Menu
Search
Mardi 19 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Culture

Asma Lamrabet dévoile les facettes cachées de Rabi’a Al-Adawiyya au Book club «Le Matin»

Invitée du Book Club «Le Matin», l’essayiste Asma Lamrabet a présenté, jeudi 26 janvier, son ouvrage «Rabi’a Al-Adawiyya, mystique et liberté». Un ouvrage qui tente de nous montrer les autres aspects de la personnalité de Rabi’a Al-Adawiyya. Une femme dont le nom est ancré dans l’imaginaire collectif comme celui d’une femme dévote, extrêmement pieuse et dotée de dons miraculeux. Et pourtant, Rabi’a AlAdawiyya est à l’origine d’un discours qui est à la fois d’une grande complexité et d’une étonnante actualité. La rencontre, d’ordre d’abord littéraire, a constitué également l’occasion de revenir sur l’évolution de la femme marocaine qui, force est de le reconnaître, contribue activement au développement de la société. Voici les axes clés du débat.

Rabi’a Al-Adawiyya, mystique et liberté, une ébauche de compréhension

 

L’essayiste Asma Lamrabet, indique avoir fait beaucoup de lecture avant de démarrer la rédaction de son ouvrage. «Tout ce que j’ai lu ne m’a pas convaincue parce que j’ai trouvé des biographies et des histoires trop fantastiques. On a l’impression que Rabi’a Al-Adawiyya était une femme pieuse, dévouée, très pratiquante et complètement détachée du monde», a-t-elle indiqué. Et d’ajouter : «Ces récits ne m’ont pas interpellée, car je reste rationnelle même si j’ai beaucoup la dimension spirituelle. Je suis médecin et tous les gens qui ont lu mes livres et mes recherches ont constaté que ceux-ci étaient plutôt scientifiques», a-t-elle souligné. L’invitée a avoué avoir même pensé à abandonner l’idée d’écrire sur «Rabi’a Al-Adawiyya». Une idée qu’elle a rejetée après avoir découvert par hasard le livre baptisé «Ibn Arabî et le voyage sans retour», écrit par Claude Addas. Celui-ci retrace la vie et l’œuvre de ce grand «voyageur», exceptionnel, «vivificateur de la religion». «J’ai compris alors qu’il était temps de déchiffrer tout ce que disaient les soufis du premier temps avec une dimension mystique sur Rabi’a AlAdawiyya en plongeant dans sa vie et en décortiquant son trajet», a-t-elle révélé. Et de préciser avoir été amenée à lire des thèses de doctorat écrites non seulement en arabe, mais aussi dans d’autres langues. Asma Lamrabet tient ainsi à préciser que son ouvrage tient à mettre en lumière les différents aspects de la personnalité de Rabi’a Al-Adawiyya. «Cette femme hors du temps est paradoxalement circonscrite par cette légendaire histoire où la tradition populaire vivante tente de l’enfermer», a-t-elle noté. Asma Lamrabet insiste aussi sur le fait que son ouvrage ne constitue pas une énième biographie, mais plutôt une ébauche de compréhension de ce qui a fait de cette pionnière une véritable figure mystique, élancée «corps et âme» sur le sentier de l’Amour divin.

L’Amour divin… à inculquer dès le jeune âge

Rabi’a Al-Adawiyya est le symbole de l’Amour divin. Selon différents récits y compris celui d’Asma Lamrabet, le rapport de Rabi’a à Dieu n’était pas lié aux rituels ni aux choses matérielles. Elle refusait même l’idée qu’on parle de pratiques religieuses par crainte de Dieu. Pour elle, l’amour de Dieu ne doit être lié ni à la quête de paradis, ni par la crainte de l’enfer. Elle critiquait justement une certaine vision d’un Islam complètement omnibulée par ce qu’on appelle l’orthopraxie c’est-à-dire tout ce qui est technique et tout ce qui est rituel en invitant justement à un nouveau concept qu’est l’Amour. Pour l’invitée du Book Club "Le Matin", Asma Lamrabet, c’est cet état d’esprit qu’il faudra inculquer aux petits dès leur jeune âge. «Dans les manuels scolaires, on insiste beaucoup sur les rituels en Islam et sur tout ce qui est “Halal” et “Haram” alors qu’il y a des dimensions comme l’Amour divin qu’on doit apprendre aux jeunes», a-t-elle recommandé. Personnellement, a-t-elle ajouté, je trouve que la lecture purement juridique de l’Islam est une limite et qu’il est temps de miser, notamment sur l’Amour de Dieu. «Aimer plutôt que craindre Dieu, telle est la vraie richesse», a précisé Asma Lamrabet.

Ce que Rabi’a Al-Adawiyya nous apprend aujourd’hui

«Rabi’a Al-Adawiyya a vécu au 8e siècle et on parle toujours d’elle alors que l’on est au 21e siècle, ce qui prouve qu’elle a beaucoup de choses à nous dire», pense Asmaa Lamrabet. «Avec sa forte personnalité, Rabi’a Al-Adawiyya a laissé des traces et elle s’est véritablement démarquée. Elle recevait chez elle des hommes et des figures éminentes qui venaient apprendre d’elle, sans pour autant être critiquée par son entourage à l’époque», a-t-elle noté. Il faut aussi reconnaître que le contexte dans lequel a évolué Rabi’a Al Adawiyya était aidant dans ce sens. «Elle est née juste après la période des Omeyyades à Bassora, une ville où il y avait à cette époque de l’effervescence culturelle, politique, spirituelle et commerciale. Il y avait aussi un luxe de musique et c’est pourquoi on voit dans le film qu’elle était chanteuse. Ceci n’est pas sûr, mais n’est pas étonnant», a expliqué Asma Lamrabet. Et d’ajouter que Rabi’a est parvenue à allier à la fois la méditation, l’isolement et l’engagement sociétal. C’est aussi une femme qui était interpellée par les problèmes de la société… Bref, c’est une femme qui avait beaucoup d’aspects «méconnus» ou plutôt «abandonnés» par tous ceux qui cherchaient à ne montrer que son côté de la pieuse. Elle est aussi à l’origine d’un discours qui est à la fois d’une grande complexité et d’une étonnante actualité. C’est une femme source d’apprentissage, courageuse et surtout connectée à son environnement sociopolitique. «On le voit justement quand elle va refuser le mariage de plusieurs personnalités, notamment le Wali qui lui avait proposé une grande somme d’argent en lui disant tout simplement qu’elle n’était pas faite pour le mariage et qu’elle n’avait pas besoin de son argent», a révélé notre essayiste. Et d’ajouter que Rabi’a avait conseillé au Wali de donner l’argent aux pauvres au lieu de les exploiter. «Il s’agit là d’un discours très politique et très osé», a souligné Asma Lamrabet tout en insistant sur le fait que le refus du mariage pour Rabi’a était par choix, sachant que c’est souhaitable de se marier en Islam. Souhaitable oui, mais le nonmariage n’était pas interdit ! «Rabi’a Al-Adawiyya était donc convaincue, au 8e siècle, qu’elle ne faisait pas quelque chose d’interdit en refusant de se marier», a souligné l’invitée du Book Club tout en précisant que Rabi’a n’a jamais eu peur des préjugés et de ce que l’on va dire sur elle en tant que femme. «Malheureusement, on voit aujourd’hui beaucoup de femmes qui se marient parce qu’il s’agit d’une norme sociale ou tout simplement pour ne pas tomber dans les préjugés», a noté la figure féministe Asmaa Lamrabet. Pour elle, l’histoire du mariage n’est qu’un exemple d’une leçon à retenir de la vie de Rabi’a Al-Adawiyya qui, par son humanité, son intelligence et sa foi, a marqué son temps et ses coreligionnaires, à tel point que sa vie et ses paroles ont transcendé l’histoire.

L’évolution de la femme au Maroc, encore du chemin…

Interrogée sur l’évolution de la femme au Maroc, Asmaa Lamrabet affirme que «le débat actuel sur la réforme de la réforme de la Modawana reste timide par rapport à un Discours Royal qui était très puissant». Elle regrette ainsi l’absence et le silence de la société civile. «Il y a très peu d’initiatives et juste quelques associations féministes qui sont en train de travailler sur le sujet, ce qui est bien dommage», a-t-elle regretté. Asma Lamrabet a indiqué avoir constaté qu’il n’y a pas le même engouement que celui qui a eu lieu en 2000, soit la veille de la réforme de 2004. Aujourd’hui, a-t-elle noté, il faut absolument que les choses changent puisqu’il y a des lois qui ne sont pas compatibles avec l’évolution du temps et les exigences du 21e siècle. Le grand problème qui persiste, selon notre invitée, c’est qu’on ne prend pas en considération l’actuel Code de la famille, c’est que l’on ne donne pas la priorité aux enfants. Asmaa Lamrabet profite de la rencontre pour lancer un message de cœur : Il est grand temps de penser et surtout d’agir pour préserver l’harmonie de la famille et protéger les enfants.

Lisez nos e-Papers