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Entretien exclusif avec le scientifique en chef pour l’intelligence artificielle chez Meta, Yann LeCun

L’École Centrale Casablanca, la School of Industrial Management de l’UM6P et l’École Polytechnique de Paris ont organisé, les 26 et 27 janvier à Benguérir, le «TechInnov Day 2023». Plateforme d’échanges entre les acteurs du monde académique, de la recherche et des entreprises, cet événement a connu la participation d’éminents experts internationaux de l’intelligence artificielle. Invité de marque de cette édition, e scientifique en chef pour l’IA chez Meta, Yann LeCun, a accordé un entretien exclusif à "La Matin". L'expert évoque les enjeux de l'intelligence artificielle pour l'avenir.

Après le succès de la première édition organisée par Centrale Casablanca, l’École s’est associée à la School of Industrial Management (EMINES) de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et l’École Polytechnique de Paris pour organiser la deuxième édition du «TechInnov Day» les 26 et 27 janvier à Benguérir.

Tenu sous le signe de l’Intelligence artificielle (IA) pour l’Afrique, l’événement a réuni les différents acteurs de l’écosystème afin de débattre des enjeux actuels et de l’avenir de l’intelligence artificielle. L’ambition étant de constituer la pierre angulaire d’une souveraineté en matière d’intelligence artificielle pour le Maroc et l’Afrique. «Avec une pénétration du digital de plus de 43%, l’Afrique est un champ fertile pour l’implémentation de solutions de l’intelligence artificielle capables d’accélérer la croissance tout en prenant en considération les spécificités socioculturelles du continent», a souligné à l’ouverture de cette rencontre Hicham El Habti, président de l’Université Mohammed VI Polytechnique.

Que ce soit dans la santé, l’agriculture ou l’éducation, l’intersectionnalité de l’IA et ses applications ouvrent la voie à de nouvelles possibilités pour le développement du continent. Même son de cloche auprès de Nicolas Cheimanoff, directeur de la School of Industrial Management de l’UM6P. «L’IA nous intéresse particulièrement à l’UM6P, au Maroc et en Afrique parce qu’autant qu’on puisse dire que dans certaines disciplines de recherche comme la physique, nous avons besoin de matériaux lourds pour faire les essais, autant dans le domaine du digital et de l’IA, l’Afrique a toute sa place pour développer des solutions innovantes. Il suffit d’un Cloud, d’un peu de moyens numériques et de cerveaux. Il y a beaucoup de cerveaux dans ce pays et en Afrique, les têtes sont très bien faites, c’est donc naturel d’avancer dans les domaines de l’intelligence artificielle», a-t-il affirmé. Pour sa part, Mohammed El Rhabi, directeur de l’unité Mathématiques appliquées, Computer & Data Sciences à l’École Centrale Casablanca, a indiqué que cette deuxième édition s’est ouverte naturellement à d’autres partenaires du monde de la recherche avec l’objectif d’avoir des personnalités de renommée internationale pour faire la lumière sur les solutions innovantes proposées par l’intelligence artificielle.

Parmi ces experts, Yann LeCun, scientifique en chef pour l’intelligence artificielle chez Meta, réputé père du Deep Learning, lauréat du prix Turing en 2019 (l’équivalent du prix Nobel pour l’informatique, Ndlr). Durant ces deux jours, les échanges ont porté sur le futur de l’intelligence artificielle et les perspectives du machine learning, avec la participation de chercheurs, d’entrepreneurs et de startuppers afin d’examiner les différentes possibilités offertes par cette technologie et les challenges en lien avec la recherche, le monde académique, l’industrie 4.0 et le business. 

Yann LeCun : À terme, les systèmes d’IA seront aussi intelligents, sinon plus intelligents que les humains

Le Matin : Avec le grand succès de ChatGPT au niveau mondial, comment voyez-vous l’avenir de l’intelligence artificielle ?
Yann LeCun :
Je pense qu’il va y avoir beaucoup d’applications de l’intelligence artificielle dans la production créative dans les années à venir. Que ce soit du texte, de l’image, de la vidéo, de l’audio, ou de la musique, etc., ces solutions vont donner un pouvoir de création à beaucoup de gens qui ne sont pas nécessairement entraînés pour les techniques. Ces solutions vont démocratiser la création artistique et par ailleurs d’autres types de création.
Par contre, il ne faut pas se tromper, les systèmes actuels de compréhension de texte, de dialogue sont en fait très limités et sont très loin d’atteindre le niveau d’intelligence que l’on observe chez les humains et même chez les animaux. On a tendance à être trompés par leur capacité linguistique, mais ces systèmes n’ont pas une compréhension du monde sous-jacent. Donc, l’éventualité qu’on ait des systèmes qui soient un peu équivalents à l’intelligence humaine va prendre des années, peut-être même des décennies.

Quelles perspectives pour le machine learning, y compris les challenges en lien avec la recherche, le monde académique et l’intelligence économique ?
Le problème est que l’intelligence artificielle aujourd’hui se produit parce que la recherche est dans une grande mesure ouverte, c’est-à-dire que les laboratoires qui travaillent dans ce domaine, qu’ils soient industriels ou académiques publient leurs résultats, leurs programmes et leurs codes en Open Source, ce qui fait que le progrès s’accélère. Donc, tous les laboratoires construisent sur les résultats d’autres. Par exemple, ChatGPT se construit sur des inventions qui ont été produites à Google, à Deep Mind, à FAIR, le laboratoire d’intelligence artificielle que j’ai créé à Meta, ainsi qu’à travers des travaux universitaires. Pour que la recherche universitaire puisse progresser, dans tous les pays, y compris le Maroc, il faut donner des moyens de calcul aux étudiants et aux chercheurs qui travaillent dans ce domaine. Parce que pour le moment ces moyens de calcul sont uniquement disponibles dans les grands laboratoires industriels. Donc, ce serait important pour les gouvernements de fournir ces moyens aux chercheurs.

Quel rôle peut jouer ce genre de rencontres pour le développement de ces domaines, notamment avec la collaboration de différentes spécialités de l’ingénierie et de la technologie ?
Les applications de l’intelligence artificielle sont extrêmement diverses. Les économistes pensent que l’IA est une technique d’utilisation générale qui va se disséminer dans tous les secteurs dans les années à venir. Un développement qui va produire une augmentation de la productivité des travailleurs, qui va créer de nouveaux métiers et en faire disparaître d’autres comme c’est le cas pour toute technologie. Le but d’une rencontre comme «TechInnov Day» et la raison pour laquelle je viens c’est d’inspirer les jeunes afin de se lancer dans la recherche et la science, les sciences de l’ingénieur, les applications et créer de nouvelles entreprises et découvrir de nouvelles solutions dont on n’a même pas eu idée qui pourraient aider l’économie et les gens dans leur quotidien ici au Maroc, en Afrique et dans le monde entier.

Le Centre international d’intelligence artificielle du Maroc «AI Movement» a été lancé en novembre dernier en vue de constituer un écosystème dans ce domaine. Quelles clés de réussite et quelles perspectives pour le continent ?
Les clés de réussite pour une initiative nationale ou internationale afin de focaliser la recherche en IA nécessitent, par exemple, des moyens de calcul importants, c.-à-d. qu’il est très important d’avoir accès à des superordinateurs dédiés à l’intelligence artificielle. Ces systèmes sont essentiellement disponibles dans les laboratoires industriels et les grandes universités américaines. Il y a des initiatives au niveau de plusieurs pays pour créer des superordinateurs au profit des chercheurs, des étudiants, des doctorants, etc. Ensuite, il faut mettre en place un cercle vertueux entre la recherche publique, les universités, les écoles d’ingénieurs et le monde de l’entreprise. Il ne s’agit pas de travailler seulement avec les grandes entreprises qui peuvent tirer parti des résultats de recherche, mais également des startups qui sont en général plus rapides à apporter des solutions sur le marché à partir de technologies inventées dans le monde académique. C’est très difficile de faire de la recherche en laboratoire dans une startup, mais par contre appliquer les résultats de recherche, c’est le rôle qu’elle doit jouer. Donc, il faut faciliter ce transfert et éliminer les barrières pour permettre aux jeunes entrepreneurs de faire fructifier les idées.

Les géants du monde de la tech sont en train d’investir dans ces domaines, qu’en est-il des projets de Meta pour tirer profit des potentialités de l’IA ?
Malgré les mauvaises nouvelles qu’on entend sur l’industrie de la technologie, il y a une croissance de l’investissement des grandes compagnies dans la Recherche et Développement dans l’intelligence artificielle et une accélération des progrès. On ne le réalise pas forcément parce que c’est derrière le rideau, mais Meta, Google, Amazon utilisent l’IA, le Deep Learning… à très grande échelle pour faire de la modération de contenu, de l’ordonnancement des résultats de recherche, de fils d’actualités sur les réseaux sociaux, etc.

Ces technologies vont être encore plus utilisées pour les outils d’aide à la création et puis dans le futur plus ou moins lointain pour des systèmes qui seront des assistants virtuels auxquels tout le monde aura accès. Ces assistants vivront peut-être au début sur nos smartphones, mais ils seront tôt ou tard accessibles sur des lunettes et autres objets, qui vont superposer des informations sur le monde réel et avec lesquels on pourra interagir.

Ces assistants seront nos intermédiaires avec le monde. À terme, je pense que les moteurs de recherche et les algorithmes de notation pour les sites de commerce électronique ou les réseaux sociaux seront appelés à disparaître parce que toutes nos interactions avec le monde numérique seront réalisées par l’intermédiaire de ces assistants. À l’heure actuelle, il y a des systèmes de dialogue dans les laboratoires de Meta, dont certains sont en Open Source, depuis plusieurs années déjà. Nous travaillons également sur beaucoup de projets d’IA générative, qui permettent de produire des images, des vidéos, des stickers, des effets… décrits par le texte ou par la voix. Il y a également des projets en traduction, y compris de dialectes pour lesquels il n’existe pas de version écrite, c.-à-d. des systèmes qui traduisent de la parole à la parole.

Nous travaillons aussi sur d’énormes projets plus fondamentaux pour voir comment pousser les recherches en IA pour arriver à des systèmes qui puissent acquérir un sens commun et puissent approcher l’intelligence des animaux comme les chiens et les chats et, dans un futur plus lointain, l’intelligence humaine. Il ne fait aucun doute qu’à terme les systèmes d’IA seront aussi intelligents, sinon plus intelligents que les humains dans tous les domaines. Ceci va amplifier notre intelligence à l’instar de tous les outils technologiques qui amplifient nos capacités et ce n’est pas quelque chose dont il faut avoir peur. 


 

 

 

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