Quand les écrits restent, les paroles ne s’envolent plus et ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd ! Et ce sont de paroles brillantes, tirées du travail de feue Fatema Mernissi, qui sont actuellement scandées au théâtre de la Manufacture à Avignon. Un bel accueil leur a été réservé par un public chaleureux et l’affluence continue, pour découvrir un texte tout en humour et en intelligence, brodé à partir de la pensée de la sociologue et féministe marocaine.
La pièce met en lumière l'importance du pouvoir des mots et l'espoir d'un monde où «la différence n’a pas besoin de voile», où les corps féminins se meuvent librement et où les désirs des femmes ne suscitent plus de craintes.
Derrière ce succès réside une passion partagée par les deux comédiennes de la pièce. En effet, Amal Ayouch et Sanae Assif vouent une admiration sans fin pour la figure de Fatema Mernissi, mais croient surtout en la puissance de l’oralité pour diffuser sa pensée.
«Lorsqu’on s’est rencontrées, Amal et moi, je venais d’acheter tous les ouvrages de Fatema Merinissi en vue de m’en inspirer pour un projet». Amal Ayouch, elle, avait déjà prêté vie à des personnages de romans marocains, comme «La civilisation ma mère».
L’idée de travailler sur l’œuvre de Mernissi la taraudait déjà.
Une pièce sous confinement
Aussitôt la décision prise, les deux comédiennes commencent à sélectionner les textes de la pièce. «Il ne s’agissait pas de jouer Fatema Mernissi, mais de donner vie à sa pensée qu’on a cherchée et trouvée dans ses essais, ses romans, ses conférences et même ses entretiens journalistiques», explique Sanae Assif. Le confinement contraint les deux comédiennes à travailler à distance. «J’étais en France et je travaillais avec la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois, pendant qu’Amal poursuivait la recherche, avec la collaboration de la metteuse en scène Asmae Houri», poursuit Sanae.
Dès la levée des restrictions, les rencontres et les résidences se succèdent pour permettre à la troupe de peaufiner le texte. «La pensée de Fatema était déjà précieuse telle qu’elle était, mais il nous fallait l’inscrire dans une contemporanéité. Pour ce faire, nous avons effectué des ateliers avec des femmes victimes de violences à Fès et à Essaouira, en partenariat avec les instituts français des deux villes, en plus d’un atelier à L'Uzine, avec des femmes ouvrières de Casablanca. Cela nous a permis de confronter la parole de Fatema à la réalité d’aujourd’hui», explique la comédienne.
Metteuse en scène polyvalente, qui alterne les textes anciens et classiques, mais surtout artiste sensible au combat des femmes, Anne-Laure Liégeois se donne à cœur joie de collaborer sur ce projet. Au début, il s’agit pour elle de mettre en scène ce texte, avec la réserve et l’humilité de l’étrangère. Mais c’est sans compter l’universalité de la parole de Fatema qui finit par la conquérir. «Le challenge était de mettre en scène un texte d’adresse directe, dont la teneur en humour et en esprit le rendait particulièrement dense ! Anne-Laure a donc privilégié la sobriété dans la mise en scène, pour capturer l’audience», ajoute la comédienne. Cela donne une rencontre de deux femmes, lors d’une fausse conférence, ayant un échange muet puis parlant, avec la pensée de Mernissi.
Tout public
Après une dizaine de représentations au théâtre et une quinzaine en milieu scolaire, la pièce arrive à la programmation en Off du Festival d’Avignon, pèlerinage absolu de tout théâtreux passionné. Mais c’est un texte modifié et adapté à un public occidental qui y est joué. En effet, il a été nécessaire de supprimer certaines références inaccessibles à un public non marocain, afin de faciliter la compréhension de la pièce par tous. «Comme Fatema Mernissi a toujours célébré la force et l'intelligence des femmes, nous avons tenu à mettre en avant cet aspect de son œuvre, afin d’en finir avec ce stéréotype de femme orientale soumise. Anne-Laure Liégeois nous a également confirmé que les femmes occidentales ont besoin d'entendre cette parole pour remettre en question leurs propres certitudes», ajoute Sanae Assif.
Malgré les défis liés au financement du théâtre au Maroc, le partage des textes de Mernissi reste une expérience gratifiante pour les artistes. Sanae Assif croit fermement en le pouvoir de cette parole de provoquer des changements, même minimes. «D’ailleurs, je garde en mémoire l’excellent accueil des jeunes dans les lycées et les collèges des textes de Mernissi, J’estime qu'ils devraient être intégrés au programme scolaire par le ministère de l'Éducation», conclut-elle, convaincue. Un projet d’adaptation de la pièce en darija est en cours. En attendant, une tournée de la pièce est prévue en octobre prochain au Maroc. À vos agendas !
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