femmes en difficulté, des enfants abandonnés, des sans-abri, des aliénés mentaux, des ex-détenus, des enfants trisomiques et de grands malades avec une ou plusieurs pathologies.

Pourtant, la loi 14-05 appelle à la spécialisation des centres sociaux. Interpellé sur ce volet, le président de Dar El Kheir Walkarama nous assure que les personnes âgées sont regroupées dans des espaces qui leur sont dédiés et que les conditions de confort leur sont garanties. Et d’ajouter que des efforts ont été menés pour la réhabilitation des bâtiments existants. «Nous avons aussi construit de nouveaux bâtiments pour augmenter notre capacité d’accueil et améliorer la qualité des services offerts aux bénéficiaires», se félicite le responsable qui tient à préciser que le budget consacré au complexe est passé à 20 millions de dirhams par an dont 9 millions est attribué aux personnes âgées.

Un maintien à domicile, une implication dans la société… la stratégie du ministère pour les personnes âgées 

Au-delà du soutien des centres de protection sociale, le ministère propose une prise en charge des personnes âgées au sein de leur famille leur permettant ainsi de garder les liens familiaux sans pour autant être considérées comme un «fardeau». Comment ? Awatif Hyar, ministre de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, explique qu’il existe deux solutions :
• Pour les personnes âgées non autonomes, le ministère prévoit de mettre à leur disposition des employés pour les aider à subvenir à leurs besoins pendant la journée.
• Concernant les personnes âgées autonomes, celles-ci pourraient être admises dans des centres de jour. Ces centres sont destinés à offrir des soins aux personnes âgées pendant la journée seulement. Les résidents peuvent recevoir leurs soins médicaux, de la nourriture et une assistance pour les tâches quotidiennes tout en participant à des activités de loisirs. Ils peuvent ainsi faire de la peinture, apprendre le Coran, etc.
La stratégie du ministère paraît donc ambitieuse. Mieux donc rester optimiste et garder espoir en un avenir meilleur pour ces personnes qui disposent d’un capital immatériel non négligeable, à savoir une expérience de vie à partager. De l’avis de tous, ces derniers doivent être perçus comme des séniors qui ont contribué au développement de leur pays.

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La gériatrie au Maroc : Avis de Dr Imad El Hafidi, président de l'Association A2G Europe Maroc

«La population des personnes âgées rencontre parfois des problèmes en matière d’accessibilité aux soins. L’on dénote l'inaccessibilité financière (83%), l'inaccessibilité physique (14,7%) et les difficultés d’organisation des services de santé (8,9%). Avec la nouvelle réforme du système de santé, l’on s’attend à une révolution en matière de prise en charge des séniors. Il est également essentiel de former des spécialistes en gériatrie et en premier lieu le personnel en charge des personnes âgées ainsi que tous les partenaires qui interviennent dans le parcours des soins, à savoir les professionnels de santé, les administrateurs et gestionnaires, etc. Il faut également encourager la recherche scientifique et l’implémenter davantage dans nos systèmes académiques. La nouveauté, c'est qu'il y a aujourd’hui l'implémentation d'une filière gériatrique dans les instituts supérieurs de soins techniques et infirmiers. Il y a aussi un cursus de spécialité au CHU de Rabat et au CHU de Casablanca, avec une professeure agrégée de gériatrie. À noter que les spécialistes en gériatrie interviennent bénévolement pour assurer la prise en charge des personnes âgées au niveau des centres de protection sociale dans toutes les régions. Les Marocains résidant à l'étranger et ceux qui ont suivi un parcours exclusivement de gériatrie depuis leur année d'exercice et de gérontologie sont regroupés dans une alliance baptisée la 2G. Celle-ci regroupe des médecins, des gérontologues, des infirmiers, des aides-soignants, des psychologues, des neuropsychologues, des psychomotriciens, des ergothérapeutes, des kinésithérapeutes et des orthophonistes.»

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